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AAC Colloque Sofphied Culture(s) et éducation 10-12 juin, Université de Caen, Cirnef
10 décembreCulture(s) et éducation
Appel à communication pour le colloque annuel de la SoFPhied, Caen, 10, 11 et 12 juin 2026
Explorer les rapports que l’éducation peut avoir avec la culture suppose d’abord de prendre acte de la polysémie de ce dernier terme. En un premier sens, « culture » désigne, selon la célèbre définition d’Edward B. Tylor, un des fondateurs, au XIXème siècle, de l’anthropologie culturelle, toutes les aptitudes et les habitudes que l’homme acquiert en tant qu’il est membre d’une société (Primitive culture, 1871). En un autre sens, le mot désigne à la fois le monde des oeuvres durables de l’esprit et le fait pour des individus de pouvoir y avoir accès. C’est par exemple en ce dernier sens que H. Arendt distingue la culture, qui « concerne les objets et est un phénomène du monde », du loisir, qui « concerne les gens et est un phénomène de la vie » (La Crise de la culture, 1954/1999, p. 266).
Entre ces deux sens, une double opposition saute aux yeux. D’une part, le premier sens est descriptif ; il n’implique aucun jugement de valeur : les techniques de chasse des Bushmen et la tragédie grecque sous Périclès seront alors considérées de façon égale comme des éléments de culture. Le second sens a au contraire une forte dimension normative et suppose l’établissement d’une hiérarchie axiologique entre les objets ou les activités, selon le degré de spiritualité dont on suppose qu’ils sont investis. On peut dans ce cadre s’interroger sur la minoration de la culture technique dans la culture scolaire, alors qu’elle est une caractéristique essentielle des sociétés humaines (Leroi-Gourhan, 1964, 1965). D’autre part, le premier sens fait de la culture une chose par définition collective : on ne peut parler de culture que pour désigner ce qui est partagé par un groupe social. Le second sens en fait au contraire une distinction individuelle : on a plus ou moins de culture « selon qu’on est plus ou moins familiarisé avec tout un ensemble de savoirs, d’arts et de langages » (Kambouchner, 2021, p. 21). La distinction entre le « culturel » et le « cultivé » exprime plus clairement que l’équivocité du substantif cette double opposition.
Toutefois, entre ces deux acceptions, la dichotomie n’est pas toujours aussi franche. L’ethnolinguiste Edward Sapir proposait quant à lui un troisième sens, qui emprunte au premier l’idée qu’il s’agit d’un phénomène fondamentalement collectif et au deuxième l’idée d’un tri entre les différents éléments de la vie d’un groupe social pour en dégager la personnalité singulière : la culture comme « génie d’une nation » (« Cultures authentiques, cultures inauthentiques » in Anthropologie. 1924/2021). Il s’agit dès lors d’examiner les articulations possibles existant entre ces deux sens du mot culture, par exemple en distinguant, avec Fernand Dumont (1968), une « culture première » vécue spontanément par un groupe humain et une « culture seconde », réfléchie, que l’on trouve notamment dans les arts, les sciences ou la philosophie. Plus
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profondément encore, la culture, quelle que soit l’acception dans laquelle se prend ce terme, invite à penser que l’humanité en l’homme n’est pas un donné mais l’objet d’une construction et que cette construction dépend fondamentalement d’une transmission – que celle-ci soit conçue en termes d’acculturation ou bien de formation individuelle (Païdeia, Bildung, etc.). La question de l’éducation apparaît dès lors au coeur de toute réflexion philosophique sur la culture. Ainsi, plutôt que de référer les deux sens du mot culture à des champs conceptuels distincts et hétérogènes, il convient davantage de les considérer comme deux pôles entre lesquels s’ouvre et se dessine un espace complexe où se pose, selon des variations multiples, la question des rapports entre culture(s) et éducation.
Au-delà de ces approches strictement conceptuelles, la réflexion gagnera à s’ancrer dans un contexte politique et social déterminé pour illustrer les problématiques identifiées. Elle pourra même s’appuyer sur des constats de fait situés pour initier le questionnement au regard de la thématique du colloque. Voici, à titre d’exemple, quelques pistes qui interrogent fortement les éducateurs aujourd’hui et obligent à repenser l’articulation entre culture et éducation :
– l’éducation pensée et mise en oeuvre sous le lexique des objectifs et des compétences, dans le contexte néolibéral contemporain tend à dévaloriser les apprentissages culturels nécessitant un temps long au profit d’une rentabilité immédiate des institutions scolaires et universitaires (exemple des apprentissages artistiques progressivement marginalisés) ;
– les développements et l’hégémonie de l’I.A. conduisent à la nécessité de repenser la culture et le rôle de l’éducation et de l’école comme « lieux de culture », dans le prolongement des réflexions de J. F. Lyotard (1979) portant sur les conséquences pour l’éducation du règne des banques de données ;
– la crise majeure de l’anthropocène oblige enfin à repenser le sens de l’éducation et de la culture dans le monde fini et dégradé qui est le nôtre, où les perspectives d’avenir semblent s’assombrir et où les jeunes générations ont de plus en plus de difficultés à se projeter.
Les communications pourront s’inscrire dans l’un des trois axes suivants :
Axe 1 : La culture entre le collectif et l’individu.
Si l’éducation permet d’entrer dans la culture, vise-t-elle alors à former des sujets libres et capables de penser par eux-mêmes ou à reproduire des structures ou des normes sociales existantes ? Quelles tensions peut-on repérer entre tradition (préserver, transmettre, reproduire…) et création (transformer, inventer, actualiser…) ? Par ailleurs, que faut-il entendre par transmission culturelle ? La transmission est un processus complexe. Elle ne se réduit pas au modèle de la tabula rasa ou du modelage de l’enfant par l’adulte. Elle a lieu des adultes aux enfants, mais aussi des enfants aux adultes et également, dans la mesure où il existe des cultures enfantines, des enfants aux enfants (Delalande, 2009, Arleo et Delalande, 2011).
Axe 2 : Le problème de l’universalité
Cet axe accueillera notamment les communications problématisant la notion de culture commune. En quel sens de l’adjectif « commun » peut-on parler de monde commun ? À quel(s) monde(s) commun(s) la culture permet-elle d’avoir accès : au monde commun de l’humanité ou au monde commun à un groupe social déterminé (catégorie sociale, groupe professionnel, communauté nationale…) ? Des communications sur les débats autour des « humanités », classiques ou modernes, pourraient par exemple ici trouver leur place. De même, pourront s’inscrire dans cet axe
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des communications portant sur la notion de multiculturalisme (Taylor, 2009) ou de pluriversalité (Dussel, 2003).
Axe 3 : Hiérarchie et légitimité
L’éducation sélectionne toujours certains savoirs et certaines pratiques comme « nobles » ou « légitimes » et en marginalise d’autres. Dans cet axe seront notamment attendues des communications permettant de problématiser ce constat. Quels rapports peut-il exister entre culture savante, culture populaire et culture de masse ? En quel sens peut-on parler de culture scolaire ou de culture enfantine ? À l’école et ailleurs, est-il possible de constituer une didactique des cultures (artistiques, littéraires, techniques, populaires, etc.) sans leur ôter leur dynamisme et leur vitalité ? Quelles formes de culture (oeuvres, techniques, pratiques, habitudes) les éducateur.ice.s véhiculent-ils, à leur corps défendant ou consentant ?
Les pistes ici dessinées ne doivent pas avoir pour effet de limiter les questionnements relatifs à la thématique du colloque. Seront examinées par le comité scientifique toutes les propositions de communication portant sur les questions relatives à la et/ou aux culture(s) et à leurs enjeux éducatifs dans tous les champs de l’éducation et de la formation. Les propositions portant sur le thème principal peuvent adopter une approche strictement philosophique ou une méthodologie multidisciplinaire ou interdisciplinaire. De plus, les propositions peuvent prendre différentes formes :
· Communication individuelle. Cette première forme classique de participation au congrès est d’une durée de 20 minutes et est suivie par un temps de questions avec le public de la salle.
· Format atelier. Nous entendons par là des formes alternatives de participation permettant d’approfondir collectivement un enjeu du colloque ; tables-rondes, ateliers participatifs, groupes de réflexion, communication à deux ou trois voix, communauté de recherche philosophique, présentation de matériels didactiques ou pédagogiques, etc.
Nous sommes à votre écoute et disponibles pour réfléchir avec vous à la forme la plus adéquate à votre envie de participation. N’hésitez pas à nous écrire au besoin via les contacts ci-dessous. Enfin, la SOFPHIED encourage la variété et le caractère inclusif des propositions, et tient à soutenir la diversité au sein de la discipline en luttant contre la minorisation de certaines voix en philosophie.
La date limite d’envoi des propositions de communication (individuelle, atelier ou performance) est le 15 janvier 2026. Ces propositions comporteront nécessairement :
– un résumé d’un minimum de 500 mots et d’un maximum de 1000 mots
– 5 mots-clés
– 3 références bibliographiques
– Pour les ateliers, une description en 300 mots du format et de la disposition de la salle envisagée.
Elles devront être envoyées à :
Marie Vergnon : marie.vergnon@unicae
Pierre Kahn : kahnpi@wanadoo.fr
Camille Roelens : camille.roelens@univ-lyon1.fr
Stéphanie Péraud-Puigségur : stephanie.peraud-puigsegur@u-bordeaux.fr
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Bibliographie indicative
Amat, M., et Maigné C. (2021). Philosophie de la culture : formes de vie, valeurs, symboles. Paris : Librairie Philosophique J. Vrin. Amselle, J.-L. (2001). Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures. Paris : Flammarion.
Arendt, H. (1954/1999). La Crise de la culture. Paris : Folio Gallimard. Arleo, A., Delalande, J. (dir.) ( 2015). Cultures enfantines : Universalité et diversité. Rennes : Presses universitaires de Rennes.
Blais, M.-C., Gauchet, M., Ottavi, D. (2014). Transmettre, apprendre. Paris : Stock.
Bruner, J. S. (1996). L’éducation, entrée dans la culture. Paris : Retz.
Bruner, J. S. (2015). Car la culture donne forme à l’esprit. Paris : Retz.
Cassirer, E. (1972). La Philosophie des formes symboliques (1923-1929). 3 tomes. Paris : Éditions de Minuit.
Culture, dans B. Kolly & A. Kerlan (dir.), Dictionnaire de philosophie de l’éducation. Paris : ESF.
Delalande, J. (2009). Des enfants entre eux. Paris : Autrement.
Descola, P., (2005). Par-delà nature et culture. Paris : Gallimard.
Dumont, F. (1968). Le lieu de l’homme. La culture comme distance et mémoire. Montréal : Éditions HMH.
Dussel, E. (2003). Transmodernidad e interculturalidad (Interpretación desde la Filosofía de la Liberación). Erasmus. Revista para el diálogo intercultural. vol. 5, n°1-2.
Freud, S. (2018). Le malaise dans la culture. Paris : Flammarion.
Ingold, T., Pinton, M., & Citton, Y. (2018). L’anthropologie comme éducation. Rennes : Presses universitaires de Rennes.
Ingold, T., & Renaut, S. (2024). Une brève histoire des lignes. Éditions points. Ingold, T. (2025). Le passé à venir. Repenser l’idée de génération. Traduction de l’anglais par Cyril Le Roy. Paris : Seuil.
Kothari, A. & alii (2022). Plurivers. Un dictionnaire du post-développement. Marseille : Wildproject. Lyotard, J.-F. (1979). La condition postmoderne. Paris : Éditions de Minuit.
Roustan, D. (1930). La culture au cours de la vie. Paris : Éditions de l’Institut Pelman.
Sapir, E. (1924/2021). « Cultures authentiques, cultures inauthentiques » in Anthropologie. Lyon : ENS Éditions. Leroi-Gourhan, A. (1964) Technique et langage. Le Geste et la Parole. Paris : Albin Michel.
Leroi-Gourhan, A. (1965) La Mémoire et les Rythmes. Le Geste et la Parole. Paris : Albin Michel. Shustermann, R. (1992) L’Art à l’état vif. La pensée pragmatiste et l’esthétique populaire. trad. de l’anglais (États-Unis) par Christine Noille. Paris : Éditions de Minuit.
Tagore, R. (1964). Vers l’homme universel. Paris : Gallimard. Taylor, C. (2009). Multiculturalisme. Différence et démocratie. Paris : Flammarion.
Tylor, E.B. (1871). Primitive culture : Researches into the Development of Mythology, Philosophy, Religion, Art, and Custom. London : John Murray. -
ARPHÉ volume 5, l’ANNUEL DE LA RECHERCHE EN...
2 marsARPHÉ n°5, millésime 2024, vous attend. Lisez-le, fêtez-le, diffusez-le, faites le connaître et lire à vos collègues, à vos étudiant.e.s, à vos ami.e.s, à vos connaissances. Et n’hésitez-pas à nous faire connaître vos réflexions, vos interrogations, vos questions.
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26 févrierNous ne disposions sur le site que d’une photographie en noir et blanc du bureau des membres fondateurs de la SOFPHIED. Anne-Marie Hans-Drouin, qui en fut la première première présidente a retrouvé dans ses archives la photographie initiale, en couleurs.
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