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lundi 14 mars 2022
Pour citer ce texte : PAGÈS, A. (2022). La morale de l’adolescent et l’expérience de la dévastation du monde Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 2
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-2021/dossier-partie-1-l-education-au-risque-de-la-catastrophe/article/la-morale-de-l-adolescent-et-l-experience-de-la-devastation-du-monde]
La morale de l’adolescent et l’expérience de la dévastation du monde
Anna Pagès
Faculté d’Éducation Blanquerna
Université Ramon Llull
Résumé : Cette contribution propose d’analyser la morale des enfants mobilisés pour la planète et leur expérience de destitution (pourrait-on dire de dévastation ?). L’auteure propose d’analyser leur lien avec le monde, ainsi que la fragile fonction des adultes, bousculés entre la conservation et le profit. Pour ce faire, elle réfléchit à partir de deux repères philosophiques qui lui semblent convenables : Expérience et pauvreté (1933) de Walter Benjamin, et La dévastation et l’attente (1945) de Martin Heidegger. Elle interprète ainsi les discours de ces enfants.
Mots-clés
Walter Benjamin, Martin Heidegger, crise écologique, rapports inter-générationnels, philosophie morale, herméneutique philosophique.
Abstract This contribution proposes to analyse the morality of children mobilised for the planet and their experience of destitution (could one say devastation ?). The author proposes to analyse their link with the world, as well as the fragile function of adults, torn between conservation and profit. To do so, she reflects on two philosophical references that seem appropriate to her : Walter Benjamin's Experience and Poverty (1933) and Martin Heidegger's Devastation and Expectation (1945). In this way, she interprets the discourses of these children.
Keywords
Walter Benjamin, Martin Heidegger, ecology, inter-generational relations, moral philosophy, hermeneutics.
Le reproche aux adultes
Lors de la conférence de l’ONU sur le changement climatique à New York en 2019, 16 jeunes ont pris la parole. Âgés de 8 à 17 ans, ils étaient venus de 12 pays différents (îles Marshall, Palaos, Inde, Afrique du Sud, Nigéria, Tunisie, Brésil, Argentine, États-Unis, Allemagne, Suède et France) pour défendre le climat.
Dans son allocution, le 23 Septembre 2019, l’adolescente suédoise Greta Thunberg reprocha aux adultes de ne pas être à leur place :
La seule chose que je voudrais dire c’est qu’on vous surveille. Tout n’est pas bien. Je ne devrais pas être ici, je devrais retourner à l'école, de l'autre côté de l'océan. Pourtant, vous venez tous à nous, jeunes, pour obtenir de l’espoir, comment osez-vous1 ?
Autumn Peltier, une jeune Anishinaabe de 13 ans de la Première nation Wikwemikong, au Canada, s'adressa également aux dirigeants mondiaux des Nations Unies en disant :
Je fais ce travail car nous ne pouvons plus prier, nous devons faire quelque chose et devons le faire maintenant. Je dois entrer directement dans ce message pour que vous sachiez d'où je viens. Je ne saurais trop insister sur ce que j’ai appris sur l’eau de mes aînés lors de leurs cérémonies. Beaucoup de gens ne pensent pas que l'eau est vivante ou ait un esprit. Mon peuple pense que c'est vrai2 .
Blue Sandford, appelée la Greta Thunberg du Royaume Uni, décida d’arrêter l’école et de devenir une activiste du climat à 14 ans. Dans un entretien pour Euronews elle affirma que, lorsqu’elle va avoir 40 ans, il y aura des problèmes d’approvisionnement de l’eau. Alors – dit-elle – il vaut mieux changer cela maintenant que d’aller à l’école comme si de rien n’était. Certains experts critiquent cette position en disant qu’il vaut mieux aller à l’école, se former en Sciences de l’Environnement et ensuite participer à des décisions globales, une fois devenue adulte. Ces adolescentes disent qu’on n’a pas le temps et qu’il faut agir. Elles accusent les adultes de ne pas leur donner le temps dont elles ont besoin pour grandir. Elles manifestent un profond sentiment de solitude face à la tragédie de la planète.
Iris Duquesne, une Bordelaise de 16 ans, a défilé dans les rues de New York lors du sommet pour le climat. Elle brandissait une pancarte où il était écrit en français : « Sauve la planète, mange un lobbyiste ». Le slogan ancré dans la pulsion orale montre comment la question de ce qu’on met dans sa bouche devient centrale dans le discours de ces jeunes activistes du climat.
Elle raconte son histoire de mobilisation en disant :
J’avais seulement 13, 14 ans, je voulais faire quelque chose de concret mais je ne savais pas quoi. Le déclic, c’est vraiment quand Greta Thunberg a commencé à être connue. J’ai pris conscience qu’il était possible de s’exprimer et d’être entendue, même si l’on n’est pas adulte.
Je trouve que la jeune génération n’est pas assez entendue, alors qu’elle est concernée au premier plan3 .
Pendant longtemps, on a dit que les adultes avaient des choses à apprendre aux enfants. Il est temps de réaliser que nous avons aussi des choses à apprendre aux adultes4 .
Greta, Autumn, Blue et Iris signalent la destitution d’un lien avec le monde habitable (dans les mots de Zarka : la Terre-sol) (2013) dont les adultes, traditionnellement, ont été responsables par voie de l’éducation et de la transmission. Elles dénoncent l’attitude immorale des certains adultes face à l’écocide. Comme Hans Jonas, elles appellent au principe de responsabilité. Elles revendiquent aussi la perte de l’autorité de la tradition culturelle du respect pour la nature.
Ces petites disent être seules face à la dévastation de la Terre. Où sont les adultes pour les protéger ? L’école comme skholé, une place libérée des soucis du monde, n’a plus de sens lorsque les enfants doivent subir la responsabilité que les adultes n’assument pas. Les adultes sont censés mener les enfants à l’école, et s’occuper de l’économie et de la politique, (la Vita Activa comme disait Hannah Arendt) pendant que les petits apprennent pour changer, plus tard, les choses qu’ils n’ont pas bien faites. Aujourd’hui, selon ces adolescentes, ce scénario a été renversé. Une grave crise de confiance entre générations a eu lieu. Ces enfants se demandent où sont les adultes pour prendre en charge leurs angoisses face à la détresse de la planète. C’est pourquoi elles ne peuvent pas continuer à l’école. Il faut grandir vite. Il faut agir, mobiliser les gens dans la rue. Blue Sandford, membre du mouvement Extinction Rebellion, propose comme but la mobilisation de 3,5% de la population pour achever le changement du système. Il faut remplacer les adultes irresponsables et devenir les agents de la mobilisation politique partout dans le monde. Cela fonctionne comme une vérité qui s’impose à tous.
Dans son entretien avec le président de la République Française, filmé lors du documentaire « Je suis Greta » (2020), Greta Thunberg lui explique qu’il faut soutenir les peuples du monde pour sortir de cette crise. Le Président assent mais il est distrait. À un moment donné, elle lui rappelle qu’il est l’heure de partir, il va arriver en retard au rendez-vous qu’il a tout suite. Il est enjoué, comme un enfant qui rigole avec quelqu’un de très jeune faisant l’adulte. Il lui demande comment elle fait à l’école. Elle répond qu’elle fait ses devoirs, et que l’école la soutient beaucoup. Il lui demande si elle voyage beaucoup. Elle répond quelque fois. Il dit : toujours en train, avec un sourire. Elle répond oui, toujours en train. Et dans les trains, vous lisez beaucoup ? Elle répond oui, je lis tout le temps, « I am quite a nerd. » Le Président rit. C’est le rire un peu angoissé de l’adulte, qui ne sait pas comment prendre la position d’une enfant trop sérieuse. Cette scène fait penser à la phrase de Hamlet si répétée par Derrida : « the time is out of joint », le temps est disjoint. Le Président de la République semble un enfant. L’enfant, c’est le sérieux. Elle est si sérieuse qu’elle fait rire. Voilà où nous en sommes.
L’exception d’un monde sans adultes, l’angoisse qui pousse ces enfants hors de l’école, la conscience de la fin, sont des aspects essentiels de la situation actuelle que la Philosophie de l’Éducation devrait envisager comme une priorité. Yves-Charles Zarka (2013) propose de demander à la Philosophie quelle est sa position face à la tragédie de la Terre. Peut-être faudrait-il chercher une forme nouvelle pour poser les problèmes, au-delà de la morale explicite des adolescents et du reproche aux adultes, au-delà d’une pensée catastrophique ou d’une mobilisation permanente qui propose de manger les lobbyistes ? La natalité, la généalogie, le rapport avec le passé et l’espérance du devenir sont en panne. Mais aussi la relation éducative classique entre maître et disciple. Quel questionnement à l’éthique individuelle pose de nos jours cette morale adolescente ? Comment peut-on analyser la faille de la place des adultes signalée par ces jeunes filles ? Quelle pourrait être la contribution de la Philosophie de l’Éducation à ce problème ?
Je propose ici une thèse centrale : ce qui, chez les plus jeunes, produit un phénomène de détresse face au devenir est précisément ce que Françoise Waquet (2008) appelait la rupture de l’expérience de la filiation éducative, Walter Benjamin la pauvreté et Martin Heidegger la dévastation du monde. En d’autres mots, la pauvreté consisterait, justement, en cet oubli de la filiation comme expérience relationnelle, vivante, qui a cédé la place à ce que Heidegger décrivait comme une désertification de l’être (une perte d’amplitude du monde). L’attitude des jeunes vis-à-vis du réchauffement climatique ne serait qu’une modalité extrême de cet événement essentiel. Comme disait Heidegger, la guerre n’est pas la cause de la dévastation, mais une de ses conséquences majeures. On pourrait ainsi affirmer que la morale des adolescents sur le réchauffement climatique, ce reproche aux adultes dans la base de leur discours, serait, en elle-même, une conséquence de la rupture des liens de transmission, dans un monde orienté vers ses seuls buts (ses résultats) qui ne s’aperçoit pas de la pauvreté symbolique que lui-même contribue à produire. On pourrait utiliser l’expression heideggérienne « désertisation de l’être de l’étant » comme une façon poétique de décrire ce même problème.
La Philosophie de l’Éducation devrait approcher cette question en prenant une perspective intellectuelle (une certaine distance) par rapport aux dits des jeunes activistes mais, en même temps, elle devrait essayer d’identifier sous quelles conditions il serait possible de restaurer la filiation comme expérience éducative, capable de confronter la crise de confiance entre les générations pour faire face, ensemble, au problème de la Terre.
Pour ce faire, je vais chercher des critères d’analyse dans quelques ouvrages philosophiques qui me semblent convenables, puisqu’il s’agit des textes qui nous donnent des indications précieuses par rapport à notre époque : Expérience et pauvreté (1933) de Walter Benjamin, et La dévastation et l’attente (1945) de Martin Heidegger. Je vais aussi suivre les travaux historiques de F. Waquet (2008) et l’approche d’Yves-Charles Zarka (2013) sur l’inappropriabilité de la Terre.
Heidegger et Benjamin sont deux auteurs qui ont connu ce que la dévastation peut faire au monde : le deuxième dans sa propre responsabilité méchante pendant la guerre et le premier comme victime de la tragédie qui l’a emporté.
Je propose donc un parcours philosophique en trois points :
1- la filiation éducative comme expérience et sa rupture contemporaine (sa pauvreté) ;
2- le concept de dévastation et l’attente existentielle ;
3- une herméneutique de la dévastation du monde.
Morale adolescente et rupture avec les modes de filiation éducative : une nouvelle pauvreté ?
Dans Expérience et pauvreté (1933) – beaucoup plus qu’une préparation pour son texte Le Narrateur – Benjamin souligne cette feinte entre générations concernant la perte de l’expérience :
On savait exactement ce qu’était l’expérience : toujours les gens plus âgés l’avaient transmise aux gens plus jeunes. Brièvement, avec l’autorité de l’âge, sous forme de proverbes ; d’une manière prolixe, la parole facile, sous forme d’histoires ; parfois sous forme de récits de pays étrangers, qu’on faisait près de la cheminée, devant fils et petits-enfants. – Où est donc passé tout cela ? Qui tombe encore aujourd’hui sur des gens capables de raconter quelque chose avec honnêteté ? (p. 37-38)
La parole facile, sous forme d’histoires, est une des dimensions du langage inter-générationnel oublié derrière le langage pédagogique des compétences et l’hégémonie des langages scientifiques et techniques. Ces adolescentes activistes dominent le langage de la science pour revendiquer l’état d’urgence de la planète. Elles ont raison. Elles s’en servent. Toutefois, la certitude des données scientifiques s’accompagne d’une idée de la morale très précise, qu’elles décrivent assez bien sans faille. Comme dit Greta : « On vous surveille. Tout n’est pas bien. Je ne devrais pas être ici, je devrais être à l’école ». De même, Blue Sandford critique l’attitude des adultes, occupés à dissoudre leur culpabilité et de justifier le fait de « continuer à vivre des vies carbo-intensives sans vraiment se questionner » (2020, p. 7).
Dans Les paradoxes de la morale (1981, p. 32-33), V. Jankélévitch décrivait le discours de la morale non pas comme le système de coutumes mais plutôt comme une objection à ce que nous avons toujours fait. La morale a donc à voir avec l’expérience des confins et des limites de notre pratique à tous. Nous sommes habitués à vivre avec une petite mauvaise conscience et à l’apaiser en faisant des petits actes qui soulagent le sentiment d’être coupables, et en même temps nous empêchent d’y penser, ou d’aller au-delà. C’est pourquoi le titre du livre de Blue Sandford résume ce problème sous la forme d’une invocation : challenge everything, défiez tout. Il n’y a plus de pratiques communes face au défi de sauver la planète. Il faut questionner toutes les bases connues. En même temps, ce reproche moral aux adultes de la part de ces jeunes adolescentes repose sur une certitude profonde et l’indignation qui l’inspire. Il s’agit d’une certitude radicale, non-dialectisable.
Blue Sandford parle de vérités, les vérités du XR (Extinction Rebellion), parmi lesquelles l’appartenance à une génération « qui n’a pas connu un climat stable » (2020, p. 16). Dans les vérités du mouvement XR, Sandford définit XR Youth comme « la voix jeune d’une révolte, une toile pour tous ceux qui sont nés après 1990 » (Ibid.). Nous pouvons identifier ici deux aspects de la morale : d’un côté, le questionnement du déjà-vu ; de l’autre, la certitude par rapport à ce qui est vrai et bon. Nous allons voir comment cette morale pourrait devenir une éthique qui puisse adoucir cette vérité absolue dont elle est issue.
Benjamin note bien dans son texte le problème de l’expérience comme une forme de rapport moral au monde. Il souligne que l’expérience de l’âge n’a plus de valeur dans un monde orienté vers la productivité des objets. Il décrit la détresse d’une génération qui a combattu dans la Première Guerre Mondiale :
Une génération qui était encore allée à l’école en tramways tirés par des chevaux s’est retrouvée à découvert dans un paysage où rien n’était épargné par le changement, si ce n’est les nuages et, au beau milieu de tout cela, dans un champ de forces traversé de flux destructeurs et d’explosions, l’infime et frêle corps humain. (2011, p. 39)
Benjamin souligne l’absence de voix et de mots pour communiquer la dévastation de la guerre. Lorsqu’une rupture se produit entre les générations, la pauvreté d’expérience devient un évènement de l’humanité sous la forme de ce qu’il désigne comme une « nouvelle » barbarie. En quoi consiste, donc, cette nouvelle barbarie ? En le fait de ne pas s’apercevoir de la « pauvreté des expériences communicables » (Ibid., p. 42). La croyance de pouvoir recommencer à zéro, propre à la modernité qu’il critique (le discours sur l’innovation éducative en serait le mode pédagogique), devient l’essentiel dans un monde qui a coupé tout lien avec l’héritage reçu et, pour cette raison, est devenu plus pauvre :
Pauvreté d’expérience. Il ne faut pas comprendre cela comme si les hommes aspiraient à une nouvelle expérience. Non, ils aspirent au contraire, à se libérer de l’expérience, ils aspirent à un environnement dans lequel ils puissent mettre en valeur leur pauvreté de façon pure et explicite […] de telle sorte qu’il en ressorte quelque chose de respectable (Ibid., p. 49).
La pauvreté d’expérience devient un phénomène de rupture avec le patrimoine de l’humanité : Benjamin signale la culture comme le point le plus touché par cette impossibilité de dire l’expérience (ou par cette exclusion de toute expérience). Il y a dans le discours de ces adolescentes une tentative de raconter aux adultes ce qu’ils ne sont pas capables de se dire : qu’ils vivent dans la pauvreté d’expérience la plus radicale. Comment donner un contenu à cette notion philosophique en prenant compte du témoignage de ces adolescentes-activistes pour le climat ? Le petit texte de Benjamin propose une prise de conscience des effets de cette exclusion de l’expérience et de l’autorité des âges de la vie.
Ce qui frappe le lecteur d’Expérience et pauvreté en 2021 c’est de constater la valeur de son interrogation au présent. La perte de l’expérience a produit des effets qui sombrent et sur les plus jeunes, et sur les adultes, et sur l’éducation. Le discours des compétences a brisé tout autre discours courant (dans le sens de quelque chose qui puisse faire circuler les paroles librement). Mais en même temps, Benjamin ne croit pas à la possibilité de recommencer à zéro. Il faudrait plutôt et en première instance, s’apercevoir de cette pauvreté, pour relier ce que nous ne pouvons pas dire avec les récits du passé ou de la tradition. Ce renouement avec la tradition des peuples, sous la forme d’un animisme perdu, c’est exactement ce que fait la petite canadienne Peltier, qui réclame l’eau comme une source pour nourrir l’âme collective de son peuple : « ce que j’ai appris sur l’eau de mes aînés lors de leurs cérémonies. Beaucoup de gens ne pensent pas que l'eau est vivante ou ait un esprit. Mon peuple pense que c'est vrai. » Autrement dit, elle rend de la valeur symbolique à une ressource marchandisée, orientée vers la production. C’est précisément ce que Yves-Charles Zarka décrit comme une nécessaire opération de substitution de la valeur au prix : « c’est-à-dire de remettre en cause l’universalisation de la marchandisation des choses et des êtres » (2013, ch. 2).
Revenons à l’éducation. Comment utiliser la notion benjamienne de pauvreté du côté de l’expérience éducative ? Dans son travail sur la filiation éducative (en un parcours historique qui va du XVIIe siècle jusqu’à nous jours) l’historienne Françoise Waquet souligne la dimension expérientielle entre maître et disciple, dimension perdue à l’époque contemporaine. La filiation éducative est plus qu’un lien d’échange, elle est une relation d’âme qui doit être vécue. C’est quelque chose d’expérientiel et de vivant. À travers l’étude des « para-textes » (signatures, hommages, notes, héritages, etc.) que maîtres et disciples ont écrits à travers les siècles, elle déploie la relation de filiation comme une forme d’expérience qui relève d’une appartenance symbolique au savoir de l’autre. Les disciples logent leur savoir dans celui du maître. Comme dirait l’anthropologue catalan Lluís Duch (1997), le savoir du maître (voire de l’éducateur) devient une pratique de régulation de la contingence existentielle (on pourrait tout aussi bien dire de la vulnérabilité du monde). Le savoir du maître et son témoignage constituent des places symboliques où le disciple peut être accueilli. Ainsi, l’expérience de la filiation serait aussi un mode pour vivifier le savoir par la transmission d’un patrimoine d’idées à faire avancer, à questionner :
Nourrir, éduquer, protéger, ces fonctions dévolues à la famille, le maître les assure en formant, guidant, aidant le disciple. Comme le père allaitant des récits populaires et mythiques, le maître nourrit le disciple en lui transmettant le savoir (Waquet, 2008, p. 172).
La filiation comme expérience s’ouvre aussi à la procréation dans le sens de l’engendrement d’un savoir spirituel qui se répand sous une forme généalogique. Cela n’a rien à voir avec la fonction des experts dans la société actuelle, que nous avons vu se rendre aux conférences de presse avec les statistiques sur la pointe des doigts. Au contraire, l’idée de la transmission a toujours eu un sous-bassement familial qui ne peut pas être comptabilisé. Cependant, ce côté patrilinéaire de la transmission du savoir reste fort touché au XXIe siècle, là où le problème qui se pose est celui de l’émancipation et où le patriarcat devient nul. Dans la troisième partie de son ouvrage, Waquet signale les difficultés de la relation maître-disciple à l’époque contemporaine. Elle distingue notamment trois variables centrales de la filiation : dire et montrer ; donner ; produire et reproduire. Tout particulièrement important serait le don dans la transmission :
[…] ce qui est l’essentiel et le meilleur de la transmission se donne. Aucun paiement n’est ici exigé, qu’on le sache ; les conversations ne sont pas tarifées, pas plus que les multiples conseils, aides et appuis. […] dans ce monde, ce à quoi les disciples accordent le plus de prix, c’est ce qui leur a été donné (Ibid., p. 245).
Par contre, dans le monde contemporain, nous assistons à une dévalorisation de la relation maître-disciple comme modalité généalogique : au lieu de dire et montrer, on donne de l’information ; au lieu de donner dans le sens de la gratuité du don (le maître ne compte pas les heures d’attention personnalisée), on échange ou fait de la médiation ; par contre, produire et reproduire sont devenus les axes centraux de la dimension instructive de l’éducation de nos jours. L’idée du groupe de travail ou de recherche est venue remplacer la filiation comme expérience, les rubriques d’évaluation la relation entre maître et disciple. Waquet pose comme exemple Pierre Bourdieu, qui se faisait appeler entraîneur par ses élèves, qu’il désignait comme apprentis, pour ne pas tomber dans l’ancien régime des maîtres et disciples. De cette façon, dit Waquet, de nos jours : « les mots disciples et maîtres sont toujours connotés négativement, renvoyant à une relation servile ou tyrannique » (Ibid. p. 288).
Ou bien :
Maître renvoie à une réalité dépassée car jugée antidémocratique.
[…] ainsi, l’affaiblissement de l’autorité dont témoigne la société dans son ensemble a gagné la sphère intellectuelle et l’ordre pédagogique où le contractualisme qui formaliserait désormais la relation directeur de thèse-doctorant en est la marque la plus spectaculaire (Ibid. p. 291).
Waquet identifie quelques incidences du changement dans l’économie du savoir à l’heure actuelle. D’abord, le savoir éclaté, dissout en « une masse foisonnante de produits et d’informations ». Le savoir est parcellé. Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer un maître qui puisse offrir une transmission au disciple dans le sens d’un savoir où il/elle puisse loger : « Bien plus, dans un monde du flou et de l’incertain où, pour reprendre l’expression d’Antoine Prost, "toutes les histoires sont possibles", l’idée même de maître perd en substance. » (Ibid. p. 293)
Blue Sandford signale ce point flou des discours courants dans son manuel d’activisme pour le climat lorsqu’elle écrit les grands principes de la XR, « The XR (Extintion Rebellion) Youth Truths » :
Les adultes sont souvent choqués lorsque les enfants et les jeunes sont informés et proactifs et l'histoire (petite, impuissante, d’enfant innocent contre grande et puissante entreprise) devient du gagne-pain pour un journaliste5 (2020, p. 24).
Et aussi ces principes généraux (présentés comme « vérités » de la révolte contre l’extinction) soulignent l’importance de connaître des informations précises pour combattre les entreprises qui ne contribuent pas au bien-être de l’environnement. De cette connaissance se déduira le type de mobilisation (boycott, signatures ou pétitions, etc.). Ici, les jeunes sont les meilleurs connaisseurs des pratiques économiques et politiques qui vont contre la survivance de la planète. Il n’empêche que cette clairvoyance par rapport à l’information met à ciel ouvert leur isolement, en quelque sorte, leur désinsertion par rapport au lien avec les plus âgés, disparus à l’horizon sauf pour devenir des ennemis. Elles n’envisagent que du lien avec leur génération (nés après 1990). C’est une communauté des jeunes qu’elles identifient, lieu d’appartenance primaire. Cela ne les empêche de souligner l’importance d’être capable de parler avec des gens qui ne pensent pas comme elles, avec le but de les convaincre, comme dit Sandford par rapport au XR : « comme environnementaliste c’est important d’apprendre comment parler à des gens avec des points de vue différents » (Ibid., p. 66).
Nous avons déjà approché la question de la crise dans la transmission du savoir dans un travail paru chez Ars Brevis (Pagès, 2011, p. 116-137) où nous avons souligné la dimension du « savoir relationnel » versus le « savoir absolu ». Cette distinction a été faite par Jean-Claude Milner dans son texte classique De l’école (1984). Le savoir relationnel s’inscrit dans une ouverture à autre chose, peut-être ce que nous n’avons pas encore compris ou entendu. Dans le savoir absolu la phrase serait « je sais » tandis que dans le savoir relationnel, s’instaure le « je sais que ». En introduisant un complément direct dans la phrase la professeure peut aussi révéler quelle serait sa position par rapport au savoir, autrement dit, à quel point le savoir produit des effets dans ce qu’elle est. La question – la pauvreté – éducative de nos jours serait la production d’un savoir absolu orienté presque uniquement vers l’activité : « je sais » serait remplacé par « je fais ». Cela coïncide avec le discours des compétences pédagogiques. J’ai signalé ce phénomène dans ma réflexion sur l’aliénation de l’enfance et les compétences pédagogiques :
La compétitivité des enfants se dessine non seulement sur le fond d’un devoir – un renoncement aux satisfactions immédiates de l’enfance et au principe de plaisir qui les inspire – mais sur le fond d’un pouvoir-devoir – un épanouissement forcé de leurs possibilités et potentialités. Tyson E. Lewis parlera de « l’instrumentalisation des potentialités dans les mouvements des réformes éducatives des États-Unis et de l’Europe » orientée vers une « compétitivité matérielle ». Il faut donc que l’enfant gère son activité et ses modalités d’exploration du monde, et qu’il devienne autonome, dans le cadre de cette capacité de « gestion des autres ». Il doit apprendre à décider et à devenir « lui-même » : assertif et compétent. L’exclusion du langage et de l’expérience propres à l’enfance va nous orienter vers les fondements de cette aliénation6 .
Les jeunes filles activistes ont identifié le mot d’ordre de notre temps : il faut faire. Elles ont bien vu l’importance d’agir d’une façon autonome. Dans les mots de Sandford : « nous valorisons réfléchir et apprendre, en suivant un cycle d’action, réflexion, apprentissage et planification pour plus d’action (apprendre d’autres mouvements et contextes aussi bien que de notre propre expérience). » (2020, p. 12)
Dans son texte La dévastation et l’attente (1945) Heidegger raconte l’histoire de deux prisonniers en Russie, après la Guerre. Nous ne savons pas leurs noms. Ils s’appellent « le plus jeune » et « le plus âgé ». Ils sont enfermés dans un camp de prisonniers. Au loin, il y a une forêt. Le dialogue s’entame à propos de ce qui arrive comme amplitude de la forêt, près de la colonne de prisonniers. Le plus jeune commence ainsi :
Comme tôt ce matin nous marchions en colonne vers notre lieu de travail, soudain m’envahit quelque chose de salutaire, venu du bruissement de l’ample et profonde forêt (Heidegger, 2006, p. 17).
Ce texte est le dernier de la série d’Entretiens sur un chemin de campagne. Malgré la résistance qu’on subit au moment de prendre dans les mains un texte de Heidegger après les Cahiers Noirs, j’ai décidé de l’utiliser comme référence pour la notion de dévastation. Ce mot, dévastation, est utilisé par les jeunes activistes d’une façon évidente comme une dénomination de la détresse de la Planète (et de leur propre détresse face à la tragédie).
Heidegger construit un dialogue assez affectueux entre les deux représentants des générations. Les deux hommes se trouvent enfermés dans le champ de prisonniers, et ils manifestent une vulnérabilité extrême face au monde. Lorsque le plus jeune formule la question autour de ce que la forêt lui inspire (« j’ai éprouvé autrement que dans l’horizon de ce que la forêt a laissé avoir lieu ») (Ibid., p. 19) le plus âgé répond ainsi : « Il faudrait cependant, pour comprendre ce qui t’est arrivé de salutaire, que je sache ce qui est blessé en toi. » La blessure dont parle ici le plus âgé c’est la guerre – « la manière dont notre propre peuple s’est aveuglément fourvoyé en se laissant conduire dans l’errance ». Le mot dévastation apparaît pour la première fois dans cette phrase associée à la blessure. Quelle serait la blessure chez ces jeunes adolescentes activistes du climat ? Elles éprouvent un sentiment de solitude face à la fin du monde, tout comme une angoisse dans la conscience de la fin de la planète.
Heidegger définit la dévastation comme un événement qui ne peut pas se réduire à l’indignation morale. Il s’agit de quelque chose qui « nous saisit d’avance dans l’ampleur de son avenance. » (Ibid., p. 26) Voici une approche intéressante pour notre sujet. Il s’agit d’une malignité « d’une tout autre provenance que celle de la moralité des mœurs. » (Ibid., p. 21) Dans le cas qui nous occupe, on pourrait très bien affirmer que le combat pour le climat n’est qu’une des manifestations d’une tragédie bien plus vaste, qui n’affecte pas seulement les jeunes mais aussi les adultes distraits. Le reproche moral n’est qu’une petite partie d’un événement qui va au-delà des confins du réchauffement de la planète. Se référer à la vie comme carbo-intense ou écologique (Sandford dit littéralement « une culture régénérative, salutaire, résiliente et adaptative ») (2020, p. 12) est aussi une façon de préciser la dévastation qui la précède.
Le plus âgé dit : « toute indignation morale, même si elle fait de la publicité de l’espace mondial son porte-voix, ne peut rien face à la dévastation. » (Heidegger, 2006, p. 23) Et il ajoute : « Dévastation nous dit pourtant bien que tout, le monde, l’être humain, la terre, est dé-vasté, c’est-à-dire transformé en désert. » (Ibid., p. 27)
Il s’agit d’une désertisation de toute vie, une désertisation de l’être : « Sous l’apparence d’une vie de plus en plus assurée, d’une vie de plus en plus intense, c’est un abandon – si ce n’est même un empêchement – de la vie qui pourrait advenir. » (Ibid., p. 29)
Dans ce texte le philosophe souligne à quel point cette désertisation de l’être transforme l’étant en un « état de satisfaction d’une vie standard comme fin suprême de l’existence. » (Ibid., p. 31) Si on déplace cette approche aux conditions de la rupture de la filiation et la pauvreté qui s’en suit, on pourrait très bien associer l’idée de la dévastation au moment actuel. Il ne s’agit donc pas d’une culpabilité dans le sens moral mais d’un phénomène global, auquel tout le monde participe, autrement dit, en est partie prenante. Les adolescents de même.
Ce qui est touché dans cette précipitation morale de la jeunesse est justement – dira le plus âgé – l’urgence d’arriver au point qu’on attend, la croyance qu’on peut tout faire rationnellement en articulant la pensée au monde. Hélas ! Quelque chose échappe à ce maniement des choses. Levinas, dans Le temps et l’autre (1948) proposait aussi de laisser tomber cette pensée du contrôle et de la domination pour y introduire le sommeil, le point où la conscience se détache de l’objet tout-puissant. Dans La dévastation et l’attente, le plus âgé dit : « elle était là cette véritable jeunesse, qui, comme en tout temps toute véritable jeunesse, aurait pu remonter aux anciens pour penser loin au-devant, par-delà eux – si seulement elle avait justement eu le droit d’être jeunesse. » (Heidegger, 2006, p. 39)
Le droit d’être jeune manque à la certitude de la faille des adultes que ces adolescentes expriment si clairement. Les jeunes sont concernés par leur rapport au vivant, rapport que le monde des adultes n’est pas capable de nourrir. La proposition de l’attente comme mode existentiel – opposé au s’attendre à – chez Heidegger, et le sommeil opposé à l’insomnie chez Levinas signalent le problème de penser le monde comme objet de soumission instrumentale, contesté par ces jeunes activistes. Par-delà la domination du monde (ce que les activistes identifient avec le mot exploitation) il y a l’attente comme une forme de rester ouverts à l’inutile. C’est justement à cette question que les adultes doivent se confronter, mais aussi le problème où les jeunes se trouvent embrouillés, en répondant avec des certitudes plus ou moins catastrophiques à la distraction des adultes qui, tel le Président de la République dans son rendez-vous avec Greta Thunberg, doivent être prévenus avant d’arriver en retard à leur prochaine réunion.
Le rapport à l’inutile est difficile et pour les jeunes et pour les adultes. Quelle en serait la raison principale ? La dévastation comme obstacle au vivant empêche l’amplitude de la forêt de venir comme ouverture au monde, tout en clôturant les possibilités pour l’a-venir. Cette dévastation inclut le silence des adultes représenté par le Secrétaire Général de l’ONU en 2019, Antonio Guterres après le discours de Greta Thunberg.
Heidegger propose une issue pour cette précipitation de la jeunesse, reflet de l’urgence du moment :
On dit il est vrai que la jeunesse est impétueuse et qu’elle ne peut pas attendre. Il me semble pourtant que l’impétuosité de la jeunesse ne surgit dans l’a-venir qu’à partir de l’attente encore rebelle dont elle est la première floraison que les anciens doivent protéger des gelées intempestives en laissant se décanter dans la jeunesse ce qui attend en elle et, en le mettant en chemin, au lieu de l’étouffer et de fausser cette attente en la faisant s’attendre à quelque chose pour finalement en abuser (Ibid., p. 40).
Pour une herméneutique de la dévastation du monde
Dans ce parcours en trois points nous avons souligné que la morale des adolescentes activistes du climat répond à l’exclusion de l’expérience de filiation en éducation et à la présence du sentiment de la dévastation du monde. Ces deux aspects précèdent l’activisme contre le climat propre à ces jeunes filles. Le fil qui lie les générations a été coupé. Comment pourrait s’y prendre la Philosophie de l’Education, en tant que discours sur les limites de l’éducation protocolisée, dans sa condition d’herméneutique de la dévastation du monde7 ?
Yves-Charles Zarka propose la notion d’inappropriabilité de la Terre comme un noyau conceptuel pour éclaircir la situation au présent. Quelque chose de l’inappropriable de l’éducation devrait aussi bien se mettre en route pour envisager cette détresse des plus jeunes face aux certitudes de la science et des experts adultes.
Nous avons fait un diagnostic des conditions actuelles en prenant l’idée du manque d’amplitude dans le monde, développé par Heidegger dans son entretien de campagne entre le plus âgé et le plus jeune. Nous avons aussi souligné la pauvreté comme le produit de l’exclusion de l’expérience de la filiation et son lien au savoir symbolique et à la parole libre.
Dans ce dernier point du parcours, nous allons proposer quelques orientations à envisager par la Philosophie de l’Éducation sur la dévastation du monde prise comme une métaphore, c’est-à-dire, un outil philosophique qui nous permet de traverser une pluralité d’expériences utilisant le langage figuratif (voire poétique) comme une voie pour atteindre une vérité (Pagès, 2021, p. 12). Dans ce sens, une herméneutique de la dévastation du monde pourrait aborder les points suivants :
- Réintroduire le problème du vivant dans l’expérience éducative, au-delà des protocoles et du discours compétentiel orientés vers la possession et l’objectification du monde (voire son explotation). Un certain phénomène d’ubérisation de l’action éducative empêche de donner un nouvel élan à la parole libre entre maître et disciple. Il faut redonner de la valeur à la parole non-enregistrée. Dans les mots de Paul Ricoeur, cité par F. Waquet :
Qu’est-ce que je fais quand j’enseigne ? Je parle. […] La parole est mon travail, la parole est mon royaume. Cette communication par la parole d’un savoir acquis et d’une recherche en mouvement est ma raison d’être : mon métier et mon honneur. […] Mon réel et ma vie, c’est l’empire des mots, des phrases et des discours8 .
- Entamer un dialogue avec les jeunes où les questions philosophiques (vivre ensemble, se parler) puissent briser les certitudes des solutions définitives. Il faut prendre les enfants au sérieux, pouvoir leur parler sans distractions, mais aussi en quelque sorte faire un trou dans leur morale, qui recouvre l’angoisse qu’elles ressentent. Comme dit Pierre Zaoui, en parlant de L’angoisse du lycéen : « Source de certitude, l’angoisse serait du même coup source de l’action. » (2006, p. 50) Zaoui pointe également l’importance d’identifier l’angoisse au-delà de ce que le système éducatif, concernant les lycées des banlieues, décrit comme « classes dangereuses ». Quelque chose de pareil pourrait être dit sur les enfants et jeunes au combat pour le climat. Certains adultes recouvrent l’angoisse de ces enfants en disant qu’ils sont immatures et devraient s’occuper d’autre chose.
- Analyser et discuter le rapport des jeunes avec le discours scientifique en introduisant quelques interrogations par rapport aux connaissances de la science sur l’environnement, et de cette façon en les orientant vers la recherche d’autres issues possibles.
- Poser, dans les milieux éducatifs, la question éthique sur l’Altérité (en y comprenant les jeunes, l’humanité et la Terre) dans la direction de ce que Zarka appelle la relationnalité cosmopolitique :
La question centrale ici concerne le dépassement de l’opposition philosophique entre une pensée du vivant (sciences du vivant) et une pensée de l’existence et du sens (phénoménologie). Autrement dit, il s’agit d’ouvrir une voie qui assume à la fois l’inscription de l’homme dans le vivant et la question du sens (2013, Introduction).
Ces questions pourraient se résumer en une seule phrase, par rapport à la certitude de la dévastation du monde et la morale qui s’en déduit. Il s’agirait de la bousculer un peu, comme la phrase qu’adresse le plus âgé au plus jeune dans le récit de Heidegger : « que je sache ce qui est blessé en toi. » Nous n’affirmons pas que les jeunes n’aient pas raison par rapport aux soucis qu’elles expriment : il s’agit, toutefois, de donner une certaine amplitude aux vérités qui les amenuisent.
Bibliographie
Benjamin, W. (2011). Expérience et pauvreté. Payot.
Duch, Ll. (1997). La educación y la crisis de la modernidad. Paidós.
Heidegger, M. (2006). La dévastation et l’attente. Entretien sur le chemin de campagne. Gallimard.
Jankélévitch, V. (1981). Les paradoxes de la morale. Seuil.
Lévinas, E. (1948). Le temps et l’autre. PUF.
Milner, J.C. (2009). De l’école. Verdier.
Pagès, A. (2011). Qui parla ? Filiació intellectual i transmissió de saber a l’època del power-point. Ars Brevis, n° 17, 116-137.
Pagès, A. (2016). Actualidad de la hermenéutica como filosofía de la educación. Revista Española de Pedagogía, n. 279, 265-281.
Pagès, A. (2018). Aliénation de l’enfance et compétences pédagogiques. Nouvelles enfances aliénées. Illusio, n° 18.
Pagès, A. (2021). A history of Western Philosophy of Education in the Contemporary Landscape, in Pagès, A. (ed.). Series on Western History of Philosophy of Education, Volume V. Bloomsbury.
Sandford, B. (2020). Challenge Everything : The Extinction Rebellion Youth Guide to Saving the Planet. Pavilion.
Waquet, F. (2008). Les enfants de Socrate. Filiation intellectuelle et transmission du savoir XVIIe-XXIe siècle. Albin Michel.
Waquet, F. (2009). La parole, le savoir, la filiation, enquête historique. La Cause Freudienne, n° 72, 215-231.
Zaoui, P. (2006). L’angoisse du lycéen. La Cause Freudienne, n° 64, 47-52.
Zarka, Y.-Ch. (2013). L’inappropriabilité de la Terre. Principe d’une réfondation philosophique. Armand Colin.
Notes
- [←1 ]
- [←2 ]
- [←3 ]
Entretien avec Iris Duquesne dans Wedemain : https://www.wedemain.fr/respirer/qui-est-iris-duquesne-la-jeune-bordelaise-qui-milite-au-cote-de-greta-thunberg_a4306-html/
- [←4 ]
Ibid. Voir aussi : https://eu.usatoday.com/story/news/world/2019/09/26/meet-greta-thunberg-young-climate-activists-filed-complaint-united-nations/2440431001/
- [←5 ]
« Adults are often shocked when children and young people are informed and proactive and the story (small, helpless, innocent child versus big, powerful corporation) is bread and butter to a journalist. »
- [←6 ]
J’ai développé cette question dans l’article : Aliénation de l’enfance et compétences pédagogiques. Illusio n° 18, 2018, p. 215.
- [←7 ]
J’ai développé cette idée dans mon article en espagnol : Actualidad de la Hermenéutica como Filosofía de la Educación, Revista Española de Pedagogía, n. 279, 2016.
- [←8 ]
Ricoeur, P. (1955). La parole est mon royaume. Esprit, 223, février 1955, p. 192. Cité par F. Waquet (2009) dans La parole, le savoir, la filiation, enquête historique, La Cause Freudienne, n° 72, p. 218.
Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292