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Présentation du dossier
Le dossier de ce numéro 2 d’Arphé nous plonge délibérément dans l’actualité et même dans l’urgence puisqu’il s’agit de penser l’éducation au risque de la catastrophe.
Le dérèglement climatique est à présent chose admise. Si quelques politiques et une frange de l’opinion publique se revendiquent encore climato-sceptiques, les controverses proprement scientifiques ne concernent que la part plus ou moins importante de l’activité humaine dans ce processus ainsi que l’ampleur de ses conséquences possibles sur les sociétés et plus largement la vie sur Terre. Scientifiques, politiques et média se partagent également au sujet de la manière plus ou moins dramatique avec laquelle il importe de mobiliser les gens à propos de perspectives plus ou moins proches ou plus ou moins lointaines de changement de mode de vie, voire d’effondrement des sociétés. Ces différences d’appréciation donnent lieu à débats sur les précautions à prendre pour ralentir le processus, à défaut de pouvoir l’enrayer, et sur les politiques à mener pour en atténuer les conséquences aussi bien météorologiques qu’économiques, financières ou géopolitiques. De tout ceci découle un mélange paradoxal de certitudes et d’incertitudes : la certitude d’un avenir incertain, celle d’une fin du monde possible si nous n’agissons pas. Dans un mélange de savoirs et de croyances, nous éprouvons désormais que notre civilisation est mortelle.
Que peut bien signifier éduquer les jeunes pour un monde que l’on sait d’une extrême fragilité́, voire menacé d’effondrement et quand ce sont les jeunes qui semblent faire la leçon aux politiques et aux enseignants en les sommant d’écouter les experts et d’engager leur responsabilité́ d’adultes. À ceux qui voudraient la renvoyer à l’école et la faire taire Greta Thunberg rétorque : « nous ferons nos devoirs quand vous ferez les vôtres » !
Première partie : L’éducation au risque de la catastrophe
Le discours apocalyptique de l’effondrement bat son plein, retrouvant toutes les ressources de la mythologie millénariste et substituant le paradigme christique du salut au paradigme prométhéen. Comment faire la part de l’irrationnel et du rationnel dans les catastrophes annoncées ? Et comment naviguer entre déraison et déni ?
Étant donné les débats quant à la part de l’homme dans le phénomène, quant à son urgence et à l’ampleur des conséquences que l’on peut en attendre, il importe sans doute d’étudier, avant même d’envisager des propositions éducatives, comment et dans quel contexte scientifique, idéologique, politique, s’élabore la problématique de ce qu’il faut bien appeler un avenir incertain, incertain de lui-même et de sa perpétuation. Quelles sont les ruptures épistémologiques qui conduisent de l’idée de progrès à celle d’effondrement, de la modernité́ prométhéenne à la « collapsologie » ? Comment le dualisme moderne de la nature et de la culture s’efface-t-il au profit de concepts hybrides comme celui d’anthropocène ?
Du point de vue éthique se font jour, au cours du XXe siècle, un certain nombre de reformulations conceptuelles : l’idée de responsabilité́ devant l’avenir et son interprétation juridique en principe de précaution, ou encore celle de risque, comme caractéristique majeure des sociétés industrielles. La menace d’effondrement semble restaurer la clôture du sens : nous devons éduquer pour un monde menacé. Mais cette restauration repose sur un double paradoxe. L’éducation ne semble plus déterminée par la transmission d’un patrimoine, mais en fonction d’un avenir dont la possibilité́ même est en jeu. De plus, les rapports entre générations sont bousculés : qu’en est-il de l’autorité́ des éducateurs quand ce sont les jeunes qui les appellent à prendre leurs responsabilités ?
Seconde partie : École et Anthropocène
Quel peut être le rôle de l’école dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’âge de l’Anthropocène ? Doit-elle préparer les jeunes au changement, voire à la survie, et selon quelles modalités ? Quel curriculum concevoir, quelles valeurs et quels savoirs promouvoir ? Peut-on dessiner quelques modèles éducatifs susceptibles de répondre aux exigences du temps ? Qu’autorise l’urgence ? L’embrigadement, l’engagement ou seulement la prise de conscience ?
Du point de vue de la philosophie politique, le rapport de l’homme aux animaux, au vivant en général et à la Terre se voit repensé dans un cadre tout à fait diffèrent de celui de la modernité́ avec les idées de coappartenance, voire de contrat naturel. La suprématie de l’espèce humaine se voit contestée par les tendances radicales de la pensée écologique. Dans une tout autre perspective, l’anthropocène est interprétée comme capitalocène, avec l’idée d’un néo-libéralisme de prédation, lié à « l’arraisonnement » ou « l’invasion technique ». Toute une économie politique table désormais sur l’idée de décroissance, promouvant l’idée d’une société́ sobre et économe. L’utopie d’une société́ fraternelle opposée la concurrence capitaliste se fait jour et cherche ses fondements dans une relecture critique du darwinisme.
Ces considérations épistémologiques, politiques et éthiques conduisent à un certain nombre de recommandations diverses et même contraires : limitation des besoins, retour à une simplicité́ des mœurs, voire retour à la nature, survivalisme individualisme ou communautaire, réorientation du potentiel d’illimitation prométhéenne vers des dimensions relationnelles de l’existence, utopies de géo-ingénierie. D’autres tendances promeuvent un renouveau éthique et même spirituel. Quelle valeur et quelle pertinence accorder à de telles propositions ?