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jeudi 29 février 2024
Pour citer ce texte : MIRAVETE, S. (2024). Bergson et l’éducation à la vie simple Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 4 ,
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Bergson et l’éducation à la vie simple
Sébastien Miravete
Chercheur associé au laboratoire MAPP (EA2626)
Université de Poitiers
Résumé : Comme on le sait, Bergson suggère à ses contemporains, en conclusion de son dernier grand livre, de redécouvrir la simplicité, c’est-à-dire une vie moins assujettie aux besoins artificiels de la société de consommation. Cette « frénésie » marchande nous fait perdre de vue en effet notre moi profond et celui des autres consciences. Mais comment conduire simplement une existence ? Quelles sont les solutions concrètes de Bergson ? L’objectif de ce travail est de montrer que la mise en place d’une législation internationale (garantissant une distribution équitable des ressources et une paix mondiale) ne suffit pas. La simplicité exige plus précisément d’être éduquée selon Bergson, parce qu’il n’est pas inné de se réaliser ou d’être sensible amicalement aux réalisations de soi de n’importe quel être humain.
Mots-clés
philosophie de l’éducation, Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, retour à la vie simple, réalisation de soi
Abstract : In the conclusion to his last major book, Bergson suggests that his contemporaries rediscover simplicity, i.e. a life less subject to the artificial needs of consumer society. This "frenzy" of consumerism makes us lose sight of our deepest self and those of other consciences. But how can we lead a simple existence? What are Bergson's concrete solutions? The aim of this work is to show that international legislation (guaranteeing equitable distribution of resources and world peace) is not enough. More precisely, according to Bergson, simplicity requires education, because it is not innate to be self-actualizing or to be amicably sensitive to the self-realizations of any human being.
Keywords
philosophy of education, Bergson, The Two Sources of Morality and Religion, return to simple life, self-realization
Introduction
Dans l’ultime chapitre de son dernier ouvrage, Bergson préconise, pour conclure, un retour à la simplicité. Les êtres humains devraient abandonner ces loisirs superficiels et infinis que leur propose la société marchande. Ils devraient plutôt profiter de leur temps libre, pour redécouvrir et cultiver leur moi-profond. Ce « retour à la vie simple », comme l’écrit Bergson, n’a jamais été pris pour objet d’étude, même s’il est parfois mentionné ou brièvement explicité. Aussi cet article propose-t-il d’aborder, pour commencer, trois problèmes interprétatifs le concernant (chacun préparant la résolution du suivant).
Premièrement, en quel sens existe-t-il une certaine manière de penser l’authenticité de l’existence humaine sous la forme d’une réalisation de soi ? Dans quelle mesure ce retour à la vie simple n’est-il pas un repli sur soi, mais un projet de société à part entière ? Deuxièmement, est-ce qu’il faudrait de tout temps retourner à la vie simple ou ne s’agit-il, pour Bergson, que d’une exigence de circonstance, en lien avec l’apparition récente d’une société de consommation ? Troisièmement, est-ce que ce retour à la vie simple s’apprend et même s’enseigne, ou n’est-il finalement que le fruit d’une décision individuelle ? Pour le dire comme Ménon : est-ce que la vertu s’éduque et, si tel est le cas, comment l’éduquer ?
Un retour ouvert à la simplicité
De l’Essai à Matière et mémoire
Dès son premier ouvrage, Bergson considère qu’un acte libre est un acte dans lequel la personnalité se reflète. Les individus vivent effectivement des moments successifs et cette histoire consciemment vécue les caractérise : elle englobe l’ensemble des instants traversés au cours de leur existence. Ils tiennent toutefois plus ou moins compte de celle-là pour prendre des décisions. « Un acte est d’autant plus libre qu’il est un témoignage plus véridique et plus expressif sur la personne » (Jankélévitch, 1959, p. 78). Être libre, c’est agir conformément à son histoire vécue, c’est-à-dire à son « moi profond ». Être libre, c’est en ce sens se réaliser : « la passion, même soudaine, ne présenterait plus le même caractère fatal s'il s'y reflétait, ainsi que dans l'indignation d'Alceste, toute l'histoire de la personne […] C'est de l'âme entière, en effet, que la décision libre émane. » (Bergson, 1889, p. 125). Que devient dès lors cette thèse dans les ouvrages postérieurs ? Évolue-t-elle ou s’efface-t-elle pour laisser la place à une tout autre perspective ?
Dans son second opus, Bergson expose le fonctionnement psychique et l’utilité ordinaire de tout acte libre. L’esprit a pour tâche d’insérer confusément plus ou moins de souvenirs vécus dans notre expérience actuelle. Il éclaire sous cette forme émotionnelle la décision à prendre, c’est-à-dire l’action corporelle à effectuer. Plus le nombre de souvenirs est important, plus l’émotion est intense, plus la décision est personnelle, plus elle s’avère imprévisible. La liberté devient ainsi synonyme de réalisation de soi et de création de réponses organiques. Le corps pose à l’esprit une question (que faire dans cette situation ?) et celui-là lui répond d’une manière plus ou moins inédite. Les souvenirs présents dans la mémoire épisodique lui servent très exactement à imaginer une solution corporelle originale (écrire ceci, dire cela, se mouvoir dans telle direction, etc.). Tout acte de réalisation de soi devient de la sorte un acte de création. Tout acte de création devient en retour un acte de réalisation de soi. Bergson ne renonce donc pas à conférer à la réalisation de soi un rôle fondamental : pas de création sans mobilisation de souvenirs issus du moi-profond.
« S'agit-il d'une décision à prendre ? Ramassant, organisant la totalité de son expérience dans ce que nous appelons son caractère, [l’esprit] la fera converger vers des actions où vous trouverez, avec le passé qui leur sert de matière, la forme imprévue que la personnalité leur imprime […] » (Bergson, 1896, p. 192-193).
L’idée d’être plus ou moins soi-même reste donc bel et bien présente. Bergson se contente d’expliciter le contenu et la fonction de cette « personnalité » plus ou moins réalisée : elle se compose d’anciens moments vécus par la conscience et son rôle est d’accompagner toute situation inédite dans laquelle se retrouve le corps. Elle cesse, par conséquent, d’être un acte rare. Elle se manifeste maintenant quotidiennement dans l’expérience consciente sous la forme d’une émotion personnalisée (un mélange confus de souvenirs) plus ou moins intense. Il existe de nombreux cas, en effet, où le corps doit adapter un tant soit peu sa réaction à l’environnement. Il peut réagir impulsivement (solliciter peu de souvenirs) ou employer des éléments de sa personnalité (solliciter de multiples souvenirs pertinents). L’émotion créatrice de réactions corporelles adaptées est donc toujours plus ou moins présente. L’action oscille en permanence entre le modèle de « l’impulsif » (faible émotion créatrice, acte impersonnel) et de « l’homme d’action » (forte émotion créatrice, acte personnel) (Bergson, 1896, p. 170).
Il existe, de surcroît, une seconde oscillation. L’homme d’action ne se distingue pas que de l’impulsif. Le « rêveur » aime en effet se délecter confusément de ses souvenirs. Il diffère sur ce point de l’homme d’action qui utilise ses souvenirs pour éclairer l’action en cours. Aux pôles impersonnel/personnel (l’impulsif/l’homme d’action) s’ajoutent les pôles passif/actif (le rêveur/l’homme d’action). Diverses idées fondamentales de la philosophie bergsonienne font donc leur apparition dès son deuxième livre : l’émotion (la forme confuse prise par les souvenirs dans notre expérience consciente), l’impulsif/le rêveur/l’homme d’action (actif et impersonnel/passif et personnel/actif et personnel), la personnalité (l’ensemble des souvenirs), la création (la résolution de problèmes corporels inédits).
Toute réalisation de soi acquiert ainsi une dimension pratique. La personnalisation sert, dans l’idéal, à renseigner ordinairement les actions corporelles (tel geste, telle parole prononcée, tel texte à compléter, etc.) à effectuer. L’actualisation du moi-profond perd autrement dit son caractère exceptionnel et devient potentiellement, ainsi que plus régulièrement, un acte de création incarnée. Le but de l’existence n’est plus dès lors simplement de se réaliser (le rêveur se réalise déjà), mais de s’engager (à l’instar de l’homme d’action) : toute impression de notre personnalité engendre une émotion contemplative (le rêveur) ou prend la forme d’une émotion créatrice (l’homme d’action). La liberté se révèle ainsi synonyme d’« effort ». Sommes-nous prêts à mobiliser nos souvenirs dans les situations qui l’exigent ? Préférons-nous une personnalité passive à une personnalité investie dans la praxis ? Toute réalisation de soi n’est plus univoque ; le moi hésite à présent entre les délices du songe et l’investissement dans l’action. L’opposition n’est plus uniquement, comme dans le premier livre, entre le personnel (moi-profond) et l’impersonnel (moi-superficiel). Bergson introduit plus finement une triple opposition : personnel actif (homme d’action) /personnel passif (rêveur)/impersonnel (impulsif). Le moi-superficiel devient dans cette perspective un moi-impulsif, une somme d’« habitudes » (Bergson, 1896, p. 173) acquises par l’organisme. Le moi-profond se scinde à présent, quant à lui, entre deux tendances opposées : l’action et la contemplation. Que devient par la suite cette nouvelle manière plus subtile de penser l’actualisation de la personnalité ?
De L’évolution créatrice aux Deux sources
Quatre principaux titres jalonnent l’œuvre de Bergson : l’Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), Matière et mémoire (1896), L’évolution créatrice (1907) et Les deux sources de la morale et de la religion (1932). Chacun constitue une étape de sa réflexion dans le domaine de l’éthique. Chacun affine et repense à sa manière la notion de réalisation de soi. Nous venons de voir que dès les deux premiers, Bergson introduit et enrichit son concept de « personnalité » (Bergson parle aussi d’« esprit » ou d’« âme »). Que deviennent par la suite ces émotions créatrices, c’est-à-dire ces actions insufflées par une masse importante de souvenirs profonds ?
L’évolution créatrice révèle Bergson au grand public. Sa réputation devient internationale (Azouvi, 2007). On se presse pour assister à ses cours. Bergson parvient à s’imposer comme l’une des grandes figures intellectuelles du moment. Sa pensée représente maintenant, aux yeux de tous, une philosophie de la Vie. L’évolution des espèces n’est pas, en résumé, qu’un mouvement d’adaptation, de survie. Elle est aussi une puissance créatrice. La création humaine trouve ainsi son origine biologique dans cette évolution. Elle acquiert surtout une dimension métaphysique : créer, c’est renouer avec cette puissance créatrice, c’est accomplir la volonté même de la Vie (déployer le plus possible de créativité).
Il ne s’agit donc plus de s’investir simplement dans la vie du corps, mais dans le projet même à l’origine de ce corps. À la différence des autres espèces animales et végétales, les êtres humains créent pour survivre. La création n’est plus dans cette perspective biologique uniquement pratique, mais vitale. L’araignée adapte sa toile à l’environnement, mais se contentera de tisser des toiles toute sa vie pour attraper ses proies. C’est avec l’espèce humaine que « l’élan de vie » (l’émotion créatrice à l’origine de toute nouvelle espèce) échappe aux habitudes instinctives. Homo sapiens est avant tout « homo faber » (Bergson, 1907, p. 140). Il façonne des outils inorganiques (couteaux, etc.) et ne cesse surtout d’en inventer de nouveaux pour se maintenir en vie. Il se révèle biologiquement fait pour créer. Son intelligence lui sert essentiellement à étudier au quotidien les propriétés de la matière physique (de la roche, du bois, etc.), à expérimenter de nouveaux savoir-faire, à transmettre les connaissances acquises, etc. En bref, son intelligence le rend créateur. Nature et culture ne s’opposent en rien chez Bergson. Il est paradoxalement naturel aux êtres humains de disposer, pour commencer, d’une culture technique. Cette culture peut en outre s’étendre à d’autres domaines plus désintéressés : art, littérature, science, philosophie, etc. – l’intelligence ayant tendance à tout mettre en question. La nature humaine incite les êtres humains à créer pour s’adapter, puis à créer tout court. La nature humaine rejoint alors le dessein même de la Vie (accroître la créativité).
En ce sens, le vital revêt une double signification : il est à la fois synonyme de survie et d’accomplissement métaphysique. La création favorise l’adaptation de notre espèce, ainsi que la réalisation de l’élan vital. La notion de personnalité ne disparaît pas pour autant. Dans L’évolution créatrice, Matière et mémoire (abondamment cité) demeure l’ouvrage de référence pour penser toute émotion créatrice (Miravete, 2023, p. 353-363) : il ne serait pas possible pour un être humain de créer sans se réaliser et réciproquement. Même l’élan vital se réalise à travers ses créations et dispose d’une « personnalité » (Bergson, 1907, p. 119). « Comment ne pas voir que la vie procède ici comme la conscience en général, comme la mémoire ? » (Bergson, 1907, p. 168). Il n’y a pas de création sans réalisation de soi, sans recours à des souvenirs profonds. La personnalisation ne s’efface donc pas au profit de la création dans L’évolution créatrice. Elle en reste au contraire l’une des composantes essentielles.
Ajoutons que Bergson n’élabore pas qu’une théorie de la vie dans L’évolution créatrice, mais toute une cosmogonie. Dieu (la source de tout univers) n’est pas un individu ou une force magique. Il s’apparente plutôt à une émotion créatrice dépourvue de corps (une pure énergie) : « je parle d'un centre d'où les mondes jailliraient comme les fusées d'un immense bouquet, – pourvu toutefois que je ne donne pas ce centre pour une chose, mais pour une continuité de jaillissement. Dieu, ainsi défini, n'a rien de tout fait ; il est vie incessante, action, liberté » (Bergson, 1907, p. 249). L’une de ces « fusées » retombe en engendre notre univers inorganique. Il demeure toutefois quelque chose de la fusée : un élan de vie. Ce dernier reste une « exigence de création » (Bergson, 1907, p. 252). Il s’efforce de remonter la pente que la matière descend, de redonner une créativité à l’univers par endroits. C’est « une action qui se fait à travers une action du même genre qui se défait, quelque chose comme le chemin que se fraye la dernière fusée du feu d'artifice parmi les débris qui retombent des fusées éteintes » (Bergson, 1907, p. 251). Sa première action est la création d’une première espèce vivante. D’autres suivront petit à petit jusqu’à l’apparition de l’être humain. Il ne faut donc pas confondre chez Bergson « Dieu » (le « centre »), la « supraconscience » (la fusée à l’origine de notre univers matériel) et l’élan vital (la puissance de vie à l’origine des espèces vivantes). L’élan vital prolonge dans notre univers le projet divin : le déploiement maximal de la création (« un immense bouquet »). Créer revient donc à s’inscrire consciemment ou inconsciemment dans ce projet divin. Toute création est pour cette raison un geste métaphysique. Toute réalisation de soi revient en définitive à réaliser le dessein divin.
Dans Les deux sources, Bergson n’abandonne pas cette conception personnalisante de la création. Il introduit simplement un nouveau critère : l’« ouvert » (Worms, 2008). Il distingue dès lors, à l’aide de celui-là, les créations ouvertes et closes. Les créations ouvertes se destinent amicalement à l’ensemble de l’humanité. Tel poème s’adresse par exemple « sympathiquement » à n’importe quel individu. Les créations closes ne concernent qu’une partie du genre humain. Plotin condense emblématiquement « toute la philosophie grecque, pour l'opposer précisément aux doctrines étrangères » (Bergson, 1932, p. 232). À travers leurs actions (paroles, œuvres, constructions, symbolisations, etc.), les êtres humains communiquent donc plus ou moins universellement. Bergson s’intéresse à présent, en effet, aux types de relations sociales qu’entretiennent les individus. L’élan vital demeure certes créatif, mais il ne poursuit plus ici tout à fait la même chose que dans L’évolution créatrice. Il ne projette plus d’accroître la créativité dans le cosmos. Il devient un « élan d’amour » (Bergson, 1932, p. 98) soucieux de créer une « société ouverte » (Bergson, 1932, p. 284) dans laquelle toutes les consciences communiquent amicalement. « Le mystique [au contact de cet élan] crée par amour des formes nouvelles et inouïes du vivre ensemble » (Waterlot, 2017, p. 268). La création n’est plus qu’un instrument au service de cette volonté divine à l’origine même de la Vie et de la Matière (Bergson, 1932, p. 271-272). La question de la sympathisation (de tisser des relations sociales amicales) remplace celle de la création (l’expérience tragique de la première guerre mondiale y est sans doute pour quelque chose).
La création ne cesse pas pour autant de jouer un rôle décisif. L’élan d’amour demeure une exigence de création : les consciences doivent se transmettre sympathiquement leurs émotions créatrices ; sinon, la communication amicale entre elles reste impersonnelle (Miravete, 2013), à l’instar d’habitudes sociales que l’on respecte machinalement. La relation sociale la plus haute est donc à la fois créatrice et réalisatrice de soi. Créer une société ouverte impose en même temps de se réaliser et d’être à l’écoute des autres réalisations de soi. C’est œuvrer pour un partage sans limite et amical d’émotions créatrices. L’amour est en résumé : une ouverture (à tout être humain), une sympathie (une intention amicale), une émotion créatrice « complète » (il ne s’agit pas de rêver mais d’agir efficacement ; voir Bergson, 1932, p. 238-239), une réalisation de soi (toute émotion créatrice étant un acte non impersonnel) et une pratique métaphysique (mise en œuvre de la volonté divine). Bergson ne façonne donc pas une tour d’ivoire pour le moi-profond. La question de la personnalité reste au contraire sociétale. Il importe de se réaliser, tout en réalisant un monde dans lequel l’entièreté des personnalités (sans aucune restriction de principe) communiquent amicalement. Mais comment y parvenir ?
Le retour à la vie simple : une nécessité historiquement située
Il existe pour Bergson deux principales stratégies pour bâtir une société ouverte. La première consiste à limiter ses besoins. Cette voie ascétique simplifie grandement l’existence. Il y a moins de choses à rechercher, donc moins de problèmes matériels à soulever (et dès lors plus de temps à consacrer à soi-même et aux autres). La seconde stratégie est au contraire plus ambitieuse : prendre le contrôle de son environnement. L’agriculture est une manière emblématique de dompter la production alimentaire. Elle requiert de l’outillage et des connaissances. Elle complexifie en ce sens continuellement les problèmes matériels : que semer ? comment accroître les rendements ? où trouver une main d’œuvre suffisante ? etc. Comme l’écrit Bergson, « il n'y a pas de bonheur sans sécurité, je veux dire sans perspective de durée pour un état dont on s'est accommodé. Cette assurance, on peut la trouver ou dans une mainmise sur les choses [machinisme], ou dans une maîtrise de soi [ascétisme] qui rende indépendant des choses » (Bergson, 1932, p. 320).
Retenons en outre que ces deux stratégies ne sont que les deux faces d’une même pièce. Pour créer une société ouverte, les êtres humains doivent à la fois renoncer aux « besoins artificiels » (stratégie ascétique) et apaiser leurs besoins naturels (stratégie machinique). La société ouverte est en effet une société dans laquelle les individus se réalisent pleinement et se détournent par conséquent des « plaisirs » et du « luxe », c’est-à-dire de pratiques superficielles. Ce genre de société ne pourrait bien évidemment exister dans un monde miné par la famine et les guerres. Il importe donc d’organiser la production des biens vitaux à l’échelle mondiale : « il est clair que c’est la mystique qui est à l’origine de la poussée technique » (Waterlot, 2013, p. 231). Cela repose sur une certaine industrialisation (Bergson, 1932, p. 329), ainsi que sur la création de machines législatives et administratives mondiales comme la Société des Nations (Bergson, 1932, p. 306 et 308). Une seule tendance (la création d’une société ouverte) doit donc se dédoubler (« loi de dichotomie » ; voir Bergson, 1932, p. 316) pour pouvoir se réaliser. Elle doit être harmonieusement ascétique et machinique.
Les obstacles ne naissent pas cependant de la dissociation inévitable de cette tendance mère. La principale difficulté reste d’accommoder les deux tendances filles : ascétisme et machinisme. Elles ont historiquement la fâcheuse habitude de s’opposer selon Bergson. Chacune poursuit sa voie sans se soucier de l’autre ; et surtout chacune finit toujours par prendre le pas sur l’autre en toute indifférence (« loi de double-frénésie » ; voir Bergson, 1932, p. 316). Le Moyen-âge est, à titre illustratif, une période durant laquelle l’ascétisme domine : « l'ascétisme concentré, qui fut sans doute exceptionnel, se dilua pour le commun des hommes en une indifférence générale aux conditions de l'existence quotidienne. C'était, pour tout le monde, un manque de confort qui nous surprend. Riches et pauvres se passaient de superfluités que nous tenons pour des nécessités » (Bergson, 1932, p. 318).
À partir du XVe et du XVIe siècle, un « souci de confort et de luxe » se développe et devient progressivement « la préoccupation principale de l’humanité » (Bergson, 1932, p. 317). Le machinisme commence à s’imposer. Fleurissent les fabriques, puis les premières usines. Les échanges commerciaux se démultiplient à travers le globe, grâce à la navigation. Malheureusement, « des milliers d'hommes y jouèrent leur vie ». « Le courage, l'énergie et l'esprit d'aventure d'où sortit par accident la découverte de l'Amérique s'employèrent essentiellement à la poursuite du gingembre et du girofle, du poivre et de la cannelle » ironise Bergson (1932, p. 323). Plus effroyablement, cette société de production intensive et de consommation effrénée génère des conflits meurtriers à travers le monde. Partout, « on tient l'industrie nationale pour insuffisante si elle se borne à vivre, si elle ne donne pas la richesse ; un pays se juge incomplet s'il n'a pas de bons ports, des colonies, etc. De tout cela peut sortir la guerre » (Bergson, 1932, p. 308). La « vanité » (Bergson, 1932, p. 323) des modernes (la poursuite sans fin de besoins artificiels) succède ainsi à l’« orgueil » (Bergson, 1932, p. 320) des anciens : après avoir appris à se contenter de trop peu, les êtres humains apprennent à se contenter de trop.
C’est pourquoi Bergson préconise très précisément un « retour à la vie simple ». « La vie est courte et la sagesse n’a pas le temps pour les bibelots et les périphrases » comme l’écrit Jankélévitch (1959, p. 243). Le problème n’est déjà plus à son époque de renforcer la « mainmise sur les choses », mais de l’organiser internationalement. Il faudrait qu’émerge « une pensée centrale, organisatrice, qui coordonnât l'industrie à l'agriculture et assignât aux machines leur place rationnelle » (Bergson, 1932, p. 326-327). Bergson comprend que la productivité des machines modernes écrase dès son époque celle des corps humains et qu’elle est devenue surtout amplement suffisante. « Des machines qui marchent au pétrole, au charbon, à la “houille blanche”, et qui convertissent en mouvement des énergies potentielles accumulées pendant des millions d'années, sont venues donner à notre organisme une extension si vaste et une puissance si formidable, si disproportionnée à sa dimension et à sa force (…) : ce fut une chance unique, la plus grande réussite matérielle de l'homme sur la planète » (Bergson, 1932, p. 330).
Il ne servirait donc à rien, selon lui, de miser sur une exploitation techno-scientifique encore plus considérable des ressources terrestres. « L’obstacle matériel est presque tombé » (Bergson, 1932, p. 333). Ce qui manque au machinisme, c’est un « supplément d’âme » (Bergson, 1932, p. 330). Les êtres humains doivent redécouvrir une certaine « mystique ». Cela ne veut pas dire retrouver un mode de vie médiéval ou misérable comme le croit Horkheimer (Zanfi, 2014, p. 33). Cela ne signifie pas non plus s’adonner aux rituels et aux prières ou encore à la méditation. « Il faudrait bien se garder de croire que son ouvrage est un traité de mystique » (Vieillard-Baron, 1993, p. 86). Le terme de « mystique » désigne ici une invitation autrement plus urgente : œuvrer pour la réalisation du dessein divin, à savoir exclusivement la construction d’une société ouverte à l’ensemble des soi de l’humanité. Cela passe, entre autres, par une nouvelle gestion industrielle plus encline à procurer aux ouvriers « un plus grand nombre d'heures de repos » (Bergson, 1932, p. 327) et à chaque être humain ce dont il a naturellement besoin (Bergson, 1932, p. 326). Autrement dit, cette réorganisation de l’industrie mondiale doit permettre à tous de « pousser plus loin la culture intellectuelle et de développer les vraies originalités » (Bergson, 1932, p. 327).
Le retour à la vie simple n’est donc pas chez Bergson une ascèse au sens strict, mais plutôt un équilibre retrouvé entre ascétisme et machinisme dans une période où le machinisme domine. « Autrement dit, le bon mixte, pour Bergson, suppose l’alliance de la mécanique et de la mystique. » (Riquier, 2009, p. 445). Le Moyen Âge aurait eu besoin, par contraste, d’un retour à la vie complexe. En d’autres termes, le retour bergsonien à la simplicité n’a par conséquent de sens que dans un contexte historique déterminé. C’est parce que le machinisme l’emporte à la fois actuellement et dramatiquement (guerres, famines, augmentation illimitée des besoins artificiels, etc.) qu’une certaine forme de mystique (le refus des plaisirs et du luxe, la focalisation sur la réalisation de chaque être humain) est à présent requise selon Bergson.
« Sans contester les services que le [machinisme] a rendus aux hommes en développant largement les moyens de satisfaire des besoins réels, nous lui reprocherons d'en avoir trop encourage d'artificiels […]. Il faudrait que l'humanité entreprît de simplifier son existence avec autant de frénésie qu'elle en mit à la compliquer. » (Bergson, 1932, p. 327-328)
L’éducation à la vie simple
Mais comment « corriger » « tous ces effets » négatifs du machinisme contemporain ? Bergson ne souhaite pas élaborer un programme dans Les deux sources. Il esquisse néanmoins quelques solutions dans le seul but d’illustrer son propos et de montrer que le problème n’est pas insoluble (Aleksandračius et Riquier, 2021, p. 92). « Nous pourrions en rester là. Mais puisqu'au fond de nos conclusions il y avait une distinction radicale entre la société close et la société ouverte […] nous devons nous demander dans quelle mesure l'instinct originel pourra être réprimé ou tourné, et répondre par quelques considérations additionnelles à une question qui se pose à nous tout naturellement » (Bergson, 1932, p. 306-307). Que pourrait être par conséquent une action humaine inspirée par la mystique chrétienne, par cette volonté de s’aimer les uns les autres ? Rappelons que pour les mystiques chrétiens, selon Bergson, « Dieu […] aime tous les hommes d'un égal amour, et […] leur demande de s'aimer entre eux » (Bergson, 1932, p. 332), c’est-à-dire de se communiquer sympathiquement leurs émotions créatrices.
Bergson présente tout d’abord plusieurs pistes politiques : promouvoir l’égalité homme-femme pour lutter contre le goût dévorant du luxe (Bergson, 1932, p. 322) ; diminuer au maximum le temps de travail des ouvriers pour favoriser leur épanouissement personnel (Bergson, 1932, p. 327) ; privilégier industriellement l’agriculture pour nourrir sans exception tous les êtres humains (Bergson, 1932, p. 326) ; orienter exclusivement l’industrie vers la satisfaction des besoins naturels identifiés par la science (Bergson, 1932, p. 320), quitte à ne plus produire qu’un seul type de chapeau (Bergson, 1932, p. 327) ou que des automobiles dont l’utilité est avérée (Bergson, 1932, p. 323-324) ; créer une législation et une institution internationale pour régler les désaccords entre états (Bergson, 1932, p. 306) ; réguler dans les pays surpeuplés les naissances pour éviter les famines et les crises migratoires (Bergson, 1932, p. 308-309) ; organiser internationalement la circulation des ressources et des marchandises pour éviter les pertes de débouchés et de matières premières (principales causes de toutes les guerres modernes) (Bergson, 1932, p. 307-308). Bergson a manifestement une conception particulièrement interventionniste de l’action publique. Il s’agit de créer démocratiquement (Bergson, 1932, p. 299-300) des législations nationales et internationales propices au développement de sociétés ouvertes. « Il est incontestable qu’une critique du libéralisme économique s’énonce dans les Deux Sources » (Soulez, 1989, 299). Plus exactement, les États doivent par l’intermédiaire du droit réguler la frénésie machinique. Il n’y a rien à espérer d’une quelconque autorégulation de l’industrie. « Volontiers [l’industrie] suivait la mode, fabriquant sans autre pensée que de vendre » (Bergson, 1932, p. 326).
La loi a donc en résumé une triple-tâche : garantir à tous la satisfaction des besoins naturels comme la paix et l’accès aux ressources vitales ; lutter contre le développement d’une industrie des plaisirs et du luxe (privilégier l’agriculture, favoriser l’égalité homme-femme, ne plus produire que des choses utiles, etc.) ; offrir le plus possible de temps libre (abandonner aux machines les tâches contraignantes, donner à l’ouvrier un maximum de temps libre, etc.). De cette façon, la loi préserve le corps et protège l’esprit (en limitant les tentations, en libérant du temps, etc.).
Elle ne nourrit pas l’esprit en revanche. Comment d’ailleurs le pourrait-elle ? Le législateur peut uniquement agir sur les conditions matérielles de l’existence humaine. Il libère du temps, mais ne le remplit pas. Il ne peut en aucun cas inviter ses concitoyens à se réaliser et sympathiser. Or tel est pourtant le but ultime de son action au regard du dessein divin. Il n’est donc pas étonnant que Bergson fasse de l’éducation la pierre angulaire de son éthique. Elle est la seule à pouvoir apporter efficacement un « supplément d’âme ». La vie simple s’apprend : « ne comptons pas trop sur l'apparition d'une grande âme privilégiée » (Bergson, 1932, p. 333). Bergson ne croit pas qu’un mystique des temps modernes risque d’apparaître soudainement et d’emporter les foules par son exemplarité. C’est dans les institutions scolaires que l’élan d’amour se transmet en premier lieu. Même les mystiques ont compris cette nécessité :
« Il n'en est pas moins vrai que ces privilégiés voudraient entraîner avec eux l'humanité ; ne pouvant communiquer à tous leur état d'âme dans ce qu'il a de profond, ils le transposent superficiellement ; ils cherchent une traduction du dynamique en statique, que la société soit à même d'accepter et de rendre définitive par l'éducation. » (Bergson, 1932, p. 291)
On pourrait objecter que cette « traduction du dynamique en statique » donne l’impression de neutraliser l’esprit à première vue. Le mystique n’envisagerait pas d’apprendre aux élèves à se réaliser pleinement. Ces derniers devraient se contenter de devenir des « honnêtes hommes » (Bergson, 1932, p. 100). Ils subiraient ainsi un « dressage » (Bergson, 1932, p. 99), c’est-à-dire une « méthode » pédagogique qui « opère dans l’impersonnel ». Ils n’apprendraient qu’à respecter la loi et à faire consciencieusement ce que la société attend d’eux. L’état pourvoirait à la distribution des tâches et des ressources. Seule une élite dirigeante bénéficierait d’une formation plus créative, car elle aurait pour fonction d’organiser l’industrie et les institutions de la société ouverte (Bergson, 1922, p. 1372 et 1378). Mais comment parler, dans ce cas, d’une société ouverte au sens de Bergson ? Comment une société composée essentiellement d’honnêtes hommes pourrait-elle être spirituellement ouverte ?
Le dressage suffirait sans aucun doute pour façonner une société mécaniquement ouverte. Cela permettrait d’avoir efficacement « prise sur la volonté » (Bergson, 1932, p. 99). Mais le but est-il uniquement de lutter contre les excès du machinisme ? L’humanité doit-elle se contenter de « vivre seulement » (Bergson, 1932, p. 338) ? Ne devrait-elle pas au contraire, selon le mysticisme chrétien dont Bergson ne cesse de louer l’intuition centrale, fournir « l'effort nécessaire pour que s'accomplisse, jusque sur notre planète réfractaire, la fonction essentielle de l'univers [créer une société spirituellement ouverte] » ? Les êtres humains ne devraient-ils pas choisir résolument cette vie d’inspiration divine ? Il n’importe donc pas que de réguler chez Bergson, mais aussi de tous retourner à la vie simple. Or ce retour requiert nécessairement une prise de décision (choisir de bâtir une société spirituellement ouverte plutôt que de choisir de vivre seulement), ainsi que la mise en place d’une éducation.
C’est pourquoi Bergson ajoute après avoir abordé la question du dressage : « l'autre [méthode] la complétera au besoin ; elle pourra même la remplacer. Nous n’hésitons pas à l'appeler religieuse, et même mystique ; mais il faut s'entendre sur le sens des mots » (Bergson, 1932, p. 100). Cette autre méthode ne vise pas en effet à enseigner des dogmes religieux (ou la métaphysique bergsonienne). Il ne s’agit pas de conduire les élèves à la messe ou encore de leur transmettre mécaniquement un contenu doctrinal particulier. Tout ceci ne serait que du dressage pour Bergson. « [La méthode “mystique ”] permet à l’éducateur d’éveiller chez l’enfant, au-delà même de sa volonté consciente, les ressources enfouies dans sa volonté profonde et d’en dégager la créativité et la générosité » (Lombard, 1997, p. 151). Cette méthode « religieuse » désigne seulement une pratique éducative, dans laquelle l’enseignant tente de réveiller le plus possible la volonté d’« amour » de ses élèves. « Amour auquel chacun d'eux imprime la marque de sa personnalité. […] Amour qui fait que chacun d'eux est aimé ainsi pour lui-même, et que par lui, pour lui, d'autres hommes laisseront leur âme s'ouvrir à l'amour de l'humanité » (Bergson, 1932, p. 102). Le professeur doit pour y parvenir obtenir de ses élèves « l'imitation d'une personne [exemplaire], et même une union spirituelle, une coïncidence plus ou moins complète avec elle » (Bergson, 1932, p. 99). Il recourt, en d’autres termes, à des modèles féconds de personnalités ouvertes. Le but n’est pas de les connaître de l’extérieur, sèchement, mais de renouer avec l’émotion qui les habitent. Il importe de redonner aux humanités (littérature, histoire, lettres classiques, etc.) un supplément d’âme capable de susciter de l’admiration, de l’indignation, etc.
L’essentiel serait donc de présenter en classe des figures émotionnelles analogues à celles des mystiques chrétiens : Rousseau (Bergson, 1932, p. 300), Kant, personnes animées de « l’état d’âme démocratique » (Bergson, 1932, p. 302), « héros obscurs de la vie morale que nous avons pu rencontrer sur notre chemin » (Bergson, 1932, p. 47), « bienfaiteurs de l’humanité [fondateurs de la Société des Nations] » (Bergson, 1932, p. 305-306), etc. Rien n’interdit effectivement chez Bergson un enseignement laïque de la société ouverte par la littérature (Kisukidi, 2014), l’histoire, la philosophie, les arts plastiques, etc. Tout oblige en revanche à éduquer les masses. La vie simple s’enseigne à tous. Elle est loin d’être spontanée. Toute éducation morale doit inviter l’élève à renouer avec sa personnalité profonde et à devenir sensible à celle des autres. D’une part, elle doit le décomplexifier, c’est-à-dire le détourner de ces « prétendus amusements, qu'un industrialisme mal dirigé a mis à la portée de tous » (Bergson, 1932, p. 327). D’autre part, elle doit l’engager affectivement (émotionnellement) dans la construction mondiale d’une société ouverte. Et elle n’y parvient pas par la menace ou la transmission de préceptes. Quel que soit son âge, l’âme s’ouvre grâce à la fréquentation directe ou indirecte de personnalités exemplairement ouvertes. Les questions et les actions pédagogiques acquièrent ainsi, pour finir, une importance considérable dans la philosophie bergsonienne : en elles se joue en grande partie la destinée métaphysique de l’humanité.
Conclusion
Il s’avère impossible de retourner à la vie simple sans se réaliser ; il est même impossible d’y parvenir sans se réaliser et aider les autres à le faire (partie 1). Bergson ne préconise pas un repli sur soi, mais une ouverture concrète sur tous les soi. « Il n’est pas question de tourner le dos à la civilisation et de se retirer dans les bois comme Thoreau près de l’étang de Walden ou Heidegger dans son chalet de la Forêt-Noire » (Riquier, 2017, p. 171). Il est naturellement impossible de connaître les personnalités profondes de tous les êtres humains, mais il n’est pas interdit de contribuer à l’émergence d’une société ouverte dans laquelle tous les êtres humains peuvent se réaliser. C’est sans doute la seule façon pour Bergson de s’ouvrir complètement (et non fictivement) à l’ensemble de l’humanité.
Cela exige une certaine sensibilité historique (partie 2) : le machinisme l’emporte de nos jours sur l’ascétisme ; la question n’est plus d’accroître la productivité humaine, mais de la réguler démocratiquement à l’échelle internationale, dans le but de prévenir les guerres par le partage des ressources, de libérer du temps, de préserver les populations de tout consumérisme, etc.
Cette action législative ambitieuse ne suffit pas toutefois. Les êtres humains ne peuvent s’ouvrir complètement et surtout spirituellement sans éducation (partie 3). Le retour à la vie simple s’enseigne (par la présentation émouvante et communicatrice de personnalités exemplaires) et il faudrait même veiller à son enseignement. Bergson préconise en effet très explicitement d’épouser résolument le projet divin (la création d’une société ouverte) dans les dernières lignes de son ouvrage. Il serait donc inconcevable de se contenter pour lui d’une éducation dans laquelle les élèves développeraient une morale universaliste non créative et impersonnelle. Cela reviendrait à promouvoir une conception machinique de l’éducation, inadaptée aux impératifs du temps.
Références
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Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292