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jeudi 29 février 2024

Pour citer ce texte : LAMARRE, J-M. (2024). Les humanités à l’époque du capitalisme et de la « reproductibilité technique » (Walter Benjamin) Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 4 ,
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-2023/dossier/article/les-humanites-a-l-epoque-du-capitalisme-et-de-la-reproductibilite-technique]

Les humanités à l’époque du capitalisme et de la « reproductibilité technique » (Walter Benjamin)

 

Jean-Marc Lamarre 
Université de Nantes, CREN 

 

 

Résumé  :  Les humanités sont en crise, mais, paradoxalement, les textes et les œuvres classiques n’ont jamais été aussi accessibles qu’aujourd’hui et de nouvelles humanités apparaissent, en particulier les humanités numériques. Nous faisons l’hypothèse que le texte de Walter Benjamin (1892-1940), L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1935-1939) peut nous aider à comprendre ce paradoxe et à penser le renouvellement des humanités. La reproduction technique des œuvres du passé par la radio, le cinéma et surtout, aujourd’hui, le numérique fait dépérir leur aura et ruine l’autorité des humanités classiques ; mais, en rapprochant les textes et les œuvres des gens, elle peut en démocratiser l’accès. 

 

Mots-clés :
aura, reproduction technique, humanités classiques, humanités numériques 

 

 

Abstract : The humanities are in crisis, but paradoxically, classical texts and works have never been as accessible as they are today, and new humanities are emerging, particularly digital humanities. We hypothesize that Walter Benjamin’s (1892-1940) The Work of Art in the Age of its Technological reproductibility (1935-1939) can help us understand this paradox and think about the renewal of the humanities. The technical reproduction of the works of the past throughout radio, cinema and, above all, today’s digital technology is withering away their aura and ruining the authority of the classical studies. However, by bringing texts and works closer to the people, it can also democratize access to them. 

 

Keywords :
aura, technical reproduction, classical studies, digital humanities. 

 

 

 

Introduction 

 

Il y a aujourd’hui une crise, non seulement des humanités classiques (langues anciennes, littérature classique, beaux-arts, histoire, philosophie), mais aussi des humanités (au sens où celles-ci sont plus larges que les humanités classiques et incluent les sciences humaines et sociales). Du point de vue de la logique capitaliste du marché, les humanités sont considérées par les tenants du néolibéralisme comme inutiles ; du point de vue de la logique émancipatrice de l’éducation et de la formation, elles sont critiquées et déconstruites, souvent à juste titre, comme élitistes, eurocentrées et genrées. Il faut donc repenser les humanités pour qu’elles deviennent plurielles et démocratiques. Les humanités doivent s’ouvrir – et elles le font déjà -, non seulement aux cultures scientifiques et techniques, mais aussi aux cultures non occidentales, aux cultures populaires, aux théories critiques, aux technologies actuelles et aux arts nouveaux.  

Les humanités sont en crise, mais, paradoxalement, les textes et les œuvres n’ont jamais été aussi accessibles qu’aujourd’hui et de nouvelles humanités apparaissent (humanités numériques, médicales, environnementales). Nous faisons l’hypothèse que, bien qu’il n’y soit pas question des humanités à proprement parler, le texte de Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (dont les différentes versions ont été écrites entre 1935 et 1939) peut nous aider à comprendre ce paradoxe et à penser le renouvellement des humanités1 .  

 

Les humanités entre aura et reproduction technique 

 

Benjamin (1892-1940) écarte les notions traditionnelles de création, beauté, génie, valeur éternelle, mystère parce que ces notions qui appartiennent à la tradition des humanités classiques et qui font de l’art un monde insondable et transcendant, sont utilisables pour les buts du fascisme2 . Il introduit des concepts nouveaux, matérialistes, ceux de reproductibilité technique, d’aura, d’appareil et de médium, de valeur cultuelle et de valeur d’exposition, de distraction, qui sont inutilisables pour le fascisme, mais utilisables pour la politique révolutionnaire de l’art et on peut dire aujourd’hui pour la politique démocratique des humanités et de l’éducation aux humanités. 

 

Reproduction technique et aura 

 

L’œuvre d’art a toujours été reproductible. L’apprentissage passe par la reproduction, notamment la reproduction manuelle. Mais la reproduction technique est quelque chose de nouveau. Benjamin note « les immenses transformations introduites dans la littérature par l’imprimerie, c’est-à-dire par la reproduction technique de l’écriture » (Benjamin, 2000c, 70). La photographie et surtout la radio (la reproduction des sons) et le cinéma (la reproduction des images et des sons) marquent une rupture et un changement d’époque. La reproduction technique, non seulement s’applique à toutes les œuvres du passé et du présent (reproduction de tableaux, etc.), mais elle conquiert elle-même une place parmi les arts et elle va même, comme dit Paul Valéry cité par Benjamin, « peut-être jusqu’à modifier merveilleusement la notion même d’art » (ibid., 269). Par l’agrandissement et le ralenti, la reproduction technique fait voir des réalités qui échappent à la perception naturelle. Et surtout, sous forme de photos, de films, de disques, d’émissions de radio et, aujourd’hui, de CD, DVD, playlists et de technologies nouvelles liées au numérique, elle rapproche l’œuvre des gens, elle va au récepteur là où il se trouve, elle répond au désir des masses de « posséder l’objet d’aussi près que possible » (ibid., 75). La reproduction technique est potentiellement démocratique et révolutionnaire. Mais - et c’est là son ambivalence -   elle va de pair, dans le capitalisme, avec la marchandisation et le fascisme en fait un instrument de propagande. Pour la première fois dans l’histoire, la reproduction technique fait de la production artistique une production de reproductibilité. Il n’y a pas l’œuvre puis, dans un second temps ou accessoirement, sa reproduction. Mais l’œuvre est d’emblée faite comme techniquement reproductible. Cette situation nouvelle ébranle l’art et met en crise les humanités classiques.  

Les œuvres sont reproduites en série. Conséquence : « à l’époque de la reproductibilité technique, ce qui dépérit dans l’œuvre d’art, c’est son aura » (ibid., 73). L’agent le plus puissant de ce dépérissement, c’est le film et, aujourd’hui, le numérique. L’aura, chez Benjamin, est une notion complexe qui a plusieurs sens. L’œuvre d’art est unique ; son ici et maintenant constitue son authenticité et fait l’autorité de l’original. L’œuvre est transmissible, elle s’inscrit dans une tradition. « Tous ces caractères se résument dans la notion d’aura. » (Idem) Dans la reproduction manuelle, l’original conserve son autorité, mais ce n’est pas le cas dans la reproduction technique. Ce qui est ainsi ébranlé, c’est l’autorité de la chose transmise, de la tradition. Benjamin écrit que « la signification sociale du cinéma » est « son aspect destructeur, son aspect cathartique : la liquidation de la valeur traditionnelle de l’héritage culturel. » (Idem,) Destruction cathartique. Pourquoi cathartique ? Parce que la reproduction technique rend l’art à lui-même, l’émancipe de la religion (ibid., 77). Il y a quelque chose de progressiste dans la désacralisation de l’œuvre d’art. Mais Benjamin écrit aussi que « la plus lamentable représentation de Faust dans un théâtre de province est supérieure à un film sur le même sujet ». Mais qu’est-ce que l’aura ? La première définition que Benjamin donne de l’aura, dans L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, ne concerne pas l’œuvre d’art, mais le rapport à la nature. « Qu’est-ce à vrai dire que l’aura ? Une singulière trame d’espace et de temps : l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il. Suivre du regard, un après-midi d’été, la ligne d’une chaîne de montagne à l’horizon, ou une branche qui jette son ombre sur lui, c’est, pour l’homme qui repose, respirer l’aura de ces montagnes ou de cette branche ». (ibid., 75) L’aura est essentiellement « une singulière trame d’espace et de temps ». Elle est quelque chose de singulier (ces montagnes, cette branche), quelque chose qui se respire, qui se sent, quelque chose d’unique et de fugace (une apparition/disparition), et une relation entre le proche et le lointain.  

Benjamin, dans Le livre des passages, fait une distinction entre la trace et l’aura : « La trace est l’apparition d’une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l’a laissée. L’aura est l’apparition d’un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l’évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l’aura c’est elle qui se rend maitresse de nous. » (Benjamin, 1989, 464) L’aura, à la différence de la trace, se dérobe à toute prise, elle désigne quelque chose d’indisponible, d’inappropriable, qui nous saisit. On ne planifie pas l’aura comme on planifie un voyage touristique ; l’expérience de l’aura est non garantie. 

L’aura est une expérience du regard (« suivre du regard […] », écrit Benjamin), une expérience de ce qui nous regarde. Dans son essai Sur quelques thèmes baudelairiens, Benjamin pense l’aura sur le modèle de l’échange des regards entre êtres humains :  

« L’expérience de l’aura repose donc sur le transfert, au niveau des rapports entre l’inanimé – ou la nature - et l’homme d’une forme de réaction courante dans la société humaine. Dès qu’on est – ou se croit – regardé, on lève les yeux. Sentir l’aura d’un phénomène, c’est lui conférer le pouvoir de lever les yeux » c’est-à-dire de regarder ce qui nous regarde. Et Benjamin ajoute en note : « L’octroi d’un tel pouvoir est une des sources de la poésie » (Benjamin, 2000c, 382). 

Les images proustiennes surgies de la mémoire involontaire ont une aura : « Les trouvailles de la mémoire involontaire [en italiques dans le texte] ont ce caractère. (Elles ne se produisent d’ailleurs qu’une seule fois ; elles échappent au souvenir qui s’efforce de se les approprier) » (idem). Ces références au rapport à la nature et à la mémoire involontaire montrent que le déclin de l’aura dans le cas des objets culturels ne signifie pas pour autant la disparition totale de l’aura. Penseur du lointain, « Benjamin a autant parlé de l’aura que de sa fin », écrit F. Neyrat (Neyrat, 2022, 151). 

 

 Valeur cultuelle et valeur d’exposition 

 

Avant d’avoir une fonction artistique, l’œuvre d’art a une fonction rituelle dans un rite magique puis religieux. « Ce qui est essentiellement lointain est l’inapprochable ; et, en effet, l’inapprochable est l’une des principales qualités de l’image qui sert au culte. » (Benjamin, 2000c, 382) Dans les grottes préhistoriques, l’image est un instrument magique : elle est certes exposée aux humains (valeur d’exposition), mais elle est faite avant tout pour les esprits (valeur cultuelle). Valeur cultuelle et valeur d’exposition sont les deux pôles de l’œuvre d’art. Dans la préhistoire, la valeur cultuelle est prépondérante. À mesure que les différentes productions artistiques s’émancipent du rituel, les œuvres s’exposent de plus en plus. Le tableau est plus exposable que la fresque, la symphonie que la messe. À l’époque de la reproduction technique, c’est la valeur d’exposition qui est prépondérante. Mais la réception des œuvres est d’une manière générale diversement accentuée selon les deux pôles. « On peut observer en principe, pour chaque œuvre particulière, une oscillation entre ces deux modes opposés. » (Ibid., 283) La distinction entre valeur cultuelle et valeur d’exposition est donc moins de l’ordre de la succession chronologique que d’une tension en simultanéité entre ces deux modes. 

Le rituel est encore reconnaissable dans « le culte profane de la beauté, né à la Renaissance et resté en vigueur durant trois siècles. » ((Ibid., 77) Benjamin parle aussi de « rituel sécularisé » (idem). On peut donc dire, me semble-t-il, que les humanités classiques relèvent de ce culte profane de la beauté, de cette sécularisation du rituel religieux. L’apparition au XIXè siècle de la photographie constitue un premier ébranlement de ce culte. L’art, sentant la crise venir, réagit par « l’art pour l’art » qui est « une théologie de l’art » (idem). La défense des humanités classiques, lorsqu’elle est élitiste, relève, en grande partie de cette réaction à la crise de l’art. Benjamin voit dans la reproduction technique un potentiel de démocratie, notamment de démocratisation de la « compétence littéraire » (ibid., 95). « À tout moment, le lecteur est prêt à devenir écrivain » (idem). Le travail devenant de plus en plus spécialisé, chacun devient expert en sa matière et « cette qualification lui permet d’accéder au statut d’auteur. Le travail lui-même prend la parole. » La compétence littéraire « devient de la sorte un bien commun » (idem), mais le capitalisme restreint cette prise de parole. Ce chapitre sur « la situation historique dans laquelle se trouve aujourd’hui la littérature » (idem) est d’une grande actualité. Comme le montre Bruno Tackels dans Walter Benjamin à l’Ère du monde digital, avec le numérique chaque lecteur est en train de devenir auteur et producteur. 

 

Appareil et médium 

 

À la différence de ce qui se passe en littérature et en peinture, la reproductibilité technique des films est inhérente à leur production même. Or, comme on l’a vu, il n’y a aucune reproduction de l’aura. De ce point de vue, rien n’est plus opposé au cinéma que le théâtre. Au théâtre, l’acteur se présente en personne au public (remarquons qu’il en est de même pour l’enseignant dans sa classe), il peut s’adapter aux réactions de celui-ci. Dans le studio de tournage d’un film, l’acteur se présente, non pas au public, mais à l’appareil (la caméra, les éclairages, etc.). Les performances de l’acteur y sont médiées par l’appareil. L’aura de Macbeth est inséparable, aux yeux du public, de celui de l’acteur. Avec le cinéma, la prise de vue substitue l’appareil au public. L’aura des acteurs ne peut que disparaître et avec elle celle des personnages qu’ils représentent. L’appareil pénètre en profondeur. Benjamin fait une analogie avec le domaine du soin. Le mage guérit par imposition des mains, il maintient une distance entre lui et le patient et agit par son autorité ; le chirurgien, au contraire, intervient à l’intérieur du malade et renonce à la relation humaine. De même, il y a une distance entre le peintre et la réalité donnée, alors que « le cameraman pénètre en profondeur dans la trame même du donné » (Benjamin, 2000c, 99). Benjamin souligne toutefois la dimension progressiste, potentiellement égalitaire, voire révolutionnaire, des technologies de la reproduction qui touchent les masses là où celles-ci se trouvent et qui démocratisent la fonction d’acteur et d’auteur : n’importe qui peut jouer dans un film. « Chacun aujourd’hui peut légitimement revendiquer d’être filmé » [en italiques dans le texte] (ibid., 94-95). Dans les films de Vertov, par exemple, une partie des interprètes sont des gens qui jouent leur propre rôle. Mais l’industrie cinématographique capitaliste « refuse de tenir compte de la revendication légitime de l’homme d’aujourd’hui de voir son image reproduite » (ibid., 96). Benjamin est pleinement conscient que les technologies modernes servent aussi la domination et l’aliénation des masses. Ainsi, dans le capitalisme, le cinéma construit hors des studios le culte de la vedette. Dans le domaine politique, la reproduction technique change le rapport politique en exposant l’homme politique devant l’appareil. La technique du cinéma vide les parlements en même temps que les théâtres. « D’où une nouvelle sélection, cette fois devant l’appareil, de laquelle le champion, la vedette et le dictateur sortent vainqueurs. » (Ibid., 94)    

Les techniques de reproduction sont non seulement des appareils (appareil photographique, microphone, caméra, etc.), mais aussi des médias, c’est-à-dire des milieux de perception. En tant que médias, elles définissent un rapport au monde et elles agissent sur l’individu récepteur, elles le transforment. La fonction du cinéma, sa « tâche historique », « est de soumettre l’homme à un entraînement ; il s’agit de lui apprendre les aperceptions et les réactions que requiert l’usage d’un appareillage dont le rôle s’accroît presque tous les jours. » (Ibid., 81) La distraction est l’attitude du spectateur appropriée au cinéma. 

 

Recueillement et distraction 

 

            L’œuvre d’art auratique est contemplée par un individu ou des individus isolés ; il n’y a pas, comme au cinéma, de réception collective simultanée. Devant un tableau de Derain ou un poème de Rilke, le spectateur ou le lecteur viennent à l’œuvre là où elle est, ils se recueillent et s’abandonnent à leurs associations d’idées. « Celui qui se recueille devant une œuvre d’art s’y abîme ; il y pénètre comme ce peintre chinois dont la légende raconte que, contemplant son tableau achevé, il y disparut. » (Ibid., 108) 

L’attitude requise au cinéma n’est pas la contemplation, le recueillement, mais la distraction. La distraction est la forme de réception qui correspond aux effets que produit le cinéma sur le public : ce que Benjamin appelle l’effet de choc (ibid., 106). Le spectateur est comme frappé par un projectile, l’œuvre a une qualité tactile – et pas seulement visuelle – en raison des changements de plans qui assaillent le spectateur par à-coup. Si dans la contemplation d’un tableau, on peut s’abandonner à ses pensées, au cinéma le processus d’association d’idées du spectateur est immédiatement interrompu par la métamorphose des images. La réception tactile se fait par l’accoutumance. Le film est, selon Benjamin, la forme d’art qui correspond à la vie de plus en plus dangereuse d’aujourd’hui. 

 

Les humanités à l’ère de la reproduction numérique 

 

L’école, les humanités classiques et la reproduction technique 

 

Le processus de dépérissement de l’aura à l’époque de la reproductibilité technique dépasse le domaine artistique. La multiplication des reproductions et leur accessibilité (les reproductions viennent aux récepteurs là où ils se trouvent) ébranlent, non seulement les humanités classiques, mais aussi la transmission culturelle, en particulier la transmission scolaire. Le numérique est aujourd’hui l’agent le plus puissant de cet ébranlement, de cette « liquidation de la valeur traditionnelle de l’héritage culturel » (Benjamin, 2000c, 73). Shakespeare, Rembrandt, Beethoven, comme le dit Abel Gance cité par Benjamin3 , feront du cinéma, aujourd’hui ils feront du numérique. « Cette vaste liquidation » (ibid., 74) atteint l’école en son cœur : le livre et la relation entre le maître et les élèves, l’autorité du livre et l’autorité du maître.  

L’apprentissage se fait par la reproduction : non seulement l’apprentissage de l’art, mais l’apprentissage en général et d’abord celui de l’écriture. L’enfant apprend à écrire en reproduisant manuellement les lettres. Le fait qu’aujourd’hui on s’interroge sur la nécessité ou non de cet apprentissage manuel (on se demande s’il ne faut pas plutôt apprendre directement sur l’ordinateur) a valeur de symptôme. Benjamin souligne « les immenses transformations introduites […] par l’imprimerie, c’est-à-dire par la reproduction technique de l’écriture » (ibid., 70) mais celle-ci n’est, selon lui, qu’un cas particulier dans l’histoire des procédés de reproduction. La nouveauté radicale, c’est le film. En effet, l’imprimerie, loin d’être un agent de dépérissement de l’aura, a d’abord une fonction religieuse : ce qui a été imprimé en premier, c’est la Bible. Celle-ci a une valeur cultuelle, elle a une aura et la Réforme protestante est inséparable de l’aura de la Bible. Les livres, ceux de la religion chrétienne (les Pères de l’Église), de la littérature profane et du savoir (les Anciens) ont également une aura et une valeur cultuelle, même lorsque celle-ci n’est pas religieuse. « Le culte profane de la beauté, né à la Renaissance » (ibid., 77), c’est-à-dire à l’époque de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, est aussi un culte du livre. Les humanités classiques sont étroitement liées à l’humanisme de la Renaissance et à l’impression des livres.  

Les livres, la beauté (non seulement la beauté esthétique, mais aussi la beauté morale et civique) et les humanités sont traditionnellement au cœur de l’école. Leur transmission se fait à travers la relation entre le maître et les élèves. C’est par la médiation du maître que les élèves accèdent aux savoirs et aux humanités. Ils vont à l’école (un peu comme on va à l’église) en tant que lieu spécifiquement consacré à l’étude, ils vont aux livres plutôt que ceux-ci ne viennent à eux là où ils se trouvent. Les œuvres et les savoirs exigent leur attention. L’attention est la forme de recueillement requise par l’étude des humanités. Le maître, par sa présence, est porteur d’une aura. Les élèves sont regardés – ou croient être regardés – par le maître, lequel oriente leurs regards sur le tableau noir, sur le livre ou sur les exercices à faire. L’école repose traditionnellement sur ce pouvoir du maître de « lever les yeux » et de tourner le regard des élèves. En ce sens, la transmission scolaire, en particulier celle des humanités, « a toujours un fondement théologique » (idem). L’époque de la reproduction technique, et en particulier de la reproduction numérique, est celle du dépérissement de l’aura du maître et de l’aura du livre et des humanités classiques. Et en fin de compte de l’aura de l’école. 

Dans Enfance berlinoise et Sens unique, Benjamin témoigne de cette aura du livre : 

 « On reçoit un livre de la bibliothèque scolaire, écrit-il dans Sens unique. […] On était totalement livré pendant une semaine à la vie du texte qui vous enveloppait de façon douce et secrète, dense et incessante, comme des flocons de neige. On y entrait avec une confiance infinie. Silence du livre, silence qui séduisait sans fin. […] L’enfant respire le vent des événements et tous les personnages lui soufflent au visage. » (Agrandissements, dans Benjamin, 1978, 1988, 179-180).  

Mais aucune nostalgie de l’école traditionnelle chez Benjamin. Il écrit ainsi dans Enfance berlinoise : « Quelle différence entre le monde de ces livres et celui des livres de lecture où pendant des jours et même des semaines, je devais rester consigné dans des histoires suivies comme dans des casernes […]. » (Bibliothèque des élèves dans ibid., 90-91). Benjamin est très critique à l’égard de l’école traditionnelle à laquelle il oppose une philosophie de la capacité créatrice de l’enfant (cf. le recueil Enfance, 2011). Enfant, il apprend à lire et écrire avec des précepteurs privés, il supporte mal l’école, en particulier sa discipline. À douze ans, ses parents l’envoient à Haubinda en forêt de Thuringe. Haubinda, qui est le premier internat à la campagne (Landerziehungsheim) en Allemagne, a été fondé en 1901 par Hermann Lietz qui y met en œuvre la pédagogie d’Éducation Nouvelle. À Haubinda, le jeune Benjamin rencontre le pédagogue Wyneken, lequel fonde en 1906 sa propre école, la « libre communauté scolaire » (Freie Schulgemeinde) de Wickersdorf (le sens de la beauté et de la vérité est mis au cœur de cette école). Wyneken promeut une philosophie et une culture de la jeunesse, Benjamin devient son disciple (il rompt avec lui en 1915, suite au ralliement de Wyneken à la guerre) ; étudiant à Fribourg-en-Brisgau et à Berlin, il y anime le « Mouvement des étudiants libres » (cf. le texte de 1915-1916 La vie des étudiants dans Benjamin, 2000a, 125-141). Plus tard, Benjamin sera, entre 1927 et 1933, un des rares intellectuels de son temps à faire des émissions de radio, en particulier pour les enfants (cf. Baudouin, 2022). 

 

De la reproduction mécanique à la reproduction numérique 

 

Nous sommes entrés dans l’ère de la reproduction généralisée, mondialisée, immatérielle, immédiate et sans limites. Comme le montre Bruno Tackels dans Walter Benjamin à l’Ère du monde digital, le numérique réalise, pour le meilleur et aussi pour le pire, les potentialités de démocratisation mais aussi d’aliénation que Benjamin avait pensées dans son analyse de la radio et du cinéma. Tackels écrit :  

« Loin de toute approche nostalgique et technophobe, il [Benjamin] est l’un des rares penseurs de son temps à saisir le caractère révolutionnaire de la reproduction, dessinant à l’avance toutes les caractéristiques de notre époque, celle de la reproduction vraiment généralisée à l’échelle du monde. […] Quand on lit de près les textes de Walter Benjamin, on est saisi par cette évidence : les intuitions qu’il a eues à propos de son époque, la première moitié du XXe siècle, où la reproductibilité commençait seulement à se manifester, sont en train de se vérifier et de s’accomplir véritablement en ce début de XXIe siècle. » (Tackels, 2022, 35 et 37) 

 Le numérique ouvre un accès massif et immédiat aux informations, aux savoirs, aux textes et aux reproductions d’œuvres (musicales, picturales, etc.). Mais, en tant qu’il est régi par ce principe de disponibilité, il est aujourd’hui le plus puissant agent du dépérissement de l’aura. Les textes littéraires et les œuvres n’ont jamais été aussi accessibles et en même temps leur aura et leur autorité déclinent. La proximité numérique est sans lointain ; elle alimente les pathologies de la proximité et de l’immédiateté (tout, tout de suite et plus vite !) et permet l’intrusion capitaliste et étatique dans nos subjectivités.  

Avec la reproduction technique, « la compétence littéraire », écrit Benjamin, devient « un bien commun » (Benjamin, 2000c, 95) et l’utilisateur devient producteur et auteur. La reproduction numérique ouvre un espace commun de partage des connaissances et des œuvres, mais aussi (ambivalence du numérique) un espace de contrôle, de surveillance étatique, de gouvernementalité par les algorithmes et de prédation capitaliste. André Gorz a bien analysé ces deux faces du numérique. La reproduction numérique transforme la situation dans laquelle les œuvres d’art (tableaux, etc.) sont la propriété privée de particuliers ou bien sont dans des musées, les musiques dans des disques ou des CD, les textes littéraires dans des livres, les connaissances dans la tête des personnes qui les détiennent (les maîtres notamment). Elle sépare les contenus immatériels des marchandises et des personnes qui les contiennent. 

 « La propriété privée de connaissances et de concepts, écrit Gorz, était rendue possible par le fait qu’ils étaient inséparables des objets qui les matérialisaient. […] Mais tout change quand les contenus immatériels ne sont plus inséparables des produits qui les contiennent, ni même des personnes qui les détiennent […] Tout ce qui est traduisible en langage numérique et reproductible, communicable sans frais, tend irrésistiblement à devenir un bien commun, voire un bien commun universel quand il est accessible à tous et utilisable par tous. » (Gorz, 2008, 36-37) 

Les pratiques de coopération et de partage constituent des « communs de la connaissance » qui sont ouverts aux utilisateurs grâce notamment au logiciel libre, aux licences Creative Commons, au copyleft 4 . Mais les communs numériques font aussi l’objet, par le durcissement du droit de la propriété intellectuelle (en particulier du régime des brevets), de ce que le juriste James Boyle appelle le « second mouvement d’enclosures » (le premier mouvement d’enclosures étant la privatisation des terres communes en Angleterre aux XVIe – XVIIe siècles). Le travail immatériel donne lieu à de la prédation par le capitalisme cognitif et à des formes nouvelles d’aliénation (autoexploitation ou servitude volontaire). Le monde numérique est, comme le cinéma tel que Benjamin l’analyse, le monde de la distraction : à peine avons-nous ouvert une page, qu’une autre page s’ouvre à nous. « C’est la distraction permanente qui conduit notre navigation » (Tackels, 2022, 93) ; si nous n’y prenons pas garde, nous nous laissons voler notre temps par une forme d’addiction. Le libre accès, au lieu d’être un facteur d’émancipation, se transforme alors en une servitude volontaire. Pour ne pas être illusoire, l’accessibilité du numérique suppose une éducation parentale et scolaire au numérique par le numérique et une formation intellectuelle suffisante pour être capable de s’orienter dans la surabondance des ressources disponibles.  

 

Les humanités et le numérique    

 

Le numérique transforme en profondeur les humanités. De nouvelles humanités, les humanités numériques (Digital Humanities), naissent de la rencontre entre les humanités et le numérique et de l’utilisation des technologies numériques par les études en lettres, langues, philosophie, arts et sciences humaines et sociales. Elles consistent, dans un premier temps, à numériser des corpus déjà existants, autrement dit à aider les humanités à faire plus vite et plus efficacement leur travail habituel. Le jésuite italien Roberto Busa est le premier à avoir entrepris la numérisation d’une œuvre, en l’occurrence la Somme théologique de Thomas d’Aquin. Il voulait réaliser un index de cette œuvre monumentale : ce qui aurait exigé, avec les méthodes traditionnelles, un travail surhumain. Il réalisa (travail entamé en 1949 et qui dura trente ans), en collaboration avec IBM, l’Index thomisticus (cf. Mounier, 2018). 

Les humanités numériques ne consistent pas seulement à améliorer le travail habituel des humanités. Le numérique ouvre de nouvelles possibilités, notamment celle de la visualisation. Par exemple, l’université de Stanford (Californie) a cartographié les échanges intellectuels dans la République des Lettres au XVIIIè siècle et a appliqué à ces données les méthodes statistiques et quantitatives (programme Mapping the Republic of Letters, 2017). Cette transformation des humanités en données traitées scientifiquement (au sens des ‘’sciences dures’’) radicalisent la perte d’aura des humanités. Mais peut-on encore parler d’humanités lorsque le sens même des humanités – leur nature interrogative et interprétative – est perdu ? Le numérique ne laisse pas indemne les humanités. Les humanités numériques oscillent entre une soumission des humanités aux méthodes des ‘’sciences dures’’ et une affirmation des humanités dans le sens d’humanités numériques critiques. 

Le médium numérique (cf. la distinction benjaminienne entre appareil et médium) n’est pas simplement une technologie : c’est d’ores et déjà une culture, une nouvelle façon de percevoir le monde et l’humain et même, selon Milad Doueihi, une nouvelle civilisation, une nouvelle sociabilité. La « civilisation numérique » (Doueihi, 2011, 34) transforme l’être humain en homme numérique (homo numericus) et engendre un nouvel humanisme, « l’humanisme numérique ». Nous ne sommes pas seulement des utilisateurs de l’informatique et les humanités numériques ne peuvent pas être simplement une utilisation de la technologie numérique au service des humanités. Le numérique transforme les humanités. Comme le montre Doueihi sur le cas de l’amitié, il s’approprie l’héritage culturel et le redéfinit. Il tend même à tout englober, il est « en quête d’absolu et de totalité » (ibid., 37) : « tout doit devenir numérique, et surtout l’agent humain » (ibid., 153), autrement dit rien ne doit rester extérieur au numérique. Celui-ci fonctionne de façon à garantir une mémoire sans faille, sans oubli. « La culture numérique, dans sa quête d’absolu, est une forme inédite de la maîtrise de la mémoire », écrit Doueihi (ibid., 151). Le monde numérique, tel que le conçoit Doueihi, est un monde sans dehors. Mais alors comment penser la possibilité d’un regard critique sur la culture numérique ? Cette culture est un produit de l’Occident. « Comment, dans ce contexte, imaginer l’évolution de l’environnement numérique dans une autre perspective, selon des chemins qui ne seront plus exclusivement ceux de l’Occident, de ses concepts et de ses catégories ? » (Ibid., 39) 

 

Conclusion 

 

On peut faire l’hypothèse que des humanités plurielles et démocratiques (en particulier les humanités classiques, les cultures non occidentales et les arts), telles qu’elles s’incarnent dans des livres, des enseignements, des expositions artistiques, des concerts de musique, des films projetés en salle, etc., peuvent faire exister un regard critique sur le numérique et faire résistance à la tendance totalisante-totalitaire de celui-ci. Ces humanités plurielles et démocratiques peuvent constituer un dehors dans la mesure où elles peuvent donner lieu à des expériences de surgissement de l’aura c’est-à-dire d’« apparition d’un lointain, si proche soit-il » face à un monde numérique sans lointain et sans aura. Les humanités ne peuvent être formatrices qu’à travers des « illuminations profanes », selon l’expression de Benjamin dans son texte sur Le Surréalisme (Benjamin, 2000b, 116). 

Le déclin de l’aura ne signifie pas sa disparition. Ce qui disparaît, c’est l’aura imposée (cf. Didi-Huberman, 2000, 235), l’aura comme phénomène social, cultuel, et comme dispositif de pouvoir, et peut-être aussi l’aura comme rituel scolaire. Mais reste l’expérience personnelle de l’aura dans la rencontre singulière d’une œuvre classique ou moderne, nationale ou étrangère. Dans notre monde désenchanté surgissent encore des instants de « fugitive beauté dont le regard [nous] fait soudainement renaître » (Baudelaire, À une passante).  

Au lieu de passer quatre heures le soir sur l’ordinateur, pourquoi ne pas suivre plutôt l’exemple de Nicolas Machiavel dans sa maison de campagne ?  

« Le soir tombe, je retourne au logis. Je pénètre dans mon cabinet et, dès le seuil, je me dépouille de la défroque de tous les jours, couverte de fange et de boue, pour revêtir des habits de cour royale et pontificale ; ainsi honorablement accoutré, j’entre dans les cours antiques des hommes de l’Antiquité. Là, accueilli avec affabilité par eux, je me repais de l’aliment qui par excellence est le mien, et pour lequel je suis né. Là, nulle honte à parler avec eux, à les interroger sur les mobiles de leurs actions, et eux, en vertu de leur humanité, ils me répondent. Et, durant quatre heures de temps, je ne sens pas le moindre ennui, j’oublie tous mes tourments, je cesse de redouter la pauvreté, la mort même ne m’effraie pas. » (Lettre à Francesco Vettori, 10 décembre 1513, dans Machiavel, Œuvres complètes, 1952, 1436). 

 

 

Références 

 

Benjamin, W. (1978, 1988). Sens unique. Traduction Lacoste J. Maurice Nadeau. 

 

Benjamin, W. (1989). Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages. Traduction Lacoste J. Le Cerf. 

 

Benjamin, W. (2000a). Œuvres tome I. Traduction De Gandillac M., Rochlitz R. et Rusch P. Coll. Folio essais. Gallimard. 

 

Benjamin, W. (2000b). Œuvres tome II. Traduction De Gandillac M., Rochlitz R. et Rusch P. Coll. Folio essais. Gallimard. 

 

Benjamin, W. (2000c). Œuvres tome III. Traduction De Gandillac M., Rochlitz R. et Rusch P. Coll. Folio essais. Gallimard. 

 

Benjamin, W. (2011). Enfance. Traduction Ivernel P. Rivages poche/Petite Bibliothèque. 

 

Baudouin, P. (2022). Walter Benjamin au micro. Un philosophe sur les ondes (1927-1933). Éditions de la Maison des sciences de l’homme. 

 

Didi-Hubermann, G. (2000). Devant le temps. Minuit. 

 

Doueihi, M. (2011). Pour un humanisme numérique. Le Seuil. 

 

Gorz, A. (2008). Ecologica. Galilée. 

 

Machiavel, N. (1952). Œuvres complètes. Traduction Barincou E. Bibliothèque de la Pléiade. Gallimard. 

 

Mounier, P. (2018). Les humanités numériques : une histoire critique. Éditions de la Maison des sciences de l’homme. 

 

Neyrat, F. (2022). Le cosmos de Walter Benjamin. Un communisme du lointain. Kimé. 

 

Palmier, J.-M. (2006). Walter Benjamin. Le chiffonnier, l’Ange et le Petit Bossu. Klincksieck. 

 

Tackels, B. (1999). L’œuvre d’art à l’époque de Walter Benjamin. Histoire d’aura. L’Harmattan. 

 

Tackels, B. (2022) Walter Benjamin à l’Ère du monde digital. Kimé. 

 

 

 

 

Notes
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 Nous nous référerons principalement à la première version de ce texte, celle de 1935. Pour une analyse des différentes versions, cf. Bruno Tackels, L’œuvre d’art à l’époque de W. Benjamin. Histoire d’aura, L’Harmattan, 1999. Dans le cadre limité de notre texte, nous ne traiterons pas des débats entre Benjamin et Adorno. Sur ces débats, voir, outre le livre de B. Tackels cité ci-dessus, Jean-Michel Palmier, Walter Benjamin. Le chiffonnier, l’Ange et le Petit Bossu, Klincksieck, 2006. 

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 Le fascisme ne se contente pas d’instrumentaliser l’art, il esthétise la politique en y appliquant les catégories esthétiques traditionnelles. Il utilise la reproduction technique (en particulier le film) pour organiser un culte, celui du dictateur et des masses (meetings, défilés, manifestations sportives, etc.) et glorifier la guerre (cf. Benjamin, 2000c, 313-316). Benjamin cite le manifeste futuriste de Marinetti : « La guerre est belle, car elle rassemble, pour en faire une symphonie, les coups de fusils, les canonnades, les arrêts du tir, les parfums et les odeurs de décomposition » (ibid., 315). À cette esthétisation fasciste de la politique, Benjamin oppose la politisation communiste de l’art, dont le théâtre de Brecht est le meilleur exemple. « Voilà l’esthétisation de la politique que pratique le fascisme. Le communisme y répond par la politisation de l’art » (ibid., 316, souligné par Benjamin). 

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 « Shakespeare, Rembrandt, Beethoven feront du cinéma » (Abel Gance, « Le temps de l’image est venu », cité par Benjamin, ibid., 74). 

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 Le copyleft est une réponse originale à l’extension des droits exclusifs de propriété intellectuelle (copyright, droits d’auteur). Il ne suppose pas l’abandon des droits de propriété mais en fait un usage qui en subvertit le but : les licences copyleft accordent aux utilisateurs d’un programme les droits de l’exécuter, de le copier, de le transformer et de le redistribuer, à la condition que ces « quatre libertés » (selon l’expression du programmeur Richard Stallman qui a inventé le copyleft dans les années 1980) soient maintenues sur toutes les versions dérivées. Cette clause fait du logiciel libre un commun pérenne. 

Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292