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samedi 1er mars 2025
Pour citer ce texte : GÉGOUT, P. (2025). La pluridisciplinarité et l’hybridation de la philosophie française de l’éducation : enrichissement ou frein à son développement ? Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 5 ,
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-2024/dossier-partie-1-lieux-et-acteurs-de-la-philosophie-de-l-education-aux-xixe-et/article/la-philosophie-de-l-education-un-heritage-paradoxal-de-l-education-a-la]
La pluridisciplinarité et l’hybridation de la philosophie française de l’éducation : enrichissement ou frein à son développement ?
Pierre Gégout
Cergy Paris université (ILEPS)
Résumé : La philosophie universitaire regroupe un ensemble de sous-domaines philosophiques autour desquels travaillent les philosophes : philosophie de l’esprit, philosophie allemande, philosophie ancienne, phénoménologie… Cette contribution cherche à objectiver le fait que la philosophie de l’éducation ne fait en France pas partie de ces sous-domaines philosophiques. En étudiant un corpus d’articles issus d’une revue de référence en philosophie de l’éducation, nous montrons que cette discipline est trop hétérogène et indéterminée pour pouvoir prétendre à un niveau de structuration analogue aux autres champs d’investigation classiques de la philosophie. Cette étude reste cependant exploratoire dans la mesure où elle ne porte que sur un corpus limité de productions se revendiquant de la philosophie de l’éducation. Ses conclusions méritent donc d’être corroborées par de plus amples investigations.
Mots-clés : Philosophie de l’éducation, philosophie traditionnelle, philosophie continentale, philosophie analytique, histoire de la philosophie, pluridisciplinarité
Abstract : Academic philosophy made up of a number of philosophical sub-fields around which philosophers work: philosophy of mind, German philosophy, ancient philosophy, phenomenology, etc. This contribution seeks to highlight the fact that philosophy of education is not one of these philosophical sub-fields in France. By studying a corpus of articles from a reference journal in philosophy of education, we argue that this discipline is too heterogeneous and indeterminate to claim a level of structuring similar to the other classical fields of investigation in philosophy. However, this study remains exploratory in that it focuses only on a limited corpus of works claiming to belong to the philosophy of education. Its conclusions therefore deserve to be corroborated by further investigations.
Keywords : Philosophy of education, traditional philosophy, continental philosophy, analytical philosophy, history of philosophy, multidisciplinarity
1. La philosophie universitaire : un point de comparaison.
La philosophie et les philosophes, au sens universitaire, n’existent ni plus ni moins qu’existent la physique et les physiciens, l’économie et les économistes, la linguistique et les linguistes ou la psychologie et les psychologues : comme toute discipline académique, la philosophie a dû se subdiviser et s’organiser à des fins de spécialisation pour progresser. Il n’est désormais plus possible d’être un philosophe « en général », de même que l’on aurait bien du mal à trouver un laboratoire de « philosophie générale ». Chaque enseignant-chercheur de philosophie et chaque laboratoire affiche nécessairement une certaine spécialisation.
Pour qui a déjà étudié la philosophie à l’Université et, mieux, a pu en pénétrer les arcanes, il semble bien que cette discipline soit en réalité constituée de domaines et de sous-domaines dans lesquels des enseignants-chercheurs travaillent, se regroupent, débattent, discutent, organisent des manifestations scientifiques ou écrivent des articles. Un initié pourrait décrire cette organisation interne comme le résultat de différents types de découpages qui, parfois, se superposent ou s’entrecroisent. Régulièrement, la philosophie se retrouve découpée et organisée en une ou plusieurs de ces trois grandes façons1 :
Regroupement par période ou lieu. Exemple : philosophique ancienne, philosophie médiévale, philosophie contemporaine, philosophie allemande, philosophie britannique… Ce qui fait alors le dénominateur commun des philosophes qui se retrouvent dans un tel sous-domaine, c’est leur connaissance précise de plusieurs auteurs d’une période ou d’un pays.
Regroupement par courant de pensée. Exemple : phénoménologie, marxisme, pragmatisme, positivisme… Ici, les enseignants-chercheurs partagent une même « méthodologie philosophique » au sens où tous connaissent les grands principes, les grandes thèses, les grandes idées du courant dont ils sont les spécialistes.
Regroupement par thématique. Exemple : philosophie de la connaissance, philosophie morale, philosophie de l’art, philosophie de l’esprit, philosophie du langage… Ce qui regroupe les philosophes dans ce cas de figure est leur connaissance d’un ensemble de problèmes et de réponses relatives à un certain thème.
Ces domaines et sous-domaines ne sont pas des vues de l’esprit et prennent des formes très concrètes, par exemple lorsqu’ils servent d’intitulés de cours dans les départements de philosophie, lorsqu’ils sont mentionnés à l’occasion d’événements scientifiques (colloques, journées d’étude…), lorsque des livres et des revues s’en revendiquent ou s’en servent comme titre et, surtout lorsque des fiches de postes sont émises lors de recrutements. Les laboratoires et départements qui recrutent des philosophes ne s’y trompent pas, même lors des rares fois où il ne s’agit pas de départements ou de laboratoires de philosophie. Ce n’est jamais un « philosophe » qui est recherché mais un philosophe « de ceci » ou « de cela », spécialiste dans tel ou tel domaine, ayant telle ou telle approche. Bien sûr, remplir ces critères n’est pas toujours suffisant (voire nécessaire) pour être retenu mais on remarquera qu’il est désormais impossible de se prétendre « philosophe généraliste » ou, ce qui revient un peu au même, de se dire philosophe mais de ne pas être inscrit dans tel ou tel domaine ou sous-domaine.
Cette caractérisation en termes de domaine ne constitue qu’une première couche de structuration de la philosophie universitaire. En effet, à l’intérieur de chaque domaine ou sous-domaine, il est encore possible d’opérer des divisions organisatrices. Ces divisions ne sont pas à voir comme des murs ou des cloisons entre acteurs individuels ou collectifs mais plutôt comme des repères, des éléments permettant à chacun de se repérer dans ce qui constitue son « espace de travail »2 . Ces divisions sont reconnues par l’ensemble des professionnels du domaine ou du sous-domaine, quand bien même ils seraient plus familiers de certaines d’entre-elles. On pourrait, en reprenant la terminologie khunienne, parler de paradigme (Kuhn, 2008). Les divisions dont je parle ici sont en effet une certaine façon de voir le domaine ou le sous-domaine qui permet à chacun de s’y inscrire, d’une manière ou d’une autre. Comme Kuhn (1990) le précise, le paradigme n’est pas nécessairement une et une seule théorie unificatrice, mais plutôt une communauté qui se reconnaît dans un ensemble de problèmes partagés, un ensemble de réponses admises, candidates, discutées ou marginales, un ensemble de travaux incontournables voire une certaine formation spécifique. Bien qu’au sein d’un même paradigme puisse exister une relative pluralité, des désaccords, des incertitudes, des débats, il reste qu’un ensemble, sinon de normes, à tout le moins de problèmes doivent être partagés sous peine de faire éclater l’ensemble (du domaine ou du sous-domaine). Afin que cela soit davantage concret pour le lecteur non initié, prenons un exemple.
Parmi les domaines de la philosophie universitaire, on trouve la philosophie morale. La philosophie morale n’est pas un domaine complètement hermétique à d’autres, mais elle dispose d’une certaine autonomie qui réside justement dans un ensemble de divisions subsidiaires qui constituent autant de repères pour les enseignants-chercheurs y travaillant. Ce sont ces divisions qui font alors office de paradigme, de manière de voir l’espace intellectuel qu’est « la philosophie morale ». On peut ainsi :
Distinguer plusieurs grandes questions auxquelles les philosophes tentent de répondre d’une manière ou d’une autre. Exemples :
Qu’est-ce que le bien ?
Qu’est-ce qu’une action morale ?
Qu’est-ce que la vie bonne ?
Quel est le fondement de la morale ?
Distinguer des courants, des écoles, des camps qui constituent des ensembles théoriques visant à fournir une réponse à l’ensemble des questions du champ. Exemples :
Hédonistes
Stoïciens
Déontologistes
Conséquentialistes
Vertuistes
Remarquer que la différence voire la concurrence entre ces différentes théories prétendant répondre aux questions structurantes produit de nouveaux débats, de nouvelles questions et de nouveaux concepts qui vont venir préciser encore un certain positionnement dans le domaine (ou sous-domaine). Voilà pourquoi la philosophie morale est animée de discussions, de débats voire de scissions entre groupes aux positions différentes ou opposées. Exemples :
Les devoirs moraux dont parlent les déontologistes ont-ils une existence propre ? Les réalistes moraux pensent que oui, les anti-réalistes pensent que non.
Les énoncés moraux dont nous parlons sont-ils susceptibles d’être « vrais » ou « faux » ? Les objectivistes pensent que oui, les relativistes pensent que non.
La morale trouve-t-elle son fondement dans la nature et peut-elle être expliquée en termes naturels ? Les naturalistes pensent que oui, les non-naturalistes pensent que non.
Si le naturalisme est vrai, que désignent les termes moraux comme « juste », « bon », « mauvais » ? Pour les émotivistes, cela ne renvoie qu’à l’expression d’une émotion plus ou moins positive. Pour les prescriptivistes, cela désigne des incitations à faire ou à ne pas faire. Pour les cognitivistes, ils désignent bien quelque chose qui n’est pas du tout réductible à des préférences ou de simples prescriptions.
Voir que les enseignants-chercheurs partagent une connaissance de grands auteurs généraux qui font référence et qui constituent un corpus quasi-incontournable pour qui prétend être un professionnel du domaine. En fonction de leur position au regard des débats, s’ajoute à cette littérature de base une littérature plus spécifique et davantage relative à leur travaux, débats, questions de recherche etc.
Aristote, Hume, Kant, Mill, Rawls… comptent parmi les grands auteurs de la philosophie morale, notamment leurs écrits en rapport avec l’éthique, la morale ou la justice.
D. Hume, G. Moore, R.-M. Hare, A. J. Ayer, et C. Stevenson sont des références incontournables de l’émotivisme, soit parce qu’ils s’en réclament, soit parce qu’ils en sont proches.
Noter qu’en fonction du domaine, du sous-domaine ou de sa position, l’enseignant-chercheur en philosophie morale peut aller consulter d’autres auteurs et s’intéresser à d’autres problèmes philosophiques ayant un lien avec ceux de la philosophie morale.
Les débats en philosophie morale relatifs au primat du Juste sur le Bien ne sont pas sans conséquence sur la philosophie politique. Les protagonistes de ce débat en philosophie morale sont donc amenés à discuter aussi de philosophie politique.
En soutenant que les jugements moraux peuvent être « vrais » ou « faux », les objectivistes rapprochent les jugements de valeur des jugements de faits. C’est alors toute la philosophie de la connaissance qui peut être mobilisée en tant qu’elle s’intéresse précisément aux conditions de vérité d’un énoncé.
Noter également que, toujours en fonction du domaine, du sous-domaine ou de sa position, l’enseignant-chercheur en philosophie morale peut être amené à travailler avec des enseignants-chercheurs étrangers au domaine de la philosophie. Dans ce cas, il cherche à intégrer à sa réflexion les apports d’autres disciplines ou, plus exactement, les apports de domaines ou de sous-domaines d’autres disciplines. Exemples :
En vue d’approfondir sa compréhension de l’éthique selon Aristote, un philosophe peut travailler avec spécialiste du grec ancien ou un historien de l’époque hellénistique.
Un naturaliste en philosophie morale pourrait être tenté de travailler avec des psychologues cognitivistes ou des chercheurs en sciences cognitives afin d’étudier la correspondance entre énoncés moraux et émotions.
Nous pourrions évoquer encore d’autres éléments permettant ou illustrant la structuration d’un domaine ou d’un sous-domaine philosophique. Par exemple, l’édition de revues spécialisées, l’organisation de manifestations scientifiques consacrées à une question précise du domaine ou du sous-domaine, la parution d’ouvrages permettant de laisser des traces de l’état de l’art sont également des signes qui témoignent d’une telle organisation interne à la discipline. Mais il n’est pas nécessaire ici de proposer une liste exhaustive de tels signes : je crois être parvenu à montrer au lecteur profane le genre de complexité à laquelle il devrait s’attendre s’il souhaite intégrer le monde de la philosophie universitaire. Mutatis mutandis, la structuration que je viens d’évoquer rapidement pour la philosophie morale pourrait se retrouver sur d’autres domaines et sous-domaines de la philosophie, qu’ils s’inscrivent dans une perspective thématique comme c’est le cas ici, dans une perspective en termes de « courant » ou dans une perspective en termes de période ou de pays. À chaque fois, les enseignants-chercheurs doivent préciser leur domaine de connaissance et de compétence, apporter des réponses à de grandes questions qui structurent le domaine ou le sous-domaine, s’accorder ou s’opposer à d’autres réponses, connaître les auteurs de référence du domaine et ceux du sous-domaine, consulter des collègues issus d’autres domaines ou sous-domaines de la philosophie voire d’autres disciplines.
Cette description succincte n’est sans doute pas propre à la philosophie. En réalité, elle se retrouve, là encore mutatis mutandis, dans toutes les disciplines académiques3 . Et elle est le prix à payer dès lors que nous souhaitons affiner encore et toujours nos connaissances.
2. Et la philosophie de l’éducation dans tout cela ?
Si j’ai souhaité proposer une présentation succincte de la manière dont est structurée la philosophie universitaire, c’est en vue d’établir un point de comparaison relativement clair entre les domaines qui la constitue (philosophie morale, philosophie allemande, marxisme…) et ce qui, à première vue, devrait aussi être un tel domaine, à savoir la philosophie de l’éducation. A priori, nous devrions pouvoir proposer pour la philosophie de l’éducation une description relativement analogue à celle que nous avons faite de la philosophie morale ou que nous pourrions faire pour le pragmatisme ou la philosophie médiévale.
Pourtant, nous avons des raisons de penser que ce n’est pas le cas. La première de ces raisons est que la philosophie de l’éducation, en France, n’est de facto pas un domaine de la philosophie universitaire. Les raisons sont multiples et l’on peut consulter les quelques sources historiques qui retracent l’avènement de la philosophie de l’éducation pour s’en convaincre (Kahn, 2006 ; Vergnioux, 2009 ; Moreaux, 2009 ; Houssaye, 2009 ; Peyronie, 2016 ; Fontbonne, 2017). Aujourd’hui, cet état de fait peut encore matériellement se constater par observation en cherchant :
Le nombre de postes de « philosophes de l’éducation » rattachés à la 17e section du CNU (seulement) et ouvrant un poste de chercheur titulaire dans un laboratoire de philosophie et des enseignements au sein d’un département de philosophie.
Si des cours de philosophie de l’éducation figurent au programme des départements de philosophie en Licence ou en Master.
Le nombre d’enseignants-chercheurs titulaires dans des laboratoires de philosophie travaillant (principalement) sur la philosophie de l’éducation.
Le nombre de manifestations scientifiques consacrées à la philosophie de l’éducation organisées ou soutenues par des laboratoires de philosophie.
Le nombre d’ouvrages ou d’articles consacrés à la philosophie de l’éducation écrits par des enseignants-chercheurs en philosophie membres de laboratoires et de départements de philosophie.
A contrario, la formation, la trajectoire et les laboratoires voire les départements de rattachement de celles et ceux qui font vivre la philosophie de l’éducation en France4 .
Qu’on ne se méprenne point : il doit bien y avoir ici ou là quelques exceptions à la règle, comme lorsqu’on exhibe l’Émile de Rousseau ou Les Réflexions sur l’éducation de Kant pour dire qu’il n’est pas vrai que l’éducation n’a pratiquement jamais intéressé les philosophes reconnus par la philosophie universitaire. Il doit bien en exister certes, comme il existe bien des poissons-volants. Mais une exception, comme son nom l’indique, n’est pas la règle : elle la confirme plutôt en s’en démarquant, soulignant bien ce qui relève de la norme et ce qui relève de la singularité.
Il suit de cette situation que l’on peut alors s’interroger sur ses potentiels effets sur la manière dont la philosophie de l’éducation se structure. Dit autrement, le fait que la philosophie de l’éducation entretienne des rapports lointains avec les autres domaines et sous-domaines de la philosophie produit-il des effets observables dans la manière dont elle se fait ? En outre, il convient de noter que si la philosophie de l’éducation ne se fait pas au sein des départements de philosophie, elle se fait ailleurs. Comme son histoire le montre (Kahn, 2006 ; Vergnioux, 2009 ; Moreaux, 2009 ; Houssaye, 2009 ; Peyronie, 2016 ; Fontbonne, 2017) la philosophie de l’éducation est d’abord le fait d’acteurs qui, bien que formés à la philosophie, ont travaillé ou travaillent encore dans deux types de structures thématiquement liées :
Les instituts de formation des enseignants (École Normale puis IUFM, puis ESPE et désormais INSPE).
Les départements de Sciences de l’éducation et de la formation (qui accueillent de nombreux étudiants de premier cycle se destinant au métier d’enseignant et qui poursuivent donc leurs études dans les instituts de formation des enseignants).
Dans les deux cas, même si cela n’a rien d’automatique, les acteurs de la philosophie de l’éducation sont souvent des enseignants-chercheurs rattachés à des laboratoires de Sciences de l’éducation. Mais que cela soit le cas ou non, un fait est notable : en INSPE comme en Sciences de l’éducation, le philosophe de l’éducation est entouré de personnels non philosophes. Qu’il s’agisse d’enseignants-chercheurs ou non, le philosophe de l’éducation côtoie des didacticiens, des psychologues, des sociologues, des historiens… Aussi contrairement à l’enseignant-chercheur de philosophie « classique » que nous évoquions plus haut, le philosophe de l’éducation ne travaille pas (qu’)avec ses pairs. Et toujours contrairement à son collègue de philosophie morale, antique, allemande, de la religion ou de l’art, cela n’est pas anecdotique, occasionnel, périphérique : c’est au contraire la norme, le quotidien, l’ordinaire. Ce que j’ai appelé plus haut « l’espace de travail » est, pour le philosophe de l’éducation, presque par définition, qu’il le veuille ou non, composé d’éléments étrangers à la philosophie. Dès lors, se pose la question de l’effet de proximité quotidienne avec d’autres disciplines, de cette pluridisciplinarité ordinaire : le philosophe de l’éducation reste-t-il insensible à ces nouvelles approches, focalisé sur des problématiques philosophico-philosophiques ? Ou bien s’y ouvre-t-il ? Et si oui, ne prend-il pas le risque de s’éloigner de ce qui fait sa discipline ?
Enfin, pour les raisons de rattachement que je viens d’évoquer, on peut se demander ce que les contraintes d’enseignements font à sa pratique de recherche. En tant qu’enseignant auprès d’étudiants aspirant plus ou moins à devenir des praticiens de l’éducation voire des enseignants, et non plus auprès d’étudiants souhaitant se consacrer à l’étude de la philosophie comme discipline, n’est-il pas contraint5 d’adapter son discours, son sujet, son approche ? Dès lors, on est en droit de se demander si ce travail de la philosophie, d’origine « pédagogique », ne finit pas par impacter sa manière de faire de la philosophie, i.e., ses méthodes, ses centre d’intérêts, ses questionnements, ses références… Bref, parce qu’il n’est pas qu’un enseignant, le philosophe de l’éducation n’a-t-il pas tendance à faire passer ses questionnements relatifs à la pédagogie, à l’enseignement, à l’éducation dans le domaine de la recherche qui porte justement sur la question éducative ?
En somme, le caractère éloigné des institutions qui font la philosophie universitaire, l’éparpillement des acteurs se réclamant de la philosophie de l’éducation et la pluridisciplinarité de leur « espace de travail » ordinaire sont-ils compatibles avec une organisation analogue à celle que nous avons évoquée pour la philosophie en général ou pour ses sous-domaines comme la philosophie morale, par exemple ? En effet, pour qu’une telle organisation puisse voir le jour, ne faut-il pas prioritairement que les acteurs susceptibles de s’organiser de la sorte soient en contact régulier, s’accordent sur certaines normes, questions ou références, et puissent établir « un monde à eux » ? Les philosophes français de l’éducation ont-ils réellement de telles possibilités ?
Il n’est pas en notre pouvoir de répondre ici de manière exhaustive à cette question vaste et complexe. En revanche, nous pouvons proposer quelques éléments de réflexion en nous appuyant sur des données empiriques qui peuvent alimenter la discussion.
Parmi les éléments de structuration des domaines et sous-domaines de la philosophie universitaire, j’ai suggéré l’édition de revues spécialisées. De telles revues peuvent être vues comme des forums dans lesquels les acteurs du domaine viennent exposer à leur confrères et consœurs leurs travaux afin de recevoir des critiques et/ou d’en inspirer d’autres. C’est ainsi que la discipline avance ou, du moins, vit : c’est parce que ses membres se lisent, se répondent, se critiquent, s’amendent, se complètent, qu’un certain sujet s’étoffe voire finit par trouver une réponse. Les revues disciplinaires sont importantes pour cette raison : elles contribuent à mettre en dialogue les acteurs de la discipline et donc à la faire avancer. Pour cette raison et par définition, une revue spécialisée s’adresse donc à des spécialistes, et l’on comprend alors pourquoi elle est l’une des manières pour une communauté donnée de se structurer.
Par définition toujours, une revue spécialisée est nécessairement « étroite », étant entendu qu’on ne peut prétendre à la fois à la spécialisation et à la généralité. Si le médecin généraliste est généraliste, c’est qu’il n’est pas neurologue ou angiologue, lesquels médecins, s’ils sont spécialistes respectivement du système nerveux et des vaisseaux sanguins, ne le sont pas d’autre chose. Cette idée de spécialisation correspond bien au schéma d’organisation d’une discipline comme la philosophie (mais en réalité de toutes les disciplines académiques) dont j’ai parlé plus avant. L’exemple que j’ai pu prendre montre bien comment un philosophe peut se spécialiser en philosophie morale mais, plus encore, sur le naturalisme moral, et « encore plus encore », sur la pensée de A. J. Ayer, et « encore encore plus encore » sur son émotivisme telle qu’il l’exprime dans son ouvrage de 1936, Langage, truth and logic. Mais la spécialisation a un certain prix : elle conduit à devoir faire l’impasse sur ce qui est trop éloigné de ce sur quoi nous sommes des spécialistes car nous ne pouvons être spécialistes de tout. Dès lors, une revue spécialisée est une revue qui, certes, est consacrée à un certain (sous-)domaine mais qui, en conséquence, reste étrangère à d’autres (sous-)domaines. Et par « domaine » j’entends ici exactement ce que j’entendais préalablement par « domaine » et « sous-domaine » jusqu’à présent, à savoir un ensemble paradigmatique de questions et de réponses, de références et d’acteurs, de méthodes et d’attendus, de styles et de pratiques, de normes et de valeurs. Et de fait, de telles revues existent bien, même si elles ne recoupent pas nécessairement un et un seul (sous-)domaine, même si une certaine diversité peut y être perceptible6 .
Inversement, le fait de ne pas disposer de revue spécialisée voire de pas de revue du tout peut être le symptôme d’une discipline encore balbutiante ou, au contraire, en fin de vie. Dit autrement, nous pouvons tenir le nombre et le degré de spécialisation des revues d’une discipline pour des critères permettant d’objectiver sa vitalité et sa structuration. L’examen de revues se réclamant de la philosophie de l’éducation pourrait nous permettre d’en savoir un peu plus sur elle, sur ce qu’elle est voire sur comment elle se fait7 . Cela pourrait nous donner quelques indications quant à son degré de différence ou de proximité d’avec la philosophie universitaire.
3. Méthodologie
Dans ce qui suit, nous présentons au lecteur les premiers résultats d’une étude en cours s’inscrivant dans la réflexion menée plus avant. Si l’une des façons d’objectiver le niveau de structuration d’une discipline peut passer par l’étude des caractéristiques des revues s’en réclamant, alors une première façon de caractériser la philosophie de l’éducation en France pourrait être de s’intéresser aux revues se revendiquant de la philosophie de l’éducation. Bien sûr, un tel exercice ne saurait être qu’une contribution à un travail plus global visant à mettre à jour « l’état » de la discipline. Un travail sur son histoire, ses dynamiques de pouvoir, sa sociologie, ses rapports avec des enjeux plus institutionnels etc. reste à faire. Mais l’étude des revues permet en revanche de répondre à au moins deux grandes questions :
Concrètement, qu’est-ce que la philosophie de l’éducation ? À quoi ressemblent ses productions ? Où les acteurs du champ mettent-ils une limite entre ce qui en fait partie et ce qui n’en fait pas partie ?
Qui sont les acteurs se réclamant de la philosophie de l’éducation ? Quels sont les profils des « philosophes de l’éducation » ? D’où viennent-ils institutionnellement parlant ?
Répondre à ces deux questions, c’est déjà se donner les moyens d’objectiver d’éventuelles différences, sur ces deux aspects, d’avec le reste de la philosophie universitaire. Et ce faisant, nous disposerons d’éléments permettant de « mesurer » le degré de structuration de la discipline ou de « l’espace de travail » de ces acteurs.
3.1 Le corpus
Deux revues ont été identifiées : Le Télémaque et Penser l’éducation. Ce sont en effet les deux seules revues affichant clairement leur lien avec la philosophie de l’éducation dès leur sous-titre. Celui de Penser l’éducation est « Philosophie de l’éducation8 et histoire des idées pédagogiques ». Celui du Télémaque est « Philosophie – Éducation9 – Société ». Ensuite il s’agit de revues liées au champ de la recherche en éducation, revues reconnues comme « qualifiantes » par la liste des revues de Sciences de l’éducation et de la formation de l’HCERES. Il s’agit donc de revues à comité de lecture dans lesquelles publier est fortement recommandé pour tout philosophe souhaitant obtenir une qualification en 70e section du CNU. Enfin, notons que ces revues ont été ou sont encore très liées à des structures universitaires. Bien qu’étant une association loi 1901, la revue Le Télémaque a d’abord été soutenue par le Centre Régional de Ressources Pédagogique de Caen avant d’être hébergée par le Centre d’Étude et de Recherche en Sciences de l’éducation de l’Université de Caen en 1998. Depuis ce sont d’ailleurs les Presses Universitaire de Caen qui se chargent de son édition. « Penser l’éducation » est adossée au Centre Interdisciplinaire de Recherche Normand en Éducation et Formation (CIRNEF, UR7454), laboratoire de Sciences de l’éducation de l’Université de Normandie, et ce sont les Presses Universitaires de Rouen et du Havre qui l’éditent.
Ces deux revues sont incontestablement de bonnes candidates à ce que nous pouvons considérer comme des revues spécialisées d’une discipline : elles s’en revendiquent, sont adossées à des organismes de recherche ou à des acteurs y travaillant, et sont même reconnues par le champ de la recherche en sciences de l’éducation et de la formation comme des revues de qualité suffisante pour être qualifiantes. S’il existe sans aucun doute d’autres revues dans lesquelles des productions de philosophie de l’éducation peuvent être publiées, à notre connaissance, elles ne rassemblent pas ces trois critères.
Entre 2006 et 2020, nous avons comptabilisé un total de 650 articles ou « productions10 » figurant dans ces deux revues. Le choix de la période d’étude n’est pas anodin même s’il a bien quelque chose d’arbitraire. D’abord, nous avons arrêté la collecte à la date à laquelle nous avons commencé notre enquête. Ensuite, concernant la date de début (2006), nous l’avons choisie parce qu’elle marque la date de la création de la Société Francophone de Philosophie de l’Éducation (SOFPHIED) (Peyronie, 2016), signe intéressant d’une certaine structuration de la discipline11 qui soit à la fois éloigné dans le temps mais pas suffisamment pour que la majorité des acteurs d’alors aient aujourd’hui disparus.
Dans ce qui suit, nous ne présenterons toutefois que des résultats partiels et obtenus uniquement à partir des articles parus dans Le Télémaque, ce qui représente 411 contributions. Le travail d’indexation des articles parus dans « Penser l’éducation » reste à faire. Cependant, le fait de ne traiter que des articles parus dans Le Télémaque nous permettra d’avoir une première approximation de ce qu’est la philosophie française de l’éducation actuelle, a fortiori telle qu’elle transparaît à travers cette revue.
3.2 Les catégories d’auteurs
L’une des premières questions que nous nous sommes posées était de savoir qui écrivait des articles dans des revues se réclamant de la philosophie de l’éducation, donc qui pouvait, a priori, se réclamer de ce domaine. C’est pour cette raison que nous nous sommes attelé à catégoriser les auteurs des articles recensés12 . Cette catégorisation visant bien les auteurs eux-mêmes, nous nous sommes focalisé sur leur domaine principal d’expertise pour les qualifier. Ce que nous entendons ici par « domaine d’expertise » recoupe en fait deux types de réalité :
Les domaines institutionnellement reconnus car désignant des disciplines présentes à l’Université (histoire, psychologie, sociologie, sciences de l’éducation, philosophie…).
Les domaines non reconnus par l’Université mais largement en usage par ailleurs, y compris entre les acteurs de l’Université : pédagogue, didacticien, psychanalyste…
Nous nous sommes donc affranchi de la catégorisation strictement universitaire afin de produire des catégorisations plus fines et plus justes. En effet, qualifier un expert de l’histoire des idées pédagogiques de philosophe, d’historien ou de chercheur en sciences de l’éducation ne nous semble pas satisfaisant car, s’il est un peu de tout cela, il est aussi autre chose. Dans pareil cas, nous avons donc opté pour l’appellation « commune » de « pédagogue » bien qu’elle ne soit pas institutionnellement reconnue.
Précisons que la tâche de catégorisation des auteurs n’a pas consisté à les classer dans l’un des deux types de label (institutionnellement reconnu ou non) ni à leur associer un et un seul label. Afin de tenir compte le plus possible du profil de chaque auteur, nous avons tenté de leur accoler le ou les labels les plus pertinents. Ainsi, certains d’entre eux, particulièrement versés dans plusieurs domaines d’expertises ont-ils reçus plusieurs labels, qu’ils appartiennent à des catégories « reconnues » ou non. Par exemple, des chercheurs en sciences de l’éducation travaillant particulièrement dans un cadre psychanalytique ont reçu les étiquettes de « sciences de l’éducation » et de « psychanalyste ».
De manière générale, pour déterminer la catégorie (plus ou moins vaste) à laquelle l’auteur appartenait, nous ne nous sommes pas appuyé sur ses articles présents dans le corpus seulement mais sur son profil plus global. La plupart du temps, ont été pris en compte non des critères mais plutôt des « symptômes », comme aurait dit Nelson Goodman13 . Nous avons recherché, non des caractéristiques nécessaires et suffisantes faisant le philosophe, l’historien, le sociologue ou le psychologue mais un ensemble d’indices qui, mis ensemble, tendent à dessiner un certain profil. Nous nous sommes donc focalisé sur les éléments suivants afin de dresser la symptomatologie de chaque auteur :
la formation initiale de l’auteur (si elle nous était connue) ;
son poste actuel (et passé s’il existe), à la fois en termes d’enseignement (département) et de recherche (laboratoire) ;
ses domaines et thématiques de recherche ;
ses autres publications (livres, articles…) ;
les enseignements qu’il a pu dispenser.
Bien évidemment, il n’a pas toujours été simple de déterminer la ou les catégories les plus adéquates. Dans la mesure du possible, nous avons essayé de minimiser le nombre de labels afin d’éviter que cet exercice de catégorisation ne conduise à attribuer les mêmes caractéristiques multiples à chaque auteur. C’est pour cette raison que nous avons volontairement ignoré les aspects apparemment mineurs ou marginaux de certains profils14 .
À l’issue de ce travail de catégorisation, nous nous sommes retrouvé avec deux catégories de philosophes : ceux qui avaient été catégorisé uniquement comme « philosophes », et ceux qui avaient été catégorisés comme « philosophe » mais aussi comme autre chose. Dans la suite de notre étude, nous avons décidé d’appeler les premiers les « philosophes disciplinaires », et les seconds, « philosophes pluridisciplinaires »15 . Typiquement, le label « philosophe disciplinaire » a été attribué aux auteurs travaillant quasi-exclusivement en philosophie, ayant une formation de philosophie, un poste de philosophie… bref, aux auteurs chez qui c’est bien l’aspect philosophique qui prédomine dans leur symptomatologie. Le label « philosophe pluridisciplinaire » correspond quant à lui aux auteurs dont la symptomatologie est dominée par la philosophie mais qui témoigne néanmoins d’une certaine proximité avec d’autres disciplines, approches, problématiques... Par exemple, un philosophe qui tentera de tisser un lien entre une pensée philosophique et des pratiques réelles d’enseignement, ou un philosophe qui tente d’articuler une certaine conception philosophique de l’éducation avec des considérations psychologiques sera qualifié de « pluridisciplinaire ». En somme, ces philosophes sont des philosophes davantage ouverts aux sciences humaines et sociales voire aux questions pratiques au sein même de leur travail.
Une telle caractérisation des auteurs nous a paru essentielle pour mesurer le degré d’homogénéité ou d’hétérogénéité des contributeurs à la revue. En effet, si nous constatons que la part des philosophes (« disciplinaires » ou « pluridisciplinaires ») est faible, alors on pourra se demander en quoi la revue est spécifiquement liée à la philosophie de l’éducation. Si cette part est en revanche importante, ce lien pourra être objectivé. Mais plus intéressant encore : en fonction de la proportion des différentes catégories d’auteurs, nous serons surtout en mesure de rendre compte du degré de proximité que la philosophie de l’éducation entretient avec les autres disciplines.
3.3 Les catégories d’articles
Après avoir catégorisé les auteurs, il nous a fallu en faire autant avec leurs productions. Cette démarche a reposé elle aussi sur l’établissement d’une symptomatologie pour chacune d’entre-elles. Elle a cependant été plus difficile à établir en raison de l’impossibilité de recourir à des éléments facilement objectivables comme c’était le cas pour les auteurs. Les éléments sur lesquels nous nous sommes appuyés pour mener à bien cette tâche ont été les suivants :
Le sujet, la thématique, la problématique de l’article : à quel type de question répond l’article ? Toute question n’est pas philosophique. Certaines sont plus empiriques que d’autres. Si tel est le cas, est-ce une problématique sociologique ? historique ? didactique ?
La méthode d’enquête retenue, les concepts utilisés : comment, par quels moyens l’auteur répond-il à sa question ? La philosophie repose principalement sur l’argumentation conceptuelle et la mobilisation de concepts émanant d’autres philosophes. La sociologie repose davantage sur des enquêtes de terrain ou des enquêtes statistiques. L’histoire s’appuie sur des textes et des archives pour rendre compte d’un phénomène passé…
Le cadre théorique ou les références mobilisées (parfois renvoyant clairement à un domaine d’étude bien identifié) : sur quelle « tradition » s’appuie l’auteur ? Chaque discipline et même chaque (sous-)domaine de sa discipline a ses auteurs de référence. Or, ces auteurs s’inscrivent dans un champ disciplinaire. La consultation de la bibliographie peut donc s’ajouter au faisceau de symptômes caractérisant la production examinée.
Le style d’écriture, le type d’écrit produit : l’auteur est-il dans une forme d’argumentation s’appuyant sur des faits ou sur des raisons, ou bien propose-t-il davantage « une vision », « une manière de voir les choses » ? Cet élément de la symptomatologie vise notamment à distinguer les approches argumentatives (étayées ou non par des observations, du matériel, un corpus…) des approches plus littéraires visant davantage l’exposition d’un propos. Il permet de catégoriser le degré de prétention épistémique de la production (par exemple, en distinguant un témoignage, un récit d’expérience, d’une enquête empirique ou d’une démonstration conceptuelle).
Si nous n’avons pas hésité à attribuer plusieurs qualificatifs aux auteurs, dans la mesure du possible nous avons essayé de n’en donner qu’un seul aux articles. En effet, alors qu’un auteur peut avoir plusieurs domaines d’expertise et produire dans différents champs, il est plus difficile pour un article de prétendre s’inscrire dans plusieurs champs à la fois, sous peine de devenir relativement superficiel. Toutefois, lorsque l’article en question se situait bien à la frontière de plusieurs approches, nous lui avons accolé les étiquettes correspondantes. Ces dernières reprennent largement les catégories employées pour les auteurs. On retrouve donc des labels correspondant à des disciplines reconnues institutionnellement (sociologie, histoire, psychologie…) et d’autres relevant davantage de l’usage dans le champ des recherches en éducation : pédagogie, psychanalyse…
Lorsqu’un article recevait le seul label « philosophique », nous avons procédé à une seconde catégorisation, plus fine, en vue de préciser le type de philosophie recensé. Dans ce cas, l’article recevait, en plus, l’un des labels suivants16 :
« Histoire de la philosophie », lorsque l’article s’attachait à développer la conception d’un philosophe à propos de telle ou telle question. Dans cette perspective, l’objectif de l’article est avant tout de présenter la pensée d’un philosophe, sans forcément la critiquer, ni la commenter.
« Philosophie traditionnelle », lorsque l’auteur cherche à répondre à une question philosophique en s’appuyant sur des auteurs « classiques » en philosophie, c’est-à-dire des auteurs généralement plutôt anciens qui sont de grandes figures de la philosophie jusqu’à nos jours (Platon, Aristote, Saint-Thomas, Montaigne, Descartes, Hume, Kant, Hegel, Marx, Nietzsche, Russell…). Dans cette perspective, l’argumentation repose moins sur des propositions faites en propre par l’auteur que par la réunion de positions issues de philosophes faisant autorité.
« Philosophie continentale », lorsque l’auteur cherche à répondre à une question philosophique mais que, pour cela, il emploie moins l’argumentation logique que l’exposition de « points de vues », de « visions »17 et se réfère à des philosophes continentaux du XIXe et XXe siècles comme Hegel, Nietzsche, Merleau-Ponty, Heidegger, Gadamer, Foucauld, Derrida, Deleuze ou Gattari.
« Philosophie analytique », lorsque l’auteur cherche à répondre une question philosophique en développant des arguments logiques ou conceptuels qui lui sont propres, ou à tout le moins, qu’il présente sans nécessairement se référer à un autre philosophe. Dans ce genre d’articles, les auteurs cités sont davantage issus du monde anglo-saxon du XXe siècle (Russell, Wittgenstein, Quine, Austin, Scheffler, Putnam…).
Ainsi, nous disposons de cinq types d’articles que l’on peut totalement ou partiellement qualifier de « philosophiques » au sein de notre corpus. D’un côté, les articles qualifiés entre-autres de « philosophiques », appelés articles « partiellement philosophiques » par la suite, de l’autre, les articles « totalement philosophiques » regroupant les quatre catégories précédentes.
4. Résultats
C’est donc en nous appuyant sur ces catégories, portant à la fois sur les contributeurs et sur leurs productions, que nous avons tenté de caractériser la philosophie de l’éducation telle qu’elle se manifeste au sein de la revue Le Télémaque de 2006 à 2020. Dans ce qui suit, nous présentons les premiers résultats d’une lecture de ce corpus à l’aune de cette double classification.
4.1 Les contributeurs du Télémaque
Bien que notre corpus d’étude comprenne 411 entrées, nous ne comptabilisons que 263 auteurs différents. En effet, nombreux sont ceux à avoir écrit plus d’un article pour la revue. Lorsque nous appliquons les catégories comme nous l’avons précédemment décrit, nous observons les résultats suivants.
D’abord, près de la moitié de ces 263 contributeurs ont été catégorisés comme, au moins en partie, « philosophes ». Cela signifie qu’une part importante des auteurs est liée d’une manière ou d’une autre à des approches, des thématiques, des méthodologies ou une formation philosophique. A contrario, une moitié légèrement plus importante (51,71%) n’a pas été qualifiée de « philosophe » du tout. Pour ces auteurs, la philosophie semble une discipline avec laquelle ils n’entretiennent que peu voire pas de rapport. Il s’agit alors de contributeurs appartenant certes à des champs scientifiques connexes (sociologie, histoire, didactique…) mais qui travaillent finalement assez peu voire pas du tout avec des ressources philosophiques.
Ensuite, si nous nous arrêtons sur les « philosophes » de notre corpus, nous pouvons remarquer qu’ils se divisent eux aussi en deux parties presque égales : d’un côté, les philosophes « disciplinaires » et, de l’autre, les philosophes « pluridisciplinaires ». Chose intéressante, ce sont bien les « philosophes disciplinaires » qui semblent être les plus nombreux, représentant près de 26% des auteurs totaux contre 22,5% pour les philosophes « pluridisciplinaires ». Néanmoins, cette majorité est courte et il est possible que la requalification d’une poignée d’auteurs change la donne.
D’un point de vue global toutefois, il nous faut noter que le profil « rigoureusement philosophique » est indubitablement minoritaire. Car à supposer que l’on ne considère que comme « véritable » philosophes que les philosophes « disciplinaires », alors il nous faut reconnaître qu’ils ne représentent qu’un quart des 263 contributeurs.

4.2 Les articles parus dans Le Télémaque
Penchons-nous maintenant sur la catégorisation des articles écrits par ces 263 auteurs et publiés dans Le Télémaque entre 2006 et 2020. Nous avons appelé « non philosophiques » les articles qualifiés de toutes les manières possibles sauf « philosophiques ». Nous avons appelé « partiellement philosophiques » les articles qualifiés de philosophiques et d’autre chose. Enfin, nous avons appelé « totalement philosophiques » les articles qualifiés exclusivement de « philosophiques ». Bien que plus nombreux (411), la répartition de l’ensemble de ces contributions n’est pas si différente de la répartition des auteurs.
Le point le plus notable, si on le compare à la répartition précédente, est que la part des articles totalement philosophiques a augmenté. Alors que les auteurs que nous avons qualifiés de « philosophes disciplinaires » ne représentent que 25% des contributeurs, les articles « totalement philosophiques » représentent plus de 33% des articles.
Le second point qui nous semble important de noter est que c’est la part « non philosophique » qui semble reculer, par rapport aux profils des auteurs. Les articles « non philosophiques » représentent 40% de l’échantillon alors que les « non-philosophes » représentent plus de 50% des auteurs.
La part d’articles « partiellement philosophiques » est, elle, relativement proche du nombre d’auteurs « philosophes pluridisciplinaires » : 25,5% des articles sont de cette catégorie pour environ 22,5% d’auteurs « philosophes pluridisciplinaires ».
On constate donc que la part des articles philosophiques (totalement ou partiellement) est bien supérieure à la part des auteurs dits « philosophes », qu’ils soient « disciplinaires » ou « pluridisciplinaires ». On peut un peu s’étonner de cette légère différence dans la mesure où écrire de la philosophie (ou de la sociologie, ou de l’histoire, ou de la psychologie…) lorsque l’on n’est pas spécialiste n’est pas évident. Pour comprendre cette différence, il va nous falloir nous interroger sur l’origine de ce « surplus » de contributions philosophiques ou, ce qui revient un peu au même, sur ce « déficit » d’écrits non philosophiques.
Quoi qu’il en soit, ce que la comparaison entre la répartition des auteurs et celle des articles montre, c’est à tout le moins que la majorité des articles parus dans Le Télémaque est bien à teneur philosophique, quand bien même ses contributeurs « philosophes » ne seraient pas si majoritaires que cela.

4.3 Qui écrit quoi ?
Si nous nous intéressons à l’origine des articles parus, nous obtenons les résultats suivants :

Sans surprise, nous pouvons remarquer que la majorité des articles « totalement philosophiques » ont été écrits par des auteurs philosophes, « disciplinaires » ou non. Et inversement, nous pouvons voir que les auteurs non philosophes écrivent principalement des articles non philosophiques.
Ce qui est revanche plus surprenant, c’est que le nombre d’articles totalement ou partiellement philosophiques écrits par ces derniers est tout de même assez conséquent (12+41=53), au point qu’il n’est finalement pas si loin du nombre d’articles non philosophiques écrits par les auteurs philosophes « pluridisciplinaires » ou « disciplinaires » (22+47=69). C’est sans doute le caractère philosophique de ces productions, issues d’auteurs non philosophes, qui explique la prédominance des articles totalement ou partiellement philosophiques dans notre corpus, alors même que les philosophes (pluridisciplinaires ou disciplinaires) sont en relative minorité.
Notons tout de même la présence de ces 69 articles non philosophiques écrits par des auteurs classés comme « philosophes » dans une revue se revendiquant de la philosophie de l’éducation. Bien que ne représentant qu’environ 17% de l’ensemble du corpus, leur nombre n’est pas négligeable, surtout, encore une fois, lorsqu’on sait par quel genre d’auteurs ils ont été écrits et dans quel genre de revue ils ont été publiés.
4.4 La philosophie dans Le Télémaque
Le dernier aspect que notre travail de classification nous permet d’étudier est celui du type de philosophie présent dans les articles du corpus. Pour cela, nous nous sommes concentrés sur les seuls articles qui avaient été catégorisés comme uniquement ou également philosophiques (n=139). Nous avons fait jouer la double catégorisation dont nous avons parlé et avons ensuite regardé quel genre de philosophie produisaient leurs auteurs. Nous obtenons le graphique suivant :

Ce qui frappe d’abord, c’est le relatif équilibre existant entre trois des quatre catégories de philosophie que nous avons définies, et ce, quels que soit les types d’auteurs. Certes, les « philosophes disciplinaires » écrivent davantage de « philosophie classique » que les autres types d’auteurs mais, même chez eux, nous retrouvons une part non négligeable d’histoire de la philosophie et de philosophie continentale. Les philosophes « pluridisciplinaires » et les non-philosophes produisent des corpus très similaires et encore plus équilibrés entre ces trois types de philosophie. En bref, comme le montre la répartition totale, les articles de philosophie présents dans Le Télémaque sont, grosso modo, pour un tiers de l’histoire de la philosophie, pour un tiers de la philosophie continentale et pour un dernier tiers de la philosophie classique. Tout se passe un peu comme si, quelle que soit la catégorie des auteurs retenue, tous partageaient une conception relativement proche de la philosophie, écrivant tantôt dans tel style, tantôt dans tel autre ; ou encore comme si la répartition de ces conceptions de la philosophie était relativement partagée entre les différents contributeurs de la revue.
En revanche, la philosophie analytique est la grande absente. Nous n’avons compté que deux contributions dans cette catégorie. La philosophie analytique est pourtant largement répandue dans le monde entier, sur bien des sujets. Dans le monde anglo-saxon, il existe une véritable tradition de philosophie analytique de l’éducation (cf. Forquin, 1989, ou Egea-Kuehne, 1997). Certains textes ou ouvrages issus de cette veine ont même été traduits en français, comme Scheffler (1998, 2003, 2011) ou Peters (2024). Il semblerait que la tradition analytique, dont nous savons qu’elle a eu du mal à s’implanter en France (Pudal, 2004), n’est pas parvenue du tout à pénétrer le champ de la philosophie française de l’éducation. Plusieurs éléments peuvent en effet corroborer cette hypothèse :
L’éloignement des laboratoires et des départements de philosophie des philosophes de l’éducation en France explique peut-être que les évolutions s’y produisant ne touchent que peu voire pas du tout les philosophes de l’éducation occupant plutôt des laboratoires de Sciences de l’éducation et de la formation.
Pour un certain nombre d’entre eux, les plus âgés notamment, leur formation en philosophie s’est faite à une époque où la philosophie analytique était marginale en France, quel que soit le sujet. Peu « socialisés » à ce genre de philosophie, au profit de l’histoire de la philosophie, de la philosophie plus classique voire de la philosophie continentale, ils ont préféré travailler avec les outils et références maîtrisées et reconnues.
Du fait de leur place dans la formation des enseignants, les philosophes de l’éducation ont un intérêt relativement fort pour les enjeux pratiques. Dès lors, s’ils estiment nécessaire d’en savoir plus sur certains domaines liés à l’éducation, on peut penser que c’est davantage vers des domaines comme la pédagogie, la didactique ou la psychologie qu’ils vont se tourner. Le temps et les efforts consacrés à l’étude de ces nouveaux domaines est autant de temps qu’il n’est plus possible d’allouer à l’étude de textes de philosophie analytique.
L’accessibilité aux références analytiques est sans doute un critère à ne pas négliger. L’immense majorité des écrits en philosophie analytique de l’éducation est en anglais, publiée dans des revues anglo-saxonnes. Pour des philosophes peu à l’aise avec la langue de Shakespeare ou, même, pour ceux qui ne sauraient pas déjà où chercher ces ressources, y accéder peut être difficile.
5. Discussion
L’étude du corpus du Télémaque nous permet de tirer quelques premiers enseignements sur ce qu’est la philosophie française de l’éducation, du moins telle qu’elle transparait par cet intermédiaire.
Rappelons notre remarque initiale : d’un point de vue internaliste, nous avons vu que la philosophie universitaire était en fait une structure faite de domaines et de sous-domaines, chacun d’entre eux étant constitué de subdivisions thématiques, problématiques, théoriques… Nous avons dit que ces subdivisions n’étaient pas tant des clivages que des repères voire de véritables lignes dynamiques permettant au philosophe de produire un travail orienté dans une certaine direction : à propos d’une question, en rapport avec un ou plusieurs auteurs de référence, en réponse à une certaine thèse, en développant tel ou tel argument etc. Ensuite, nous avons soutenu que c’était ce travail de discussion organisée qui, en plus de structurer et la discipline et le travail du philosophe, permettait à l’ensemble de la communauté disciplinaire (ou, à tout le moins, d’un (sous-)domaine donné) d’avancer, d’évoluer voire de progresser. Evidemment, pour que cela soit possible, il faut qu’existe, sinon une homogénéité complète, au moins des îlots d’homogénéité, i.e. qu’à l’intérieur de la philosophie, certains acteurs se retrouvent sur un terrain commun, un langage commun, une méthodologie commune, des auteurs communs et surtout un problème commun, bref, un paradigme commun. Enfin, nous avons proposé l’idée selon laquelle les revues spécialisées pouvaient illustrer tout cela, précisément parce qu’elles sont l’un des lieux de ces échanges entre pairs partageant un même paradigme.
En examinant les auteurs et les contributions du Télémaque entre 2006 et 2020 nous avons tenté de réaliser une première « mesure » d’une telle homogénéité à propos de la philosophie de l’éducation qui, en tant que discipline se réclamant de la philosophie, devrait a priori, elle aussi, être structurée selon des modalités assez proches de celles qui prévalent en philosophie morale, en philosophie politique, en philosophie des sciences ou en philosophie de l’art. Au regard de cet examen préliminaire, que peut-on conclure ? Pour le dire rapidement, il semble que ce soit davantage l’hétérogénéité qui prédomine plutôt qu’une espèce d’homogénéité, même limitée.
Nous avons déjà pu noter l’hétérogénéité des contributeurs. Si les philosophes sont les plus nombreux, ils ne représentent pas non plus une écrasante majorité. Près de la moitié des auteurs ne sont de toute évidence pas des philosophes18 . En outre, parmi les auteurs comptabilisés comme « philosophe », un nombre conséquent consacre ou a consacré une part importante de son temps à travailler sur des sujets, des problèmes, des approches… annexes à la philosophie. Ce que cela signifie, c’est qu’une partie de leur temps a été dédiée à l’exploration de sujet non philosophiques, c’est-à-dire, au fond à l’élargissement de leur spectre de connaissance et de compétence, plutôt qu’à l’approfondissement de leur connaissance philosophique (potentiellement déjà importante). Ce que je veux souligner ici, c’est donc une triple hétérogénéité chez les auteurs du Télémaque : des auteurs au profil éminemment philosophique, des auteurs au profil philosophique mais également psychologique, sociologique, historien, praticien… et des auteurs au profil non philosophique.
Le second point, très lié au premier, est qu’un même constat peut être fait à l’égard des productions elles-mêmes. Même si la majorité des contributions sont de nature philosophique, nombreuses sont celles qui ne relèvent pas totalement voire pas du tout de la philosophie. Or, si le profil des auteurs ne dit a priori rien de leurs productions, il n’en est pas de même lorsque c’est précisément la nature de ces dernières qui est examinée. Il nous semble que ce constat est plus intéressant que le premier au regard de notre problématique. En effet, si une revue est dite « spécialisée », c’est qu’elle concentre des auteurs au profil sans doute semblable mais pas nécessairement. En revanche, il est difficile de prétendre qu’une revue est « spécialisée » si la diversité des articles qu’elle recueille est telle qu’il est alors difficile de déterminer à quelle discipline elle peut légitimement se rattacher. Si une revue se réclamant de physique quantique édite des articles de chimie organique, de biologie moléculaire voire d’histoire de la physique ou de philosophie des sciences, elle risque fort de perdre son statut de revue crédible aux yeux des physiciens quantiques. En ce qui concerne Le Télémaque en tout cas, nous avons vu que, si une grande majorité d’articles pouvaient être qualifiés de (totalement ou partiellement) philosophiques, 40% pouvaient difficilement recevoir ce qualificatif. Cela représente certes moins de la moitié des productions examinées mais non seulement la proportion reste élevée et c’est sans évoquer le caractère « hybride » de nombreuses publications philosophiques...
Il n’est pas difficile d’expliquer l’origine de cette diversité des productions. Elle est même explicitement assumée dès le texte d’ouverture du tout premier numéro de la revue. Dans son texte de présentation de l’époque, Laurence Cornu qualifie certes Le Télémaque de « revue philosophique19 de l'éducation » (Cornu, 1995, p. 4) mais, ajoute-t-elle aussitôt, « proche des pratiques, des objets, des situations, la revue Télémaque n’est pas une revue d’experts ni ne s’adresse en particulier à des spécialistes ou des professionnels de l’éducation » (Cornu, 1995, p. 3). Voilà qui est clair ! La volonté de ne pas faire du Télémaque une revue exclusivement philosophique se retrouve également dans un paragraphe de présentation de la revue sur son site internet :
« Au fil des numéros, le dialogue est incessant entre l’histoire, la sociologie, la psychanalyse, la philosophie politique, la psychologie de l’enfant et les sciences de l’éducation, la littérature et la bonne vieille philosophie classique. » (Le Télémaque, s. d.)
Il reste qu’un tel choix éditorial n’est pas sans poser question : qu’est-ce à dire que de vouloir éditer une revue de philosophie de l’éducation qui ferait paraître autre chose que des articles de philosophie de l’éducation ? Si une dose modérée d’hétérogénéité peut sans doute être considérée comme un signe d’ouverture, de fraicheur et d’enrichissement, une dose trop importante peut parfaitement équivaloir à un renoncement à certaines exigences, à une dilution de la discipline et donc, de facto, à son évanouissement dans un maelström de « dialogues » et « d’échanges » divers et variés.
Ce que cette ouverture non seulement revendiquée mais assez nettement objectivée par notre recensement indique surtout à notre sens, c’est que quelque chose a rendu difficile voire impossible la délimitation, par les philosophes de l’éducation, de ce qui faisait leur singularité. À ce niveau, c’est toute une étude historique et sociologique qu’il conviendrait de mener pour expliciter les raisons précises ayant conduit à cette incapacité qui n’existe pourtant pas chez les philosophes des sciences, de la morale, de la politique, de la connaissance, de l’art… ou même de l’époque antique, médiévale, moderne… ou encore chez les phénoménologues, les marxistes, les positivistes… Un certain nombre de réponses se trouvent d’ailleurs dans les travaux déjà cités de Kahn (2006), Vergnioux (2009), Moreau (2009), Houssaye, (2009), Peyronie, (2016), et Fontbonne encore (2017) : de facto, les acteurs de la philosophie de l’éducation ont été plutôt « dominés » au sein de leur discipline de rattachement institutionnelle qu’a été, non la philosophie, mais les Sciences de l’éducation. De facto toujours, ils ont dû composer avec des contraintes objectives en termes de recherche et d’enseignement peu compatibles avec une conception mono-disciplinaire de leur métier. Tant du point de vue de l’enseignement que du point de vue de la recherche, les philosophes de l’éducation ont dû se faire (parfois de bon cœur) à une approche pluridisciplinaire. Les impératifs d’enseignement auprès de jeunes aspirants à devenir des praticiens de l’éducation, mais également les dynamiques de recherche au sein de laboratoires pluridisciplinaires rendent difficile le maintien d’un « habitus » de philosophe universitaire. Les étudiants attendent de leurs enseignants des connaissances en lien avec une certaine pratique de l’éducation ; les collègues issus de cursus plus empiriques comprennent parfois mal l’apport épistémique d’un philosophe. Dans ces conditions, le philosophe doit montrer qu’il s’intéresse à autre chose qu’aux purs concepts, qu’à des problèmes théoriques voire métaphysiques. Si son éclairage peut être apprécié, il le sera d’autant plus qu’il aura été capable de « faire du lien » entre pensée philosophique et question empirique ou pratique. Point (2020) donne à ce titre un bel exemple en montrant comment et pourquoi la question de l’autorité chez Arendt parvient à conserver un intérêt dans ce genre de contexte malgré un indéniable et apparent caractère abstrait :
« […] La première hypothèse est d’expliquer l’intérêt des enseignants20 pour les écrits de Hannah Arendt au sujet de l’autorité par la construction d’une interprétation bien particulière de ces derniers. Hannah Arendt, en un sens, permettrait aux enseignants de justifier la nécessité, la difficulté et la légitimité de leur autorité éducative sur l’élève. Il en irait de la responsabilité de l’enseignant d’exercer cette autorité, au nom d’un amour nécessaire de l’enfant et du monde. Paradoxalement, selon cette interprétation de Hannah Arendt, l’enseignant se doit d’être autoritaire par amour. Les enseignants ne peuvent rêver de meilleure justification philosophique pour conserver leur autorité éducative. Le fait que notre auteure soit une femme complète le tableau d’une philosophe aimant tellement l’enfance et le monde qu’elle est prête à se sacrifier en consentant à être conservatrice et autoritaire face aux enfants, et ce pour leur propre bien. » (Point, 2020)
En d’autres termes, si les philosophes de l’éducation parviennent encore à parler d’Arendt à leurs étudiants, c’est parce qu’en tant que futurs enseignants, ces derniers apprécient d’y trouver la justification de leur droit à faire preuve d’autorité envers leurs futurs élèves. La question de la pertinence intrinsèque ou de l’argumentation du texte d’Arendt sur l’autorité n’importe pas ici (Gégout, 2023). Ce qui compte, c’est finalement que ce texte soit utile. Arendt se retrouve donc bien étudiée en cours mais moins en raison de la valeur intrinsèque de sa pensée que pour l’intérêt pratique qu’elle peut susciter. Ce n’est évidemment pas dans une telle perspective qu’un professeur de philosophie politique aborderait Arendt dans ses cours. Ce cas illustre bien comment des contraintes d’enseignement, liées aux attentes d’un public étudiant peuvent venir sensiblement modifier l’approche d’un même corpus, d’un même texte ou d’un même auteur.
Dans l’ordre de la recherche, les exemples ne manquent pas de collaborations entre acteurs de la philosophie de l’éducation, y compris capables de productions purement philosophiques, et enseignants-chercheurs appartenant à d’autres disciplines. Par exemple, Michel Fabre et Henri Louis Go, dont la compétence philosophique n’est plus à démontrer, ont largement collaboré avec des chercheurs en didactique, Christian Orange pour le premier21 , Gérard Sensevy pour le second22 . La proportion de productions philosophiques pluridisciplinaires et non philosophiques dans notre corpus montre d’ailleurs assez bien ce tropisme des philosophes de l’éducation pour ce qui n’est pas (strictement) philosophique puisque nous nous sommes rendu compte que de nombreux articles de cette sorte avaient été rédigés par des auteurs que nous avons pourtant qualifiés de « philosophes disciplinaires ». Or, si ces travaux trans- ou pluridisciplinaires peuvent bien être fertiles et intéressants par certains aspects, il reste qu’ils ne permettent pas de constituer un champ de problèmes spécifiquement philosophiques en éducation, ni de tenter d’y apporter des réponses typiquement philosophiques. Dès lors, on voit assez mal comment pourrait réellement se structurer un champ de recherche en éducation qui soit vraiment philosophique.
On rétorquera peut-être que plusieurs contributions recensées dans Le Télémaque sont, elles, sans conteste de nature philosophique. Ne pourrait-on pas alors dire que si certaines productions, quoiqu’intéressantes, ne permettent pas d’approfondir une question philosophique, d’autres, elles, s’en chargent bien ? Ne pourrait-on pas attendre sinon de l’ensemble des articles parus dans Le Télémaque, du moins de celles qui sont un tant soit peu philosophiques, qu’elles s’en chargent ? Nous aurions des raisons de penser cela si le constat que nous venons d’adresser à l’ensemble des articles du corpus ne l’était pas également, mutatis mutandis, aux articles de philosophie parus dans la revue. En effet, si nous ne nous concentrons que sur les articles qualifiés de « totalement philosophiques », il nous faut encore constater que, là aussi, c’est surtout l’hétérogénéité qui y règne. Nous avons pu voir que les approches philosophiques déterminables dans ces articles étaient elles-mêmes très variées. Or, nous avons dit que pour qu’un (sous-)domaine se structure, il fallait encore qu’un langage commun rassemble les différents acteurs. Mais qu’est-ce qui unit réellement l’historien de la philosophie et le philosophe continental, par exemple ? L’un tente de restituer la pensée d’un auteur, l’autre de répondre à un problème philosophique dans un certain style. Pour prendre d’autres exemples encore, que peut donc bien répondre l’exégète de Michel Foucault, à l’auteur s’inspirant de John Dewey pour réfléchir à l’Université de demain ? Que peut dire le philosophe fortement imprégné de psychanalyse analysant la question du désir en classe à celui qui montre en quoi les pédagogues anarchistes de la fin du XIXe siècle reprennent de manière critique la philosophie des Lumières ? Comment le partisan du déontologisme tempéré pour l’éthique des enseignants peut-il discuter et débattre avec une analyse tocquevillienne de l’enfance dans l’hypermodernité démocratique ? Enfin, comment tous ces auteurs peuvent-ils espérer discuter des problèmes internationalement débattus en philosophie de l’éducation quand l’une de ses modalités les plus importantes, la philosophie analytique, et ses auteurs (comme Israel Scheffer ou Richard S. Peters), est quasiment absente du corpus ? L’hétérogénéité des styles philosophiques va évidemment de pair avec une certaine hétérogénéité du contenu même des articles, tant en termes de style, d’argumentation, de références que de méthode au point que, dans certains cas extrêmes, on peut en venir à penser qu’il s’agit de disciplines différentes (Pouivet 2008)23 .
Ce que semble suggérer notre étude préliminaire, c’est une relative indétermination de ce qui fait précisément la philosophie (et le philosophe) de l’éducation en France. À cette étape de l’enquête, la philosophie de l’éducation apparaît davantage comme une nébuleuse d’acteurs et de productions plus ou moins imprégnée de références philosophiques. Nous sommes alors assez loin du degré de spécialisation dont nous parlions plus avant, en prenant l’exemple de la philosophie morale. Concrètement, on voit assez mal quelles catégories spécifiques à la philosophie de l’éducation pourraient être les analogues de celles valables en philosophie morale. Dit autrement, quel est l’équivalent, en philosophie de l’éducation, de concepts spécifiques comme déontologisme, cognitivisme, réalisme moral, émotivisme, objectivisme… ? Une telle question pourrait être fait également sur les auteurs de référence comme sur les questions structurantes : difficile de déterminer quelles sont les grandes questions qui organisent les discussions en philosophie de l’éducation, et quels sont les auteurs considérés comme incontournables par les acteurs du domaine.
Outre les facteurs historiques et sociologiques déjà mentionnés, on peut penser que cet état de fait est en partie imputable à une conception particulièrement française de la philosophie et du philosophe. Comme le note Pudal (2004), la tradition française veut que le philosophe soit avant tout un intellectuel, une personne cultivée capable de jeter un regard inattendu sur le monde. Plus encore, le philosophe français est un intellectuel engagé qui met sa grande culture et sa capacité à établir des analyses profondes au profit d’une question politique ou de société. L’éducation ou l’école étant en France une question de ce genre, la tentation peut être grande, pour des acteurs attachés à cette tradition philosophique, d’endosser un tel rôle. Toutefois, que cela soit en France ou ailleurs dans le monde, l’idée selon laquelle il n’y a pas de réel philosophe qui ne soit engagé dans la Cité, est loin d’être unanimement partagée. En France comme ailleurs, des chercheurs en philosophie passent un temps considérable à étudier une question précise sans que celle-ci ni qu’eux-mêmes n’apparaissent comme des lumières guidant le peuple lors d’une crise politique. Cette figure du philosophe technicien, expert d’un domaine très précis, est bien plus proche de ce qui s’observe dans les autres disciplines académiques, ces disciplines dans lesquelles le progrès a justement nécessité le passage du savant cultivé à l’expert spécialisé, le partage des tâches, des problèmes et des méthodes. Cette structuration en spécialisation est tout à fait compatible avec la nature même de la philosophie de l’éducation. La tradition anglo-saxonne de la philosophie de l’éducation en est un bon exemple. On peut y distinguer des périodes, des auteurs de références, des questions faisant débat, des courants, des oppositions. Par exemple, Forquin (1989) montre ainsi que les années 60 et 70 sont, entre autres, marquées par des discussions autour d’un texte fondateur du philosophe R. S. Peters (2024) (Gégout, 2024). Ces discussions aboutiront dans les années 80 à une évolution notable de la philosophie de l’éducation anglo-saxonne faisant davantage place à des approches féministes ou critiques (Egea-Kuehne, 1997). Plus récemment, dans les années 1990-2000, Harvey Siegel et William Hare se sont affrontés autour d’une discussion sur la place respective à accorder à l’esprit critique et à l’ouverture d’esprit dans les buts de l’éducation24 . Il est d’ailleurs tout à fait intéressant de remarquer que cette organisation semble tout autant étrangère à la philosophie de l’éducation française que le sont ces mêmes travaux. Faut-il y voir là plus qu’une coïncidence ?
6.Conclusion
Ce qui précède ne saurait être pris comme un jugement définitif porté sur l’état actuel de la philosophie française de l’éducation. Comme nous n’avons cessé de le rappeler, l’objectif de notre travail était de présenter les résultats partiels d’une étude en cours et d’en tirer les conclusions nécessairement provisoires et à consolider.
Si donc nos propos doivent pris avec prudence compte tenu de la fragilité de la base sur laquelle ils se fondent, il n’en reste pas moins qu’ils peuvent à tout le moins interroger les acteurs de la philosophie de l’éducation. Car si notre diagnostic venait à être confirmé, consolidé, validé par de plus amples investigations25 , une question fondamentale leur sera posée à laquelle ils doivent être prêts à répondre : souhaiteront-ils conserver le caractère actuellement indéterminé, flou et nébuleux de la philosophie de l’éducation au profit d’une forme d’interdisciplinarité « en dialogue », ou bien souhaiteront-ils construire un champ d’enquêtes proprement philosophiques conforme aux structurations typiques des autres domaines de la philosophie universitaires à des fins de progrès et de reconnaissance institutionnelle ? Ironie de la situation, voilà au moins une question qui pourrait bien les réunir toutes et tous !
Bibliographie
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Notes
- [←1 ]
Il serait quelque peu vain de demander une source à cette proposition tant elle relève de l’évidence, de la donnée brute ou de première main. Le sceptique est invité à consulter les ouvrages d’introduction à la philosophie, les encyclopédies en ligne de philosophie, les maquettes de formation de licence et master de philosophie, ou encore les intitulés des postes ouverts au concours de recrutement de maître de conférences ou de professeur des universités en philosophie. En outre, on précisera que ces « découpages » sont le fait des acteurs eux-mêmes, et non d’un travail de classification objectivant une réalité implicite.
- [←2 ]
J’emploie cette expression pour désigner, sous une métaphore spatiale, tout ce qui entre en jeu dans le travail de l’enseignant-chercheur de philosophie, notamment lorsqu’il effectue ses tâches d’enseignement et de recherche.
- [←3 ]
On peut même se demander si, dans le cas de certaines sciences naturelles comme la physique, le niveau de subdivision est tel qu’il finit par empêcher tout enseignant-chercheur travaillant dans un certain domaine de se sentir appartenir encore à la même discipline-mère que son collègue travaillant dans tel autre domaine…
- [←4 ]
Ce point est davantage traité dans le reste de l’article.
- [←5 ]
La contrainte dont je parle ici est une contrainte objective : elle s’impose à l’agent qu’il s’en accommode ou non, en raison de l’organisation dans laquelle il s’insère. Certains peuvent très bien faire de nécessité vertu et davantage se retrouver dans un enseignement philosophique adapté à un public visant la pratique de l’éducation que dans un enseignement philosophique davantage « académique », où la discipline est enseignée pour elle-même. Pour eux, une telle « contrainte » n’en est alors pas vraiment une.
- [←6 ]
Pour rester sur notre exemple de la philosophie morale, on peut évoquer des revues comme Ethics, Journal of Ethics ou Journal of Moral Philosophy. En philosophie des sciences, on pourrait citer la Revue d’histoire des sciences, Synthèse, Philosophy of Sciences ou The British Journal for the Philosophy of Science.
- [←7 ]
Mon approche, qui est encore bien modeste, est donc avant tout internaliste et descriptive. Il s’agit plus de dresser un portrait-robot de la philosophie de l’éducation française d’aujourd’hui que d’en faire l’histoire ou la sociologie afin de saisir les raisons de cet état. Si nous avons bien évoqué ou évoquerons quelques pistes d’explication pour rendre compte de tel ou tel aspect, c’est moins pour en produire une analyse fine que pour donner quelques éclairages au lecteur. Ce qui nous intéresse en effet, c’est le diagnostic, non l’étiologie.
- [←8 ]
Je souligne.
- [←9 ]
Je souligne.
- [←10 ]
Nous avons également comptabilisé des productions ne relevant pas exactement du genre « article » comme les recensions d’ouvrage ou les présentations de dossiers thématiques.
- [←11 ]
Je rappelle que ma question n’est pas de savoir si la philosophie de l’éducation existe, ni si elle est structurée. Elle est d’objectiver son « niveau » de structuration interne. La création de la SOFPHIED comme l’existence de revues ne permet pas de répondre à cette question : il faut encore et surtout aller voir « à l’intérieur ».
- [←12 ]
Ce qui suit n’est pas spécifique aux articles du Télémaque sur lesquels nous nous appuyons : nous souhaitons appliquer le même traitement aux articles de « Penser l’éducation ».
- [←13 ]
Pour Goodman, un symptôme est quelque chose qui « n'est une condition ni nécessaire ni suffisante, mais plutôt un trait dont nous pensons qu'associé à d'autres, il peut rendre plus probable la présence d'un état notable » (Goodman, 2009, p. 51).
- [←14 ]
Par exemple, nous n’avons pas qualifié de « psychologue pédagogue » un auteur travaillant essentiellement en psychologie sous prétexte qu’il aurait écrit un article en rapport avec la pensée d’un pédagogue.
- [←15 ]
Le lecteur comprendra que ce qui compte derrière ces étiquettes, c’est ce qu’elles désignent, non leur libellé dans doute imparfait…
- [←16 ]
La question de la définition et de la démarcation entre les différentes manières de faire de la philosophie est l’objet d’un débat interne en philosophie. Il est sans doute difficile de déterminer des critères bien nets permettant de distinguer sans confusion possible l’histoire de la philosophie, la philosophie traditionnelle, la philosophie continentale et la philosophie analytique (pour ce qui relève de la philosophie analytique, voir par exemple Glock, 2011). Toutefois, l’absence de définition claire n’empêche pas, dans l’usage et la plupart du temps, de reconnaître à quel genre appartient un exemple donné. Notre travail visant justement à établir les traits généraux de la philosophie de l’éducation, ce sont sur des tels « symptômes » que nous nous appuyons.
- [←17 ]
Pour caractériser la différence entre philosophie analytique et philosophie continentale, je me suis appuyé sur les symptômes proposés par Roger Pouivet (Pouivet 2008). Je lui emprunte notamment l’idée que la philosophie continentale procède davantage par présentation d’une « vision » que par l’exposé rigoureusement argumenté d’un propos, caractéristique plutôt « analytique ».
- [←18 ]
Au sens que nous avons défini plus haut. Bien évidemment, il est toujours possible de donner une définition tellement extensive du philosophe que tout le monde peut se dire philosophe. Mais outre son caractère peu sérieux, une telle position conduit précisément à détruire ce qu’elle était censée défendre : si l’on souhaite dire que tout le monde est philosophe sous prétexte que la philosophie ne saurait être réservée à quelques-uns, alors plus personne n’est vraiment philosophe puisque ce mot se retrouve vidé de toute substance.
- [←19 ]
En emphase dans le texte.
- [←20 ]
Point parle ici d’enseignants en formation, qu’elle soit initiale ou continue, c’est-à-dire, au fond, d’étudiants.
- [←21 ]
Voir par exemple (Fabre et Orange, 1997) ou (Fabre et Vellas, 2006).
- [←22 ]
Voir par exemple (DpE, 2019) et (DpE, 2020).
- [←23 ]
Mais cela n’a rien de propre à la philosophie. Comme je l’ai indiqué plus avant, le niveau de spécialisation dans certaines sciences naturelles sont telles que deux physiciens travaillant dans des domaines très différents pourraient bien en venir à la conclusion qu’ils n’appartiennent pas à la même discipline.
- [←24 ]
Cette discussion s’inscrivait d’ailleurs dans une discussion plus ancienne et quasi traditionnelle pour la philosophie anglo-saxonne de l’éducation autour de la différence entre endoctrinement et éducation. Voir l’article synthétique de Siegel qui revient sur toute cette discussion (Siegel, 2009).
- [←25 ]
Notons d’ailleurs qu’une étude, même partielle, qui montrerait ou suggérait une conclusion exactement inverse à la nôtre n’existe actuellement pas. Si l’image de la philosophie française de l’éducation qui se dessine suite à notre étude n’est donc encore qu’une esquisse, à notre connaissance, encore aucune image bien nette et totalement opposée n’a été établie.
Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292