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samedi 1er mars 2025

Pour citer ce texte : COASNE-KHAWRIN, M. (2025). Élaborer une réflexion philosophique sur l’éducation depuis un terrain : la philosophie de terrain, une voie contemporaine pour les philosophes de l’éducation ? Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 5 ,
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-2024/dossier-partie-2-que-fait-un-philosophe-en-education-et-que-fait-en-retour-l/article/elaborer-une-reflexion-philosophique-sur-l-education-depuis-un-terrain-la]

Élaborer une réflexion philosophique sur l’éducation depuis un terrain : 
la philosophie de terrain, une voie contemporaine pour les philosophes de l’éducation ? 

 

Marie Coasne-Khawrin 
Université de Tours 
EA 7505 (Éducation, éthique, santé EES) 
Associée du LIS EA 4395 (Letrres, Idées, Savoirs) 

 

 

 

 

Résumé  : Afin de contribuer à identifier et interroger les différentes formes que peut revêtir la philosophie de l’éducation aujourd’hui, cet article propose d’explorer la voie spécifique ouverte par le développement de « la philosophie de terrain ». En opérant un retour réflexif sur et à partir d’un travail doctoral conduit sous cette forme, cet article s’attache à témoigner de la réflexion que la mise en œuvre de cette démarche peut appeler, et surtout, invite à s’arrêter sur les questions éthiques et épistémologiques que le développement de ce champ soulève, en particulier pour la philosophie de l’éducation.   

 

Mots-clés philosophie de l’éducation, philosophie de terrain, réflexivité 

Abstract : To contribute to identifying and questioning the different forms that philosophy of education can take today, this article explores the specific way opened up by the development of “field philosophy”. By taking a reflexive look at and starting from a doctoral project conducted in this form, this article endeavours to show the reflection that the implementation of this approach may call, and above all, invites to stop and consider the ethical and epistemological questions that the development of this domain raises, in particular for the philosophy of education.   

 

Keywords :  philosophy of education, field philosophy, reflexivity. 

 

 

Introduction : 

Les démarches de recherche en philosophie qui font appel à un « terrain » se sont multipliées ces dernières années. De plus en plus souvent, elles se rattachent à l’expression de « philosophie de terrain » pour signifier l’élaboration d’une réflexion qui passe par une implication des philosophes sur des terrains, lieux où les objets qu’ils analysent et les questions qu’ils traitent se vivent1 . Ces démarches ont notamment été investies dans le champ de la philosophie de l’éducation pour lequel les objets d’étude peuvent précisément être des pratiques éducatives contemporaines effectives que le ou la philosophe peut rencontrer, observer, et même parfois expérimenter en première personne sur un terrain. Dans ce contexte, les philosophes de l’éducation peuvent alors se faire « philosophes de terrain » et s’approprier les méthodologies qualitatives et ethnographiques des sciences sociales pour mener une enquête de terrain en milieux éducatifs afin de nourrir la réflexion philosophique qu’ils élaborent. C’est cette forme que peut prendre la recherche en philosophie de l’éducation que nous proposons d’interroger en opérant un retour réflexif sur et à partir du travail doctoral que nous avons conduit.  

Durant quatre années, entre 2019-2023, nous avons mené un travail de recherche doctorale en philosophie qui nous a conduite non seulement à investir le champ de la philosophie de l’éducation, champ auquel notre parcours universitaire en philosophie ne nous avait pourtant jamais formellement introduite, mais plus encore à investir ce dernier depuis un terrain, un lieu concret où les pratiques éducatives que nous étudiions se vivaient, sans pourtant avoir été disciplinairement outillée pour le faire. Nous proposons de consacrer cet article à partager la réflexion que nous avons dû déployer sur cette démarche de recherche et les questions qu’elle a soulevées. Qu’a signifié, dans ce contexte singulier, mener une recherche en philosophie depuis un terrain contemporain et comment cela interroge la philosophie de l’éducation ? 

Pour répondre à cette question, nous commencerons par donner à voir les raisons qui ont conduit au développement de cette démarche de recherche, et le contexte dans lequel elle a pu prendre forme. Nous nous arrêterons, ensuite, sur les questionnements que cette démarche a suscités à la fois dans sa forme même et dans sa mise en œuvre concrète. Nous poursuivrons en dessinant les voies de dépassement de ces difficultés que nous avons tenté de constituer. Nous finirons alors par thématiser les rôles que ce terrain a eu dans la recherche déployée. 

Avant de nous y employer, il nous faut nous accorder sur un préalable : à travers cet article nous proposons d’interroger la mise en œuvre de démarches de terrain en philosophie (de l’éducation) à partir de l’étude d’un cas. Toutefois, si les pratiques réunies derrière la même notion de « philosophes de terrain » ont en commun de défendre une rencontre entre terrain et travail philosophique, les méthodes et approches qu’elles mettent en œuvre pour la permettre sont diverses et ce que recouvre la notion de « terrain » quand elle se trouve alors associée à l’approche philosophique est très variable.  Ainsi, notre cas étudié ne pourra aucunement représentatif de ce que serait une hypothétique « philosophie de terrain » à valeur générale et notre réflexion se bornera à interroger, à son échelle, les questions que peut soulever la mise en œuvre d’une démarche de terrain en philosophie de l’éducation.  

 

Genèse du projet : pourquoi constituer un terrain de recherche en philosophie de l’éducation ?

Revenons, pour commencer, brièvement à la genèse de ce projet de recherche pour dessiner les motifs qui nous ont amenée à constituer une démarche de terrain pour conduire une recherche en philosophie de l’éducation et arrêtons-nous ensuite sur les pratiques éducatives qui ont constitué ce terrain de recherche singulier.  

Motifs d’émergence d’une démarche de terrain

À l’origine de notre choix de sujet de recherche, se trouve précisément une interrogation sur le statut de la philosophie de l’éducation. Interpellée, dans le cadre de nos études de Master en Philosophie à Paris 1, par la découverte de ce que Denis Kambouchner appelait un « désinvestissement » de la philosophie française pour l’éducation en général (Kambouchner, 2006, p. 49), nous avions été conduite à vouloir nous attacher théoriquement au lien entre philosophie et éducation. Sous ce prisme nous avons découvert l’existence d’un ensemble de théories et de pratiques contemporaines qui défendaient le développement d’une philosophie pour ou avec les enfants2 . Cette perspective contemporaine nous est rapidement apparue comme un lieu privilégié pour interroger les relations entre philosophie et éducation : non seulement, elle interrogeait à nouveaux frais la dimension éducatrice de la philosophie, mais en plus, elle engageait, par la conception de l’enseignement de la philosophie étendu et renouvelé qu’elle portait, une certaine philosophie de l’éducation.  

À travers notre projet de recherche doctoral, nous avons donc voulu prendre en charge, dans la perspective d’une réflexion philosophique sur l’éducation, les questions que soulevait ce mouvement contemporain que l’on nomme souvent « la philosophie pour enfants » relativement au rôle et à la place de la philosophie dans l’éducation3 .  

Pour le mener à bien, il nous est apparu nécessaire d’associer à une démarche d’analyse textuelle, classique pour la discipline, une démarche de terrain, plus novatrice en philosophie, permettant de faire émerger ces questions non seulement depuis la lecture des textes qui se trouvent à l’origine de ce mouvement (Lipman, 1988, 2003 ; Lipman et al., 1980), mais aussi à partir de la rencontre avec des pratiques effectives développées dans leur lignée. Notre questionnement partant de l’existence de pratiques éducatives contemporaines, il nous semblait important que notre réflexion n’émane pas seulement de la confrontation au corpus théorique qui leur est associé mais qu’elle puisse émerger de la rencontre avec ces pratiques elles-mêmes. Le passage par le terrain permettait à la fois d’ancrer notre propos dans une expérience concrète de ces pratiques éducatives, sans en rester à la spéculation ou à une conception idéalisée de ce que pourrait être cette introduction de la philosophie en amont, et d’acquérir une connaissance plus solide de ces pratiques à partir de laquelle nous pouvions construire notre réflexion.  

Pour permettre cette dimension, nous nous sommes attachée à construire un cadre de recherche pouvant donner lieu au dispositif CIFRE4 qui permettait d’accéder à un terrain contemporain de ces pratiques éducatives tout en finançant cette recherche doctorale. Cela a donné lieu à une collaboration avec la mairie de Romainville, commune de Seine-Saint-Denis qui possède une structure municipale dédiée à la démocratisation de la philosophie et met en œuvre, dans ce cadre, des pratiques éducatives d’initiation à la philosophie dans ses structures scolaires, culturelles et sociales depuis plusieurs années. Cette collaboration a permis l’élaboration de ce terrain de recherche : nous avons pu construire une expérience autour de ces pratiques en observant, expérimentant et analysant pendant trois années, des pratiques d’introduction d’enfants et d’adolescents à la philosophie sur ce territoire. 

 

Cartographie du terrain : la structure d’accueil et les pratiques éducatives rencontrées5

Maintenant explicitées les raisons qui ont motivé l’élaboration d’une démarche de terrain, dessinons les contours de ce dernier. 

Le terrain de recherche a donc été constitué à partir du travail mené dans le cadre du dispositif Cifre pour la commune de Romainville qui accueille sur son territoire des pratiques philosophiques avec les enfants et adolescents depuis, désormais, plus de dix années. D’abord sollicités, en 2009, à l’initiative d’un centre social de la commune, les « ateliers de philosophie pour enfants » se sont progressivement développés dans les différentes structures sociales, scolaires et culturelles de la commune. Ces pratiques se sont mises progressivement en place de 2009 à 2011, puis, autour de leur développement, s’est construit un projet municipal dédié, « Philo pour tous », attaché à démocratiser, à travers différentes actions déclinées selon plusieurs publics et structures, la philosophie sous la forme d’ateliers de discussion. Le projet a abouti à la création, en 2015, d’une structure municipale expérimentale dédiée à la pratique et à la diffusion de la philosophie : la Maison de la Philo.  

C’est au cœur de cette structure culturelle et éducative mais aussi indéniablement politique du fait de son inscription dans le monde territorial6 , que j’ai7 construit un terrain de recherche. Cette structure porte trois missions principales : l’animation de pratiques philosophiques pour tous les publics, en priorité les plus jeunes ; la médiation didactique autour de la culture philosophique ; et enfin, la formation d’intervenants en philosophie sur le territoire. Le développement de pratiques philosophiques s’étant progressivement étendu dans un grand nombre de structures romainvilloises, il existait une diversité d’activités portées par la structure parmi lesquelles les trois cadres de pratiques, aux caractéristiques différentes et complémentaires, présentés ci-dessous ont été sélectionnés pour constituer le « terreau » d’un terrain de recherche. 

  • Une pratique régulière sur le temps scolaire :  

    La première et principale pratique que j’ai expérimentée et observée, fait l’objet d’un dispositif nommé « Classes-Idées » : il s’agit de séances de philosophie hebdomadaires ou bimensuelles se déroulant en classe et sur le temps scolaire durant une année entière. Construit en partenariat avec l’Éducation nationale et l’Inspection académique, ce dispositif permet à plusieurs classes de pouvoir suivre un programme d’ateliers philosophiques hebdomadaires pendant une année. Ce dispositif est principalement mis en œuvre dans des classes de l’école primaire mais peut concerner, plus largement, des classes de la Grande Section de maternelle jusqu’à la troisième. 

    Ce cadre se présentait comme privilégié pour mon étude : il permettait d’expérimenter des pratiques régulières se déployant sur le temps scolaire, et ainsi de suivre, d’étudier et d’analyser l’évolution d’un même groupe d’enfants ou d’adolescents sur une année scolaire complète. J’ai donc progressivement œuvré à resserrer mes activités professionnelles sur celui-ci8 . Ainsi dans le cadre des trois années de mes fonctions de médiatrice-chercheuse pour la structure, j’ai pu expérimenter et suivre six classes-idées, toutes rassemblées sur les cycles 3 et 4 : trois classes de CM2, une classe de 6e, une classe de 5e et enfin, une classe de 4e. 

      

  • Une pratique régulière sur le temps extrascolaire : 

    La deuxième pratique est un atelier hebdomadaire se déroulant, quant à lui, dans la structure elle-même sur le temps de loisirs. Nommé « le Rendez-vous des petits philosophes », il s’agissait d’un atelier de philosophie réunissant, chaque samedi matin, tout au long de l’année (hors période de vacances scolaires), les enfants volontaires âgés de six à douze ans souhaitant aller plus loin dans la découverte de la philosophie (le groupe était, le plus souvent, composé de quinze à vingt enfants).  

    Ce cadre spécifique présentait plusieurs intérêts. D’abord, il permettait d’analyser une pratique régulière de la philosophie menée avec un groupe d’enfants relativement stable (les enfants s’engageant pour l’année scolaire, le groupe était composé d’un noyau pérenne) dans un cadre particulièrement favorable : les enfants y étant réunis sur la base du volontariat, ils partageaient le plus souvent un goût commun pour la philosophie et étaient activement engagés dans la pratique. Je pouvais ainsi observer les possibilités ouvertes par la mise en œuvre d’une pratique régulière dans un cadre propice à son exercice. En second lieu, cet atelier étant porté par l’ensemble de l’équipe, nous en partagions l’animation, ce qui m’a permis à la fois d’observer différentes praticiennes et surtout, de préserver un espace d’observation régulier. 

    J’ai suivi le rendez-vous des petits philosophes sur trois années au cours de plus de soixante ateliers. Par la suite, a été mise en place une déclinaison de ce cadre de pratiques pour les adolescents : nommé « le Club des jeunes penseurs », cet atelier bimensuel était destiné aux adolescents de douze à seize ans désireux de pratiquer davantage la philosophie. Je l’ai suivi, sur sa première année d’expérimentation, au cours de quinze ateliers qui réunissaient un petit groupe stable de trois à six adolescents. 

  • Une pratique ponctuelle sur le temps périscolaire : 

    Enfin, la troisième et dernière pratique prenait la forme d’ateliers se déroulant sur le temps périscolaire : dans les écoles élémentaires de la commune, avaient lieu chaque semaine, des ateliers au cours desquels les enfants romainvillois étaient sensibilisés à la philosophie. Durant six à huit semaines, ces enfants, âgés de six à onze ans, découvraient, sous forme de petits-groupes (d’une dizaine d’enfants), la philosophie autour de thèmes définis selon leur niveau de classe (CP : l’Amour, l’Amitié, la Fraternité, CE1 : le Réel et l’Imaginaire, CE2 : la Raison et les Émotions, CM1 : le Monde et Moi, CM2 : Accords et Désaccords). Ces pratiques constituaient, à mon arrivée, la plus importante voie d’introduction à la philosophie sur le territoire : ces ateliers étaient intégrés au projet périscolaire communal et donc mis en œuvre dans l’ensemble des écoles primaires de la commune. Elles ont, de ce fait, occupé une grande partie de mon année d’expérience avant le commencement de mon contrat doctoral (2018-2019), année pendant laquelle je suivais plusieurs groupes chaque semaine, dix groupes dans l’année et plus de cinquante ateliers. Toutefois, ces ateliers s’éloignant du contexte d’une pratique régulière et scolaire de la philosophie qui m’intéressait en premier lieu, j’ai ensuite œuvré à m’en retirer progressivement pour concentrer mes activités professionnelles sur les pratiques plus régulières. 

    Ce cadre spécifique présentait, malgré son éloignement vis-à-vis d’une pratique scolaire et régulière telle qu’elle m’intéressait, plusieurs intérêts. En premier lieu, il se présentait comme une porte d’entrée permettant d’expérimenter des pratiques d’initiation à la philosophie avec des enfants de l’ensemble des classes de l’école primaire. En second lieu, il me permettait de me confronter aux limites de ces pratiques et d’interroger leurs conditions de possibilité : le contexte périscolaire de mise en œuvre de ces ateliers était moins favorable, les ateliers se déroulaient en fin de journée, sur un temps appréhendé comme plus récréatif par les enfants, distinct du cadre scolaire et sans la présence de l’enseignant.  

Cette structure et ces pratiques constituaient donc le terrain à partir duquel nous avons approché la philosophie pour enfants sous la forme, non plus seulement de théories mais de pratiques effectives. Toutefois, en approchant ce terrain non pas en tant qu’observatrice extérieure mais en y étant immergée par mes fonctions professionnelles, l’expérience des pratiques de philosophie avec les enfants que j’ai constituée dans cette structure dépasse amplement les trois cadres de pratiques présentés ci-dessus. D’une part, en plus de ces pratiques elles-mêmes auprès des enfants, cette expérience est celle de leur préparation et construction en tant que praticienne de celles-ci. Aborder ces pratiques sous cet angle, et non celui de l’observation extérieure, m’a immiscée dans leurs rouages, me permettant d’éprouver les questions que soulevaient la préparation et la construction de ces pratiques. Cela m’a permis d’interroger les manières de les concevoir en tant qu’animatrice, les différents prismes sous lesquels on pouvait, depuis ce point de vue, les approcher et les effets que pouvaient avoir ces orientations sur ces pratiques elles-mêmes, la façon dont l’orientation et les attentes pouvaient infléchir ces pratiques. D’autre part, mon expérience de ces pratiques est aussi, du fait de ce double statut de médiatrice-chercheuse, celle des discussions avec d’autres praticiennes autour des questions rencontrées dans la préparation et l’expérience de ces pratiques. Intégrer la structure m’a permis d’être partie-prenante des réflexions engagées en son sein entre les collègues qui en étaient médiatrices : régulièrement nous partagions et échangions autour des difficultés auxquelles nous faisions face dans nos pratiques respectives et des questions que suscitaient les expériences que nous avions ; ces échanges ont irrigué considérablement mon expérience de ces pratiques et nourri mes réflexions sur elles. Plus encore, cette position interne à la structure et à ces pratiques m’a amenée à être formée à ces pratiques mais aussi par elles. Du point de vue de ma formation, j’arrivais dans la structure avec un bagage universitaire en philosophie en complément duquel j’avais reçu, avant la mise en place du projet, une première formation dispensée par la structure aux professionnels éducatifs et culturels voulant mettre en œuvre des « ateliers de philosophie » pour enfants et adolescents9 . Lors de mon arrivée dans la structure, j’ai disposé d’une première période d’observation et d’accompagnement par les agentes en fonction afin de prendre la mesure de chacun des différents cadres de pratique qui la composaient. Par la suite, tout au long des trois années de contrat, j’ai participé à un atelier mensuel de formation entre praticiens s’articulant en un volet de retour d’expérience et un second d’expérimentation de pratiques en tant que participante. Mais en plus de ces espace-temps définis et formalisés, l’expérience du terrain m’a permis de me former à ces pratiques par leur expérience, d’apprendre par « imprégnation » (Olivier de Sardan, 1995) en étant plongée dans l’environnement de leur développement10  ; en faisant l’expérience de celles-ci de différents points de vue ; en observant différents praticiens, dispositifs, formes d’ateliers ; en rencontrant de nombreux acteurs, etc. En cela l’expérience des pratiques de philosophie pour enfants construite sur ce terrain dépasse largement les pratiques présentées elles-mêmes, elle est celle d’un apprentissage autour de ces pratiques et d’une imprégnation quotidienne sur ce terrain. 

Itinéraire de questionnements : comment construire un terrain en philosophie?

Maintenant ce contexte placé, arrêtons-nous sur les questions soulevées par le processus de constitution de ce terrain de recherche.  

Questions préalables : construire une recherche en philosophie depuis un terrain d’implication(s)

Dès son commencement et jusqu’à son terme, ce travail s’est accompagné d’une interrogation et d’une réflexion sur ce que signifiait faire de la philosophie depuis un terrain. Le développement d’une recherche en lien avec un terrain dans une discipline qui, dans ses formes académiques, ne procède que rarement ainsi, appelait inévitablement à développer une réflexion sur la démarche à suivre pour pouvoir faire de ce terrain un objet de recherche philosophique. Il ne s’agit nullement de caricaturer la distinction entre ce qu’on voudrait présenter comme deux formes de philosophie opposées – une philosophie de bureau et une philosophie de terrain – mais davantage de reconnaître le fait que, telle qu’elle est pratiquée dans le contexte académique, la philosophie adopte certaines formes déterminées qui se constituent sans recours à un terrain – et même à l’égard d’autres disciplines, par ce non-recours à un terrain – et que, dès lors, entreprendre de mener une recherche dans ce cadre appelait une créativité dans les méthodes à mettre en œuvre.  

Faire une place à l’expérience directe n’est pas nouveau ni même détonnant à l’échelle élargie de la philosophie, et peut-être plus encore dans le champ de la philosophie de l’éducation. Comme le souligne Baptise Morizot, philosophe contemporain dont les réflexions et écrits s’ancrent dans des pratiques de terrain11 , « avec un peu de profondeur historique, il devient moins disruptif de parler de terrain en philosophie : si au XXe siècle, la conceptualisation méthodologique de la nécessité du terrain dans les sciences sociales (anthropologie, sociologie, ethnologie) est devenue une pierre de touche de la distinction disciplinaire d’avec la philosophie, on peut élargir le spectre temporel, et se rapporter à Descartes par exemple, et à son appel à aller arpenter “le grand livre du monde”, comme à l’ambition de la phénoménologie de faire une place à l’expérience directe, pour clarifier que si le philosophe n’a pas “un terrain” au sens épistémologique que lui donne le sociologue, par contre “faire du terrain”, “aller sur le terrain”, en un sens large et encore à explorer, n’est pas d’une infinie originalité en philosophie. » (Pierron & Morizot, 2023, p. 24). Si faire une place à l’expérience directe dans le travail philosophique peut se présenter comme détonnant cela reste de façon relative, à l’échelle restreinte des formes universitaires de la philosophie et non de façon absolue, au regard là aussi d’une philosophia perennis. Les questions soulevées par la tentative de constituer un terrain de recherche en philosophie sont, en effet, dues surtout à la philosophie telle qu’elle est institutionnalisée comme discipline et prennent sens au regard de l’histoire de la constitution de la philosophie comme discipline universitaire et de ses rapports avec les autres disciplines, en particulier du fait de l’émancipation des sciences sociales qui se sont structurées par distinction de la philosophie dans leur rapport avec le terrain (Delpla, 2023). 

Ainsi, lorsque nous ouvrions notre recherche à partir d’une formation universitaire en philosophie, par laquelle nous avions été principalement formée au travail sur les textes composant la tradition philosophique, nous nous posions d’emblée la question de la méthode à adopter pour approcher ce terrain de manière à pouvoir en faire un véritable objet de recherche philosophique. Il semblait évident que la simple présence sur ce terrain ne suffirait pas à pouvoir en faire un objet de recherche, mais qu’au contraire, comme en témoignaient les sciences humaines et sociales, cela nécessitait un véritable travail : d’une part, cela supposait d’installer une distanciation avec ses propres présupposés pour éviter les projections subjectives et d’autre part, cela nécessitait d’effectuer un retour critique sur sa perspective et sa position ainsi que sur les conditions de production de ses analyses. Toutefois, nous ne disposions pas, à partir de notre formation disciplinaire, des outils et méthodes dont disposent les traditionnelles disciplines de terrain pour opérer ce travail. Se posait ainsi d’emblée la question des méthodes et outils à utiliser, question qui interrogeait le partage disciplinaire en sciences humaines et sociales (Henry, 2023) : comment procéder pour concevoir un rapport proprement philosophique au terrain tout en tenant compte des exigences méthodologiques et scientifiques de terrain dégagées par les disciplines de terrain ? Se posait aussi, inévitablement, la question des effets potentiels de la mise en œuvre de cette démarche elle-même sur le discours philosophique, en premier lieu relativement aux conséquences de l’ancrage dans une situation singulière qu’implique une approche de terrain. 

Mais en plus des questions que soulevait l’approche d’un terrain en philosophie, s’ajoutaient celles suscitées par la situation spécifique induite par le cadre Cifre dans lequel nous nous trouvions impliquée sur le terrain en tant que chercheuse mais aussi par des fonctions professionnelles, n’étant pas seulement spectatrice mais aussi actrice de celui-ci, travaillant non seulement sur et depuis le terrain mais aussi, d’une certaine façon, pour celui-ci12 . D’une part, ce contexte de recherche impliquait un rapport au terrain spécifique (Hellec, 2014) – une forme d’immersion prolongée et une participation accrue à celui-ci – proche de celui des travaux ethnographiques, et nous conduisait à faire face à des questions massives touchant aux conséquences de l’implication sur le terrain, des questions pourtant communes pour l’anthropologie, l’ethnologie et même la sociologie qui ont fait de ce rapport au terrain une de leurs méthodes d’enquête. D’autre part, la modalité spécifique de participation à ce terrain, associée à notre inscription dans celui-ci par des fonctions professionnelles, soulevait à son tour un ensemble de questions du fait de la relation de dépendance singulière qu’elle implique du chercheur au terrain dont il devient salarié, différente d’une étude de terrain ethnographique « classique ». Ce cadre de recherche spécifique induit, en effet, un lien de subordination du chercheur à son terrain de recherche par sa contractualisation qui peut contraindre la recherche à plusieurs égards (Lafage-Coutens, 2019). Notre accès à ce terrain se trouvait conditionné par notre contractualisation dans une structure intéressée par l’objet de nos recherches mais ayant aussi, vis-à-vis de celui-ci, des convictions et des intérêts. D’un côté, en tant que chercheuse nous interrogions les conditions de possibilité et limites d’une introduction de la philosophie plus tôt dans le parcours éducatif ; de l’autre côté, la structure qui nous employait défendait, et même militait pour cette introduction de la philosophie, la posant d’emblée à la fois comme possible et souhaitable. Dès lors, bien qu’elle puisse avoir une position de principe favorable au développement de la recherche, la structure d’accueil peut aussi avoir, vis-à-vis de cette dernière, des attentes en matière de « résultats », appréhendant la recherche davantage comme un moyen de conforter ses actions que d’en interroger les écueils et limites. Comme l’explique Pauline Born « les résultats obtenus peuvent parfois décevoir l'entreprise partenaire (Hellec, 2014), parce que les hypothèses ne sont pas confirmées, parce que les conclusions ne correspondent pas aux attentes initiales des acteurs impliqués ou encore parce que les résultats remettent en question certaines pratiques établies » (Born, 2024).  

Cette situation spécifique, par le lien de subordination qu’elle suppose, expose ainsi aux tensions qu’il peut exister entre d’un côté le principe de désintéressement et l’idéal de neutralité de la recherche scientifique, et de l’autre les intérêts de la structure professionnelle qui engage le doctorant. Probablement plus spécifiquement encore dans le cadre de recherches menées en sciences humaines et sociales qui impliquent du chercheur un regard critique sur la structure et les pratiques qu’il étudie (Perrin-Joly, 2010). Ainsi, cette situation impliquait la conciliation des deux statuts, la rencontre de deux mondes, le monde de la recherche et le monde professionnel, de leurs temporalités et injonctions propres, et des décalages, tensions voire contradictions qui en émergeaient. 

Questions in situ : conflits et défis de l’implication comme praticien et salarié

Maintenant, comment donc dans ce contexte « notre terrain de recherche » s’est-il construit ?  

Notre cadre spécifique de recherche, contraint par le dispositif CIFRE, nous conduisait dans une situation d’immersion sur le terrain, situation qui est revendiquée comme une méthode d’approche du terrain en sciences sociales, que l’on désigne sous les termes d’observation participante13 , pour ses avantages puisqu’elle permet au chercheur d’en saisir les rouages internes qui resteraient difficilement perceptibles de l’observateur extérieur, mais dont on souligne aussi les risques inhérents, limitant le recul et concourant donc à la perte d’objectivité. Et en effet, nous retrouvons ce qui a été un avantage majeur et une difficulté de taille dans notre rapport au terrain : être actrice des pratiques éducatives que nous étudiions permettait d’en approcher les rouages internes (la façon dont elles se construisaient, les conditions requises pour leur mise en œuvre, d’où et comment elles émergeaient) mais cette position nécessitait un effort constant pour maintenir la distance nécessaire aux conditions d’émergence d’une véritable analyse de ces pratiques. Éprouver ces pratiques en première personne me donnait sur elles un point de vue privilégié mais l’engagement que cela impliquait rendait plus difficile l’émergence d’une distance critique face à des pratiques dans lesquelles je me trouvais personnellement engagée.  

Les avantages et inconvénients inhérents à ce que Jean-Pierre Olivier de Sardan  nomme un « dédoublement statutaire14  » (Olivier de Sardan, 2000) impliqué par la situation d’observation-participante depuis des fonctions professionnelles, ont plusieurs fois fait l’objet de réflexions en sciences humaines et sociales (De Lavergne, 2007 ; Foli & Dulaurans, 2013). Être à la fois chercheuse et salariée d’un terrain implique que l’on se trouve en tant que professionnelle partie-prenante des pratiques que l’on s’attache à étudier, ce qui ne va pas sans poser difficulté en premier lieu du fait de nous trouver d’une certaine façon « juge et partie » (Olivier de Sardan, 2000, p. 432), sujet et objet de la recherche (Elias, 1993). Se trouver engagé comme professionnel dans le terrain que l’on étudie peut limiter le développement de perspectives critiques sur celui-ci, non seulement parce qu’elles peuvent entrer en tension avec cet engagement professionnel, l’intérêt personnel pour le terrain et l’empathie pour ses acteurs qu’il peut impliquer, mais aussi parce qu’elles engagent un retour sur soi en tant que professionnel jouant un rôle important dans les pratiques étudiées.  

Ces difficultés étaient limitées par le fait de ne pas me rapporter à ce terrain sur le mode de l’expérimentation proprement dite ou de la recherche-action à travers laquelle on vise une transformation et on cherche à créer et mettre en œuvre des pratiques pédagogiques innovantes, ou encore à améliorer les pratiques existantes sur le terrain. Je m’immergeais dans le terrain de pratiques existantes et je mettais en œuvre ces pratiques d’abord en fonction des besoins et demandes de la structure et non en les créant en fonction de ma recherche. Il m’a été plus facile de m’y rapporter a posteriori sans me considérer impliquée personnellement d’une manière qui interfèrerait ou limiterait la portée critique de l’approche philosophique.  

Être à la fois chercheuse et praticienne sur le terrain demandait ainsi un véritable travail d’équilibriste et confrontait inévitablement à des conflits d’identités et de postures (De Lavergne, 2007; de Saint Martin et al., 2014). Il s’est révélé assez rapidement difficile, voire le plus souvent impossible, de pouvoir être simultanément l’une et l’autre. En tant que praticienne je devais fonder mes activités sur des présupposés (il serait à la fois possible et souhaitable de « philosopher » avec les enfants) qu’en tant que chercheuse je devais toujours pouvoir mettre à distance. Plus encore, c’est la dimension politique de l’action territoriale qui entrait à plusieurs égards en tensions avec la dimension critique de la recherche (Lafage-Coutens, 2019 ; Rouchi, 2018) : en tant que chercheuse je devais douter de ce qu’en tant que praticienne, actrice d’une structure militante, je devais activement défendre (la possibilité et l’intérêt d’introduire la philosophie en dehors et en amont du lycée). En bref, je devais être à la fois « dedans » et « dehors ». Il me fallait ainsi jongler entre deux positions, celle de la praticienne et celle de la chercheuse, difficilement conciliables en même temps, de manière à ne pas être, en tant que chercheuse, « absorbée » par le travail de terrain et en tant que praticienne, immobilisée par le regard critique progressivement développé15 . En cela, mon expérience rejoignait celle des limites de l’observation participante tenant à l’impossibilité d’être simultanément participant et observateur : être observatrice supposait une distance objectivée des relations humaines qui traversaient les pratiques que j’étudiais, mais dans lesquelles en tant que praticienne je me trouvais partie prenante. La recherche d’une voie de conciliation entre ces identités et postures et d’équilibre entre ces deux dimensions constituait mon travail principal.  

 

Voies de dépassement : dialectique de l’engagement et de la distanciation

Ces difficultés n’étant pas elles-mêmes contournables, il me fallait trouver une voie pour cheminer avec, de sorte à pouvoir faire place à la richesse de cette position singulière en toute conscience de ses effets. Ce chemin m’a conduite à me rattacher, plus qu’à la notion d’observation participante, à celle de « participation observante » (Soulé, 2007), qui précisément se trouve mobilisée par distinction de la première pour marquer la subordination de l’observation à la participation dans le cadre d’un investissement prolongé sur le terrain. Prenant acte de la primauté de la participation sur l’observation dans l’expérience du chercheur en immersion, la notion de participation observante tend davantage à assumer, par son explicitation, le décalage créé par cette implication du chercheur sur le terrain avec les recommandations théoriques de tenir simultanément et également participation et observation. La notion de participation observante est, en cela, plus à même de rendre ma situation de chercheuse embarquée sur le terrain, marquant qu’au quotidien, le chercheur participe à ce terrain en premier lieu, avant de pouvoir l’observer dans un temps différé de la pratique et distinct de sa temporalité accélérée et happante. Elle insiste sur la participation active du chercheur à son terrain et rend davantage le fait que c’est cette participation qui devient – moyennant un travail que nous allons ci-après expliciter – un outil de connaissance et de réflexion. 

J’ai cherché pour cela les outils constitués par les disciplines de terrain pour entretenir l’équilibre entre l’engagement et la distanciation, de manière à toujours demeurer « observatrice » des pratiques dont j’étais d’autre part aussi actrice, et pouvoir m’extraire de ce qui constituait, dans mes fonctions professionnelles, des habitudes de faire et de penser. Il s’agissait avant tout d’assurer la mise en œuvre d’un espace de réflexivité appréhendée comme un outil d’objectivation indispensable à la distanciation en sciences humaines et sociales. Cela m’a amenée à adopter la pratique quotidienne et systématique du « journal de terrain » bipartite (Beaud & Weber, 2010). Ce journal comportait une partie « journal d’enquête » dans lequel je reportais les indications pratiques (quelle pratique, avec quel public, dans quel lieu, à quel moment, etc.) et je m’attachais à décrire ce qui se passait, comment ça se passait et quelles avaient été mes impressions ; et une partie « journal de recherche » dans laquelle je reportais les questions, les analyses et les hypothèses qui émergeaient de l’expérience de ces pratiques éducatives. Cet outil me permettait de créer des distances avec ces pratiques mais aussi avec la praticienne : il me permettait d’être davantage lucide quant à mes projections, mes présupposés et préjugés, et alors d’instiller les bases d’une auto-analyse. En plus de cette pratique quotidienne, j’effectuais une réécoute systématique des séances menées qui me permettait de me replonger dans ces pratiques en étant libérée des contraintes de l’animation et alors de pouvoir non seulement dépasser mes premières impressions, mais les aborder sous un autre angle que celui de la praticienne en les interrogeant depuis la perspective de recherche en philosophie de l’éducation (que se passait-il ? que « faisions-nous » ? quelles conceptions de la philosophie, de l’enfant, de l’éducation étaient sous-jacente ?). Ainsi, cette pratique me permettait d’entretenir le volet de l’auto-analyse, en m’observant a posteriori, et d’entrer davantage encore dans une démarche d’analyse, non seulement de ces pratiques elles-mêmes, mais aussi des questions qu’elles soulevaient dans la perspective d’une réflexion philosophique en éducation. En plus de ces pratiques individuelles, ce sont des pratiques collectives qui se sont avérées être de véritables instruments pour nourrir la réflexivité et ménager des distanciations. La sollicitation et l’entretien d’un espace d’échange régulier avec les collègues médiatrices de la structure a été un premier pas, mais c’est la participation à des espaces d’échanges réguliers avec d’autres chercheurs qui s’est avérée décisive dans ce processus. La création d’un groupe de travail doctoral régulier autour de ces pratiques éducatives inscrites dans le mouvement de philosophie pour enfants, l’intégration d’un séminaire doctoral régulier sur le sujet et la participation à des espaces de réflexion autour de la philosophie de terrain ; tous ont participé à entretenir la dialectique entre l’engagement et la distanciation, le terrain et la recherche. 

Si ces pratiques m’ont aidée à ne pas être complétement absorbée par le terrain, la distanciation qu’elles initiaient n’a pu être véritable qu’avec la fin du contrat et le détachement des préoccupations et des attentes de la structure qu’il permettait. Ayant été forcée de constater qu’avant d’être un objet comme on pourrait initialement le vouloir, le terrain est un ensemble d’expériences sensibles qui engage, en plus d’un rapport à l’espace (le territoire du terrain localisé), un rapport au temps (le temps long de l’immersion), je n’ai pu en faire un véritable objet qu’en réduisant progressivement mon implication en première personne sur celui-ci. Alors que j’y passais quatre journées par semaine la première année, puis trois journées et demie la deuxième, le rapport s’est inversé en troisième année où je n’y passais plus que deux journées et c’est à partir de ce moment que la distanciation a pu véritablement s’établir16 . À la suite de l’immersion, il a été nécessaire de m’émanciper de cet environnement social afin de pouvoir approcher cette expérience avec une pleine distanciation. Ainsi, à la longue phase d’immersion a suivi une phase d’émancipation à partir de laquelle cette expérience a pu devenir un objet, à part entière, de réflexion. Ces considérations m’ont amenée à mobiliser la notion d’expérience de terrain plutôt que celle d’enquête, pourtant souvent employée, pour rendre ce rapport au terrain17 et la manière dont il supporte les réflexions développées. 

 

Fonctions et rôles du terrain dans la recherche déployée

Nous en arrivons donc maintenant aux rôles de ce terrain dans la recherche déployée.  

Au fur et à mesure des avancées dans la recherche, des interrogations sur la conception d’un terrain en philosophie, trois fonctions distinctes et complémentaires du terrain, dans et pour notre réflexion, se sont dégagées : 

  • La première est épistémologique : en tant qu’il était le lieu d’une « expérience » plus que d’une « enquête » – et c’est en ce sens que nous avons mobilisé l’expression d’« expérience du terrain » – le terrain permettait d’affiner notre connaissance des pratiques éducatives à partir desquelles nous nous interrogions. Connaissance à partir de laquelle nous avons pu découvrir les représentations et les normes qui leur étaient sous-jacentes18 . 

  • La seconde fonction est problématisante : en offrant une confrontation à des conditions réelles d’exercice, ce terrain nous a permis d’éprouver les questions que ces pratiques soulèvent, la façon dont elles interrogent les liens entre philosophie et éducation, contribuant ainsi à la problématisation des enjeux d’une extension de l’enseignement de la philosophie. 

  • La troisième fonction est heuristique : en permettant d’affronter ce que cette introduction précoce de la philosophie pourrait être, sans s’en remettre à des conditions ou pratiques idéalisées, le terrain nous a permis de faire émerger des hypothèses sur les conditions de possibilité, les effets,  le sens mais aussi les limites d’un enseignement étendu de la philosophie. 

Ces fonctions générales ne prétendent pas à une « spécificité philosophique » mais rendent compte du rôle que pouvait avoir le terrain dans la recherche.  

Si les approches thématisées par les sciences sociales nous ont aidé à éclairer certaines dimensions de notre rapport au terrain, elles ont révélé aussi les écarts qui existent entre le statut du terrain dans notre recherche et celui qu’il épouse souvent en sciences sociales. Une première différence considérable tient à la finalité que nous poursuivions en nous rendant sur le terrain : il ne s’agissait pas d’en faire un objet de recherche comme c’est souvent le cas en sciences sociales mais de pouvoir poursuivre nos réflexions à partir de lui, en affinant notre connaissance de ces pratiques éducatives et en nous confrontant aux questions qu’elles suscitaient. Nous ne cherchions pas à produire une étude de ces pratiques en premier lieu, mais à étudier la façon dont ces pratiques interrogeaient le rôle éducateur de la philosophie et rouvraient la question des rôle et place que pourrait occuper la philosophie dans l’éducation.  

Il s’est agi, pour nous, de construire un double mouvement entre recherche et terrain, un mouvement qui ne soit ni ascendant du terrain à la théorie, ni descendant de la théorie au terrain, mais dialectique : que l’un et l’autre se complètent et se nourrissent, s’orientent et se désorientent. Il s’agissait donc de construire une réflexion philosophique qui portait moins sur le terrain qu’elle n’était déployée depuis lui, faisant de ce terrain moins un objet de recherche qu’une matière à partir de laquelle s’élaborait la réflexion, et même, se constituait précisément l’objet de la recherche. Il s’agissait de développer pour cela, tel que proposent de la concevoir Julie Henry et Catherine Dekeuwer, « une posture de chercheur qui fait émerger, depuis le terrain, des questionnements et des réflexions qui n’auraient pas émergé sans cette rencontre » (Henry & Dekeuwer, 2020, p. 132).  

La question était de savoir sous quelle forme rendre compte du rôle qu’a eu cette expérience du terrain dans le déploiement de notre réflexion. Nous avons choisi de traduire la contribution du terrain d’une part, sous la forme ponctuelle de « fenêtres empiriques » dans lesquelles nous avons partagé sous la forme de brefs récits d’expériences, d’extraits de journal de terrain, ou d’extraits de comptes-rendus de séances, des éléments de ce terrain permettant d’en rendre compte, et d’autre part, plus largement et principalement, en reprenant la forme dialogique sous laquelle cette expérience du terrain a discuté continument avec les considérations plus théoriques, en restituant, tout au long de la réflexion, la façon dont ce terrain entrait en dialogue avec nos considérations théoriques, en les interrogeant, en les orientant, mais aussi en les désorientant. Pour l’illustrer, nous restitutions un exemple pour chacun de ces deux usages. Pour le premier : afin d’élaborer une analyse conceptuelle de la notion de « philosophie pour enfants » à partir du terrain, nous nous appuyons sur des fenêtres empiriques donnant à voir le squelette d’un atelier, des récits d’ateliers, des questions à dimension(s) philosophique(s) ancrées dans l’expérience des enfants et adolescents. Ces éléments issus du terrain nous permettent d’élaborer progressivement une conception de la « philosophie avec les enfants » et d’engager un travail de distinction avec la conception de « philosophie pour enfants » à l’origine du mouvement, précédemment dégagée et analysée à partir de la lecture des textes fondateurs du mouvement. Ainsi, ce sont ces éléments issus du terrain qui servent le développement d’une analyse conceptuelle qui permet de faire émerger une distinction entre deux conceptions de cette association de la philosophie et des enfants, et une réflexion sur les enjeux inhérents à cette distinction. Pour le second : afin de restituer le dialogue entre terrain et théorie, une section dessine la façon dont le terrain est venu interroger le prisme d’appréhension théorique de départ autour de la notion de prudence intellectuelle. Ce dialogue recomposé dessine progressivement le positionnement d’un problème émergeant de l’écart entre le projet théorique étudié et les pratiques effectives rencontrées, touchant à la dimension épistémique de la pratique de la philosophie et de la formation intellectuelle à laquelle cette dernière pouvait aboutir. Ce dialogue enfin, laisse apparaître les déplacements opérés sur le terrain pour nourrir les dimensions critique et réflexive de la pratique, des considérations théoriques. 

 

Ouverture conclusive pour la philosophie de l’éducation

Nous finissons par ouvrir sur les questions que cette démarche de recherche nous semble susciter pour la philosophie de l’éducation. Il nous a semblé que ce cas particulier pouvait servir de matière pour interroger à la fois le processus d’élaboration d’une réflexion en philosophie de l’éducation, et plus largement encore l’aspect disciplinaire de cette dernière. 

Si l’on peut s’engager dans le champ de la philosophie de l’éducation selon différentes modalités, à commencer par celle de l’historien des idées explorant les conceptions et théories qui traversent la tradition philosophique, l’analyse de questions saillantes aujourd’hui soulevées par l’éducation peut supposer de se faire « philosophe de terrain » pour pouvoir prendre pour objet les pratiques éducatives contemporaines à la fois telles qu’elles sont théorisées et telles qu’elles se trouvent mises en œuvre. Dans cette perspective, il semble bien que la « philosophie de terrain » puisse se présenter comme un champ privilégié pour pouvoir entretenir une dialectique entre théorie et pratique tout en nourrissant une réflexivité essentielle sur ces démarches de recherche elles-mêmes. 

Cette démarche, ou plutôt ces démarches plurielles, nous l’avons aperçu, ouvrent à leur tour de nombreuses questions épistémologiques qui réinterrogent notamment le partage disciplinaire, entre la philosophie et d’autres sciences humaines qui précisément se pensent comme disciplines de terrain et ont pu faire de ce rapport au terrain un critère de dissociation d’avec la philosophie. S’agissant de l’éducation, c’est plus particulièrement l’articulation de la philosophie de l’éducation et des sciences de l’éducation qui se trouve de nouveau interrogée : ces dernières revendiquant elles aussi ce travail de terrain. À l’échelle de notre propre travail, nous avons essayé d’y apporter des réponses en nous attachant à déployer une réflexivité non seulement, comme nous y sommes habitués en philosophie, sur l’objet de réflexion, mais sur la démarche elle-même, cherchant à préciser ce que pouvait être un terrain de recherche dans ce contexte, les fonctions qu’il occupait et la façon dont il pouvait ainsi se distinguer d’approches disciplinaires frontalières. 

 

 

Références 

  

Beaud, S., & Weber, F. (2010). Guide de l’enquête de terrain : Produire et analyser des données ethnographiques (4e éd. augmentée). la Découverte. 

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Henry, J., & Dekeuwer, C. (2020). Philosophie pratique de terrain : Quelle posture de recherche ? Éthique, politique, religions. Le terrain en philosophie, quelles méthodes pour quelle éthique ?, 2(15), 131-145. https://doi.org/10.15122/isbn.978-2-406-10144-4.p.0131 

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Notes
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 L’émergence de ce mouvement a fait l’objet de séminaires, de journées d’étude et de colloques : on pourra renvoyer par exemple aux journées d’études doctorales « Une philosophie de terrain ? » (2019, l’École normale supérieure de Lyon) ; au séminaire « Du terrain en philosophie » (2020-2021, organisé par le Projet Junior PhilosoField, Université Jean Moulin Lyon 3) ; ou encore au colloque « Philosophie et terrain : nouveaux aspects de la recherche en philosophie » (juin 2021 à l’Université Picardie Jules Verne). Pour un aperçu des pratiques plurielles qui se développent sous cette appellation on pourra consulter : M. Benetreau et al. (dir.), Manifeste pour une philosophie de terrain, Paris, Presses universitaires de Dijon, 2023. 

[←2

 Les deux formules sont employées et souvent utilisées comme équivalentes. Une partie de notre travail doctoral a été consacrée aux différences qu’elles peuvent traduire, nous ne pouvons nous arrêter en profondeur sur ce point ici, mais nous marquons cette distinction. 

[←3

 Coasne-Khawrin, M. (2023). Enseigner la philosophie avant le lycée: Réinterroger le rôle et la place de la philosophie dans l’éducation au prisme de la philosophie pour enfants [Phdthesis, Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne - Paris 12]. https://theses.hal.science/tel-04480266 

[←4

 Le dispositif CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche), peu courant en philosophie, est mis en œuvre par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche pour favoriser le dialogue entre le monde de la recherche et le monde professionnel. Il consiste en une triangulation entre un doctorant, un laboratoire et une structure professionnelle : durant trois années, un doctorant est employé par une structure professionnelle pour mener une recherche sur un sujet qui intéresse cette dernière, en échange de quoi celle-ci reçoit une subvention. 

[←5

 Cette sous-section ainsi que les deux sections qui la suivront sont tirées du chapitre de notre thèse consacré à l’explicitation de notre démarche de terrain. 

[←6

 La création de la structure faisait partie du programme politique de l’équipe municipale alors candidate à sa réélection et les activités de la Maison de la Philo ont ensuite été intégrées au « projet éducatif de territoire » (PEDT). 

[←7

 Abordant le travail que j’ai mené en tant qu’actrice sur un terrain, j’abandonne la traditionnelle première personne du pluriel pour adopter la première personne du singulier, d’une part, pour prévenir les confusions que pourrait engendrer dans ce cadre l’emploi du pluriel, d’autre part, et cette raison est plus essentielle, parce que ce travail supposait mon implication, en tant que personne, sur le terrain. Dans ce cadre le pronom « je » m’apparaît plus apte à restituer correctement les enjeux épistémologiques de la position de chercheuse embarquée sur le terrain qui était la mienne, et plus adéquat que le pronom « nous » pour rendre la modestie, rappelant la partialité du sujet et le caractère inévitablement situé de sa perspective. Par la suite, j’emploierai donc « je » ou « nous » selon les circonstances. 

[←8

 On retrouve une des conséquences souvent relevées du dispositif Cifre, l’accès au terrain est lui-même conditionné par des rapports de subordination (Lafage-Coutens, 2019) : la constitution du terrain de recherche se négocie avec sa hiérarchie qui décide d’accorder ou de refuser l’accès à certains terrains mais détermine aussi les proportions de cet accès. Dans ma situation il ne m’a d’abord, au cours de la première année, été accordé qu’une seule classe-idée bien que cette pratique se présentât comme le cadre le plus adéquat à mon projet de recherche, et l’observation d’une autre classe-idée, de laquelle je n’aurais pas été praticienne, sur son parcours annuel ne m’a finalement pas été permis.  

[←9

 Cette formation de six jours comportait un volet théorique et un volet pratique : elle dressait un aperçu de l’histoire et des principes de la philosophie pour enfants et initiait à la mise en œuvre de méthodes et de dispositifs par leur expérimentation en tant que participant. 

[←10

 Cette forme d’apprentissage au cœur de la pratique du terrain est décisive et pourtant difficile à traduire. Jean-Pierre Olivier de Sardan soulignait l’importance de cette forme d’apprentissage tout en indiquant que pourtant, « l’imprégnation quotidienne au cœur de la pratique du terrain n’est pas plus modélisable que racontable » (Olivier de Sardan, 2000, p. 441). 

[←11

 Baptiste Morizot réinterroge nos perspectives sur le vivant et la nature et spécifiquement, les relations entre l’humain et le vivant, à partir de ses pratiques de pistages de la faune sauvage (Morizot, 2022, 2021). 

[←12

 Un rapport dense donne un aperçu de différents profils de recherche Cifre en SHS et questions soulevées par ce cadre singulier : De Feraudy, T., Gaboriau, A., Petit, G., & Thyrard, A. (2021). Rapport d’enquête – Faire une thèse en Cifre en Sciences Humaines et Sociales [Research Report]. EHESS; Université Paris 1. 

 

[←13

 Il existe en réalité une telle hétérogénéité dans les pratiques que l’on rassemble derrière cette expression qu’il semble difficile d’en parler comme d’une méthode unique. Nous faisons ici référence au principe large qui les traverse toutes malgré leurs différences, celui de s’immerger dans le terrain pour appréhender des pratiques sociales à partir d’une expérience interne. 

[←14

 Jean-Pierre Olivier de Sardan introduit l’expression pour qualifier le rapport au terrain de Thierry Berche, médecin qui a fait d’une expérience constituée dans le cadre de ses fonctions professionnelles son « terrain ». 

[←15

 Ces difficultés inhérentes au statut de chercheur-acteur sont souvent soulevées dans les écrits s’attachant au cadre Cifre. On trouvera plusieurs témoignages réflexifs dans : Ballon, J., Le Dilosquer, P.-Y., & Thorigny, M. (2019). La recherche en action: Quelles postures de recherche? Éditions et Presses universitaires de Reims. 

 

[←16

 Dans le cadre du dispositif Cifre, le temps de présence est considéré comme partagé entre la structure professionnelle et le laboratoire et cette répartition est établie par contrat entre les deux parties. Dans mon cas, il était défini que « 70% du temps serait consacré à la recherche au sein de l’établissement d’embauche » et « 30% du temps serait consacré à la recherche au sein du laboratoire » sous un format évolutif permettant une plus grande présence sur le terrain en première année (80%) et une diminution progressive jusqu’en troisième année (40%). (Extrait du contrat de collaboration établi entre l’UPEC et la Maison de la Philo.) 

[←17

 Laplantine préfère en ce sens l’expression d’« expérience de/du terrain » à la notion d’« enquête de terrain » : (Laplantine, 2022) 

[←18

 L’explicitation de ces normes et représentation est précisément ce qui occupe la grande partie de notre deuxième partie de thèse (Coasne-Khawrin, 2023, p. 308-434). 

Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292