Accueil > Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation > ARPHÉ 2024 > Dossier partie 2 : Que fait un philosophe en éducation ? Et que fait en (…) > Nous, les philosophes de l’éducation en Argentine. Un regard entre disciplines.
samedi 1er mars 2025
Pour citer ce texte : GRECO, M, B. (2025). Nous, les philosophes de l’éducation en Argentine. Un regard entre disciplines. Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 5 ,
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-2024/dossier-partie-2-que-fait-un-philosophe-en-education-et-que-fait-en-retour-l/article/les-potentialites-pratiques-et-educatives-de-l-histoire-de-la-philosophie]
Nous, les philosophes de l’éducation en Argentine.
Un regard entre disciplines.
María Beatriz Greco
Universidad de Buenos Aires. Argentina
Résumé : L’article vise à déployer une philosophie en déplacement et en dialogue avec des différents champs de pensée et des problèmes philosophiques dans les territoires éducatifs en Argentine, au milieu d'un contexte social et politique de vulnérabilité des subjectivités et des institutions. On propose d'explorer un « qui au pluriel » dans le champ éducatif autour de la question « Qui sont les philosophes de l'éducation ? ». De cette façon, on aborde une question sur la relation au savoir des philosophes de l’éducation, la démocratisation du savoir dans les institutions éducatives et la formation des enseignant.e.s, et finalement, l'hospitalité de la philosophie pour entrer en dialogue avec deux champs de problèmes spécifiques : l'exercice d’une autorité émancipatrice et l’éducation sexuelle intégrale dans le contexte argentin. L’article s’interroge aussi sur les questions qui restent en suspens lorsqu'on envisage une philosophie de l'éducation qui appelle des enseignants.es formés à faire de la pensée philosophique un mode d'enseignement.
Mots clés : Philosophie de l'éducation - autorité émancipatrice - éducation sexuelle intégrale
Abstract : The article proposes to explore a philosophy in displacement and in dialogue with different fields of thought and philosophical problems in educational territories in Argentina, in the midst of a social and political context of vulnerability of subjectivities, institutions and society. We propose to explore a “who in plural” in the educational field around the question “Who are the philosophers of education?” In this way, we address a question about the relationship to knowledge of philosophers of education, the democratization of knowledge in educational institutions and teacher training, and finally, the hospitality of philosophy to enter into dialogue with two specific problem fields: the exercise of emancipatory authority and integral sexual education in the Argentine context. The article also examines the questions that remain unanswered when considering an educational philosophy that calls for teachers trained to make philosophical thought a mode of teaching.
Keywords : educational philosophy - emancipatory authority - integral sexual education
Introduction
Cet article vise à déployer quelques résonances apportées par la question et l'invitation au colloque « Qui sont les philosophes de l’éducation ? ».
Cette question amène à poser à nouveau le problème de l’éducation et son devenir historique : qui sommes-nous aujourd'hui, dans ces circonstances argentines, qui sont ceux et celles qui travaillent, non seulement en tant que philosophes de l'éducation, mais aussi avec différentes configurations de connaissances et de problèmes philosophiques et éducatifs spécifiques, au sein d'un contexte social et politique de vulnérabilité des subjectivités et des institutions ?
Qui incarne ce « qui » ? Non pas un « qui » souverain, un sage, un propriétaire du savoir mais un qui au pluriel qui produit de nombreux effets de pensée dans le champ éducatif. Qui fait de la philosophie, habite avec son corps et sa pensée et exprime avec sa voix ce que l’on appelle la philosophie de l’éducation ?
L'invitation à la question du « qui sont-ils ou elles ? » ouvre une série d'autres questions, liées à la philosophie et à l'éducation en tant qu'espace de pensée et d'enseignement, à la rencontre que nous faisons avec ces deux territoires entrelacés. Il s'agit donc de savoir « qui nous sommes », nous qui faisons de la philosophie dans l'éducation sur des terrains concrets et quotidiens, dans des salles de classe, des écoles, des universités.
La question du « qui » ne nous invite pas seulement à penser un nom, bien que les noms et les personnes qui les portent soient de la plus haute importance parce qu'ils ont construit une voix qui inspire ou provoque, une manière de dire et de faire de la philosophie de l'éducation qui parle d'une trajectoire de pensée.
C’est aussi un appel au pluriel, à une multiplicité de voix, un appel à penser le rapport au savoir de beaucoup d'entre nous, l'autorisation de philosopher et d'enseigner à partir de la philosophie.
C'est une question à propos de la démocratisation du savoir et de l'hospitalité de la philosophie. La philosophie peut-elle être hospitalière aux problèmes que posent la vie elle-même et l'éducation : qui peut philosopher ?
Nous reprendrons, dans un premier temps, une manière de nous relier à ces savoirs, aux pensées des philosophes d'ici et d'ailleurs, entre les continents, entre les générations, entre les temps et les espaces, sans une méthode qui fixe des certitudes mais qui nous encourage à continuer à nous demander non seulement qui sont les philosophes de l'éducation, et « qui peut philosopher ? » Deuxièmement, nous allons évoquer quelques exemples paradigmatiques de la manière dont la philosophie et l'éducation s'entrelacent dans deux champs de problèmes et qui font que l'on philosophe dans la formation des enseignants. Il s'agit de philosophies du terrain, dans les domaines interdisciplinaires et interinstitutionnels de l'éducation, qui se sont développées au cours des dernières décennies en Argentine et qui aujourd'hui, du fait de politiques éducatives désarticulées, risquent de disparaître.
Entre disciplines, la philosophie en déplacement.
Cette question touche à ce que nous faisons des disciplines qui nous ont formés et de la disciplinarisation de nos savoirs mis en jeu, que ce soit par leur enfermement défensif ou par l'éclatement de leurs frontières et des champs de pratique concrets dans lesquels nous nous déplaçons, en tant que philosophes, éducateurs, dans la construction d'institutions et de processus éducatifs.
Dans une communication récente, avec Louise Ferté, nous avons proposé deux acceptions du terme « discipline » afin d'introduire notre proposition au sujet des « déplacements de la philosophie » vers l'éducation, et en particulier la formation des enseignants. Dans le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1887), Ferdinand Buisson renvoie à la complexité du mot « discipline » (venant du latin discere, apprendre) qui désigne le fait d’apprendre, la manière d’apprendre et le contenu de cet apprentissage. Pour lui, « la discipline est l’ensemble des règles et des influences au moyen desquelles on peut gouverner les esprits et former les caractères » et s’appliquent « soit à l’intelligence, soit à la volonté, soit à d’autres facultés, soit surtout à l’ensemble du développement spirituel » (Buisson, 1887, p. 715-716), dans une finalité morale. Ainsi la discipline comme « disciplinant » les corps et l’esprit se prolonge dans l’acception de la discipline comme cet ensemble de règles, de procédures, de contenus, qui permettent d’unifier un domaine scientifique.
La lecture de l'œuvre de Foucault permet d’explorer la problématique qu’entraîne cette double perspective (Jaffro, 2006). D’un côté, dans Surveiller et Punir (1975) on retrouve l’idée que la discipline, y compris dans l’éducation, correspond à une forme de contrôle de soi par un pouvoir extérieur. Notons que ce pouvoir ne correspond pas à l'Etat ou à une institution quelconque, ce n’est pas chez Foucault « une instance d’interdiction, de prohibition, mais au contraire un ensemble de rapports de forces qui se range sous la catégorie de la relation » (Ottaviani, 2003, p. 59). La discipline oriente les comportements individuels, plus qu’elles ne les répriment. D’un autre côté, Foucault défend dans les années 1980, une forme libératrice de contrôle de soi (1984) qui permettrait la subjectivation, voire la libération du sujet. Aussi, le contrôle de soi induit par l’idée de discipline peut-il permettre une libération du sujet ? Comment distinguer le simulacre d’autoconstruction, d’une autoconstruction libératrice ?
Foucault émet d’ailleurs une critique « disciplinaire » des disciplines. Dans Les Mots et les Choses (1966), il critique ces « conceptions autoritaristes de la structure de la connaissance associées à l’ancienne tradition du savoir humaniste » (Kelley, 2006), notamment les sciences humaines, dans leur manière de penser l’homme comme le centre et l’objet de tous les savoirs.
Cette perspective de la discipline et de la disciplinarisation nous permet de penser que la question : qui peut philosopher ? peut recevoir une réponse soit restrictive – « tout le monde ne peut le faire, seulement ceux qui ont été disciplinés » –, soit extensive « tout le monde peut le faire, tout le monde peut philosopher si on accepte l’égalité des intelligences ». Dans ce cas, nous posons un principe égalitaire où la parole du philosophe dialogue avec la parole du travailleur, de l'étudiant. Si l'on suit Rancière dans sa proposition égalitaire de circulation de la parole, « faire de la philosophie » est possible dans la rencontre non hiérarchique des positions : celle du maître et de l'élève, celle du philosophe et des travailleurs, celle des adultes et des enfants. Dans cette perspective « indisciplinée », chacun peut philosopher, si l'on se soustrait à la logique de la domination en refusant le partage entre la parole qui exprime et la parole qui rend raison.
Dans l'introduction du Philosophe et ses pauvres, Rancière s'interroge ainsi : « comment peuvent s'autoriser à penser, se constituer en sujets de pensée ceux dont ce n'est pas l'affaire ? » (Rancière, 1983, pp. 10-11). Lorsqu'il s'agit de penser l'enseignement de la philosophie ainsi que d'autres domaines du savoir, la philosophe de l'éducation Ana Couló distingue trois types de traditions qui composent la formation des enseignants, en particulier en philosophie :
Celles d'inspiration académique, où les bonnes pratiques découleraient elles-mêmes d'une formation disciplinaire, les perspectives heuristiques, orientées vers la formation de professionnels réflexifs, et les approches critiques, associées à la conception des enseignants comme intellectuels transformateurs. (Couló, 2020, p. 10)
Dans la formation des enseignants de philosophie, la tradition académique a triomphé en termes de compréhension de l'enseignement : la philosophie est devenue sa propre didactique. Il suffit de maîtriser un grand nombre de connaissances académiques pour être un bon enseignant.
Cependant, il est possible de constater qu'au-delà de la formation en philosophie, celle-ci s'est imbriquée de manière indisciplinée ou transdisciplinaire avec d'autres champs de connaissance1 . Dans de nombreux cas, en Argentine, les domaines de la pratique et les problèmes au sens large appellent une réflexion philosophique en dialogue avec d'autres domaines de la connaissance. En même temps, c'est aussi la philosophie qui construit ces territoires éducatifs, les problématise, franchit souvent des frontières qui deviennent invisibles. De plus en plus, c'est la philosophie comme mode de questionnement, de problématisation, d'ouverture des interrogations sur les subjectivités contemporaines, surtout, qui nourrit et enrichit de nouveaux champs de l'enseignement et la formation des enseignants.
C'est pourquoi on peut répondre à la question de savoir qui nous sommes, au pluriel, nous, philosophes de l'éducation, quand on enseigne et on pense avec les enfants, avec les adolescents ou les adultes, une philosophie en dialogue avec la psychologie de l’éducation2 , avec la citoyenneté, avec la sexualité, avec l'environnement, avec la politique, avec la technologie, entre autres. C'est pourquoi nous, philosophes de l'éducation, nous devons nous interroger sur notre rapport aux savoirs et aux pratiques à ce moment précis, dans nos contextes historiques et politiques.
Une relation au savoir : qui peut philosopher ?
Pour reprendre les mots d'une collègue philosophe argentine, Natalia Cantarelli, nous pouvons nous interroger sur l'autorisation de faire de la philosophie, comme elle le dit dans son texte « Hacer las cosas de la filosofía. Intuiciones capacitistas en el canon disciplinar » (2024) :
Qui peut faire de la philosophie, qui peut la faire avec ses propres mains, sa poitrine et sa salive ? Demander qui peut, c'est toujours, en même temps, définir qui ne peut pas et, par conséquent, cela implique de classer les corps et leurs façons de faire selon un critère hiérarchique socialement établi. La question de savoir quels corps nous reconnaissons comme ayant la capacité de faire les choses de la philosophie est une question aussi vieille que la philosophie elle-même, ou peut-être devrais-je dire, aussi vieille que l'historiographie européenne de la pensée philosophique. (…) En ce sens, les scènes canoniques que nous revisitons sans cesse dans nos cours sont de véritables mises en acte de ce régime sensible parce qu'en elles (et à partir d'elles) se matérialise une classification des corps qui ordonne les modalités d'apparition et de mise en relation. (Cantarelli, 2024, p. 12)
La proposition égalitaire de Jacques Rancière résonne ici lorsque, dans Le Philosophe et ses pauvres, il reconstruit sa propre forme de travail et écrit ces mots dans l'introduction :
Au fil de la recherche, l'intérêt se déplace. Derrière la question "positiviste" – que peut-on penser en tel moment de l'histoire des discours et en telle position dans l'ordre des états ? –, j'eus à reconnaître la question plus fondamentale : comment peuvent-ils s'autoriser à penser, se constituer en sujets de pensée ceux dont ce n'est pas l'affaire ? (Rancière, 1983, p. 11).
La quête du philosophe, dans ce cas, est de reconnaître dans l'histoire les moments d'égalité, c'est-à-dire les moments où l'on peut penser la rupture qui s'opère entre l'ordre de la pensée et l'ordre social.
Il s'agit donc de corps et de scènes sensibles, comme diraient Rancière et Cantarelli, entre continents et entre générations, de partager le sensible et de faire ce que fait la philosophie quand elle permet de déclassifier, d'ouvrir les frontières et de mettre en œuvre un autre régime du sensible. Une égalité des intelligences. Des questions jacotistes3 : que vois-tu, que penses-tu, que fais-tu ? (Rancière, 1987) ont un impact sur le travail d’enseignant.e dans un contexte social et politique argentin.
Nous nous demandons donc qui nous sommes, qui peut philosopher et ce que signifie une éducation qui « se mêle » de philosophie et vice versa. Nous vivons, en Argentine, une époque de transformation de l'éducation, en raison de grandes inégalités persistantes, de ce que l'on a appelé « l’augmentation de l'échec scolaire », de la nécessité de démocratiser l'école. Alors, la philosophie de l'éducation peut-elle être pensée comme une expérience de nous-mêmes ? La philosophie et l'éducation ne sont-elles pas des territoires d'expérience, de problématisation, à la fois dans les manières d'enseigner et dans l'apprentissage que nous proposons ? Pouvons-nous enseigner la philosophie sans philosopher ? Ou encore, pouvons-nous être des éducateurs sans philosopher ?
Et quelle est cette expérience aujourd'hui, en Argentine, de formes de philosopher au pluriel, dont nous pouvons rendre compte et qui ont du sens pour nous ? Cantarelli et Galazzi affirment :
La philosophie que nous enseignons peut-elle dire quelque chose de ce qui se passe dans une classe, donne-t-elle le statut de problème philosophique aux affects et aux corps, peut-elle s'interroger sur l'exclusion sociale, se prononce-t-elle sur le travail de care, est-elle capable de demander qui est (ou n'est pas) autorisé à penser/parler le langage de la philosophie et dans quelles conditions ? Notre premier défi, celui d'intervenir dans le canon philosophique, est d'interroger ses référents, ses questions fondamentales, ses scénarios de dialogue, sa périodisation historique, ses problématiques, afin de remettre en question les certitudes qu'il nous fournit. (2024, p. 83)
Une autorité émancipatrice. Une position philosophique égalitaire
Ce sujet nous propose de remettre en question la domination, le pouvoir exercé de manière violente, symbolique ou matérielle de l'autoritarisme, qui imprègnent non seulement certaines relations pédagogiques à tous les niveaux d'enseignement, mais la formation des enseignantes elle-même et l'exercice de l'autorité dans les institutions éducatives.
Il existe une tension entre l'autorité et l'égalité qui est propre à la réflexion philosophique. En Argentine, elle est liée aux institutions éducatives qui ont été caractérisées par la discipline et l'autoritarisme, ainsi qu'aux dictatures militaires. Cette liaison a déformé la place de l'autorité pour la rapprocher de l'autoritarisme.
Dans cette perspective, on peut penser une autorité égalitaire, un exercice horizontal de l’autorité de celui ou celle qui enseigne. Il n'y aurait donc pas de philosophie de l'éducation en tant qu'objet disciplinaire fini, essentialisé, dont le savoir ne serait accessible qu'à certains, mais plutôt des entrelacs philosophiques discursifs et pragmatiques. Des questions sur le présent et sur nous dans ce présent en tant que philosophes de l'éducation et éducateurs qui philosophent.
Selon Walter Kohan :
la philosophie ne peut pas ne pas être éducative ; vivre une vie philosophique exige de s'occuper de la pensée des autres et d'y intervenir. (…) Il convient également de souligner, à la manière de Socrate, qu'il n'y a pas d'instance extérieure à sa propre pensée qui serait didactiquement abaissée. La vie elle-même est la philosophie et sa didactique. Il n'y a rien à enseigner, sauf à montrer une certaine façon de vivre. » (2008, p. 32)
Si l’autorité égalitaire ou émancipatrice en éducation est possible c’est qu’il y a un travail politique et philosophique à mener avec ceux qui tentent de l’exercer.
C’est pour cela que bien plus que d’un travail purement conceptuel, il s’agit d’un entremêlement de voix et d’écritures, de mots de textes, d’expériences d’enseignement et d’actes d’égalité qui se produisent dans ces expériences quand on tisse la relation pédagogique avec tout.e.s et n’importe qui.
Dans le cadre de l’expérience de la formation des enseignants en Argentine, les débats ont trait aux conceptions d’autorité chez Hannah Arendt, Alexandre Kojève, Paulo Freire, par exemple, ce qui nous a permis d’opérer une dissociation et un rapport inhabituels : d’un côté, en séparant le concept d’autorité (et de pouvoir) de sa relation indissociable avec le savoir ; d’un autre côté, en réunissant dans un même espace d’expérience l’exercice de l’autorité et l’ignorance, avec un regard entre disciplines et à la fois, étrangère, propre à l’enfance.
Nos discours dichotomiques présentent l'émancipation et l'autorité d'un maître comme étant incompatibles : on trouve ou bien des partisans nostalgiques d'une autorité hiérarchique supposée se résoudre un jour une fois que l'élève aura appris ce que le maître savant lui aura enseigné ; ou bien des tenants d’une autorité au sein de laquelle la différence des places est absente.
Mais si éduquer vise à rendre possible une émancipation, alors comment penser l’autorité ?
Il s’agit d’une problématique philosophique qui traverse les pratiques éducatives, la gestion des institutions et de l’enseignement, il s’agit d’interroger le type de rapport qui permet qu’advient, ou non, un processus d’émancipation dans le champ éducatif.
On peut postuler certains déplacements de l'autorité à l'autorisation, comme une manière de concevoir la mise en œuvre des processus d'émancipation : de la connaissance déjà « connue » à la problématisation de cette connaissance de la part de chaque enseignant.e. Même en tant qu'enseignants.es, avec différents degrés de formation, de qualifications et d'accréditations, nous construisons toujours un savoir inachevé, nous aurons toujours des questions, des problèmes auxquels nous n'avons pas de réponse. Enseigner à partir de là est un défi, celui de montrer aux étudiants que nous avons parcouru un chemin, mais que cela ne signifie pas qu’on sait tout, que nous pouvons réfléchir ensemble aux problèmes. Dans cet espace partagé, vide de tout savoir achevé, l'égalité s'exprime.
De l'autorité à l'autorisation : elle est liée à une loi symbolique qui différencie des places générationnelles, asymétriques, faites de responsabilité, une loi qui pose une limite et ouvre un espace différent, différencié et appartenant à l'autre, non interchangeable, non négociable, à chacun.e d'entre nous. Il est intéressant de penser que l'autorisation n'implique pas l'exercice d'un pouvoir de la part de celui qui autorise car il s'agit de se donner la reconnaissance du « pouvoir ». L'autorisation est donnée dans la relation avec soi-même.
Nous sommes habitués à penser la hiérarchie de la parole comme une manière d'expliquer et de la faire circuler, de faire place à la pensée des autres à partir de la conviction que chacun.e, d'où qu'il.elle vienne, peut penser, peut faire preuve d'intelligence et n'a pas toujours besoin d'être expliqué. On s'habitue à penser que la hiérarchie scolaire est fondée sur les savoirs possédés et que les élèves ne savent pas ou arrivent sans rien savoir ; la seule chose à faire alors – soi-disant – c'est de leur expliquer. L'explication peut être une manière d'approcher l'autre, d'enseigner un contenu, mais si elle ne laisse pas de place, si elle ne crée pas de vide pour les questions, elle est disqualifiante.
De l'autorité hiérarchique à l'autorité-transmission : l'autorité hiérarchique ne connaît que l'imposition, le fait de donner un ordre et de demander l'obéissance en retour. Peut-être qu'une autorité centrée sur la transmission et non sur l'imposition exige autre chose : participer à la connaissance, apprendre, faire partie d'une communauté d'intelligences, cela nous donne quelque chose que nous n'avions pas auparavant. C'est le fait de démissionner pour produire quelque chose en échange. Une autorité centrée sur la transmission donne la possibilité de vivre dans une histoire, ce qui est la manière humaine de vivre, dirait Arendt, la possibilité de raconter sa propre vie.
Ces déplacements créent un paradoxe dans l'exercice de l'autorité : quelqu'un qui rejette la hiérarchie mais ne renonce pas à sa place différenciée et à sa responsabilité, quelqu'un qui est convaincu de l'égalité et la prend comme point de départ.
L'éducation sexuelle intégrale (ESI) et la perspective de genre : un problème philosophique
En Argentine, durant les dernières décennies, nous avons vécu un processus politique, éthique, pédagogique et institutionnel autour de l'éducation sexuelle, qui continue à ouvrir aujourd’hui un certain nombre de débats.
Tout d'abord, l'ESI montre un mouvement de transformation institutionnelle qui est loin de se limiter à l'ajout de contenus liés à la sexualité, entendue comme génitalité et reproduction. Il ne s'agit pas d'un domaine de connaissance qui relève uniquement des sciences biologiques. Selon cette approche, seul le discours médical, associé à la normalité et à la pathologie, pouvait prendre en charge l'éducation sexuelle. Cette explication du fonctionnement corporel s'accompagnait de règles morales et de prescriptions pour prévenir les risques de la sexualité : les maladies sexuellement transmissibles, les risques de la grossièreté précoce, entre autres. Il s'agissait d'enseigner une supposée nature sexuelle humaine inscrite dans un corps étranger aux évolutions sociales, politiques et culturelles.
Un long processus de luttes et de débats, caractéristique de la recherche philosophique, notamment dans la perspective du genre, des mouvements sociaux et de la pédagogie critique et émancipatrice, a réussi à ouvrir une dimension politique et culturelle capable de faire passer l'éducation sexuelle de cette approche biologique et moraliste à une perspective intégrale et complexe, qui transforme les formes d'enseignement elles-mêmes. Il s'agit d'une conception de l'ESI comme projet de justice sociale : une invitation à dénaturer les corps, à les dés-essentialiser dans et par l'expérience scolaire, à remettre en cause les stéréotypes de genre qui répondent à un système de relations de pouvoir.
Cette conception propose, à la fois, une perspective philosophique qui déplace les pratiques pédagogiques hiérarchiques et lie l'éducation et la sexualité comme un moyen de faire place à une « contre-pédagogie de la cruauté » (Segato, 2018) afin d’adopter une confiance instituante (Cornu, 2003) et une autorité émancipatrice (Greco, 2014).
La loi sur l'éducation sexuelle intégrale (2006) est la cristallisation d'une proposition visant à dispenser une éducation sexuelle dans tous les établissements d'enseignement public de gestion publique et privée, du niveau initial au niveau supérieur en Argentine, avec une approche qui défend l’idée que la sexualité fait partie de la condition humaine, à laquelle tous les sujets ont droit.
La mise en œuvre du ESI a entraîné des transformations sociales4 , telles que la lutte pour la légalisation de l'avortement qui a été approuvée en 2020, la loi sur le mariage égalitaire (2010), la loi sur l'identité de genre (2012) ou la visibilité des violences sexistes avec la création de nombreux espaces institutionnels de protection et de dénonciation. En d'autres termes, l’ESI génère des résonances éducatives, sociales et politiques contre la violence de genre, favorisant également la transformation des façons de penser la famille, démantelant l'idéal supposé de la famille traditionnelle.
Ces conquêtes, qui impliquent de profondes transformations de l'ordre symbolique-culturel, sont discutées, revues, enseignées et apprises dans les espaces existants pour la formation des enseignants en ESI.
Toute éducation est sexuelle
« Toute éducation est sexuelle » a été le principe revendiqué par divers chercheurs.euses, particulièrement influencés par Graciela Morgade, chercheuse à la Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université de Buenos Aires. Ce principe a permis de rendre visible le lien entre sexualité et éducation, car il s'agit toujours de corps sexués, inscrits dans des rapports de pouvoir, dans des rapports de genre que l'école a gardé invisibles, reproduisant des formes d'inégalité, d'injustice et d'exclusion.
Ce principe soutien que des significations de genre sont toujours présentes dans l’ensemble des pratiques d'enseignement et de transmissions de connaissances, qui courent le risque de stéréotyper, d'homogénéiser, et donc de laisser de côté et d'exclure les différences entre les femmes, les hommes et toutes les diversités sexuelles. Dans cette perspective, l'expérience scolaire telle qu'elle est produite par l'enseignement, par l'approche des conflits, par la manière dont la parole circule, peut être une expérience égalitaire, transformatrice, où l'ordre habituel d'un monde inégal est problématisé. Ces processus demandent des interventions dans l'enseignement et dans la vie quotidienne de l'école, la convivialité, dans son organisation, dans la résolution des conflits, dans le travail et le regard des enseignants.es sur la sexualité et les relations de genre.
La proposition implique de problématiser l’expérience entre les corps et les subjectivités, c'est-à-dire d'historiciser et de contextualiser la construction des corps, de montrer comment ces corps sont culturellement construits et pas seulement donnés. Il y a dans cette perspective un non-consentement à l'ordre du monde propre de la philosophie.
Contre-pédagogies de la cruauté
Une anthropologue argentine, Rita Segato, chercheuse féministe, qui a principalement enquêté sur la violence sexuelle, l'exploitation sexuelle et la traite d’êtres humains affirme :
Quand je parle d'une pédagogie de la cruauté, j'entends par là la capture de quelque chose qui coule de manière errante et imprévisible, comme la vie, afin d'y installer l'inertie et la stérilité de la chose, mesurable, vendable, achetable et obsolescente, comme la consommation dans cette phase apocalyptique du capital. (2018, p. 13)
La pédagogie de la cruauté est celle qui nous habitue à l'absence de protection de la vie, à la désaffectation, au désengagement, à l'accélération du temps qui ne nous appartient pas, empêchant la pause, le retard, la rencontre.
Segato souligne qu'un projet historique orienté par la finalité du lien comme réalisation du bonheur est remplacé par un projet historique orienté par la finalité des choses comme forme de satisfaction.
Il devient alors impératif de se demander comment concevoir et élaborer des contre-pédagogies de la cruauté capables de sauver une sensibilité et des liens qui nous permettent de visualiser des chemins alternatifs. De quelles façons une contre-pédagogie de la cruauté peut-elle transformer non seulement l’ESI, mais l'éducation dans son ensemble, en engageant une philosophie de l’éducation émancipatrice ?
Nous mettons l'accent sur les relations de reconnaissance mutuelle au sein des processus éducatifs, la valorisation des processus plutôt que des produits, la possibilité de parler de la souffrance, de faire place aux liens, à la parole, à l'écoute, à toutes les relations pédagogiques, entre les sujets et avec le savoir, qui permettent l’émergence du sujet dans un sens émancipatoire.
Penser à partir de la philosophie et faire l'école en dialogue avec l'ESI
Un groupe de professeur.e.s de philosophie de l’Université de Buenos Aires a créé une organisation appelée « El Pensadero » (Macías, 2020) pour réaliser des ateliers de philosophie avec des enfants, ainsi que des recherches sur la subjectivité. Leur travail suppose un lien entre la philosophie avec les enfants, la reconfiguration de l’autorité pédagogique et l’enseignement de l'ESI sous différents aspects mentionnés ci-dessous.
Elle est enseignée et apprise dans des communautés d'apprentissage et de recherche, la position de l'enseignant en tant que médiateur et non en tant que détenteur ultime de la connaissance, les sujets abordés dans les réunions, l'implication du corps dans le processus d'enseignement/apprentissage et l’enseignement de ces projets en tant que praxis politique transformatrice.
Les propositions pédagogiques d'ESI, une autorité émancipatrice et la philosophie avec les enfants se rejoignent car elles présupposent une rupture avec les pratiques et les dynamiques de l'école, comprise à partir d'une conception traditionnelle, et une manière de considérer les contrats pédagogiques comme insuffisants pour répondre aux problèmes et aux intérêts des enfants et des jeunes dans notre société.
Les propositions sont conçues et mises en pratique de manière communautaire, c'est-à-dire comme des espaces construits avec d'autres. Ni le dialogue philosophique ni une approche intégrale de l'éducation sexuelle ne peuvent s’effectuer en direction d’individus isolés.
Pour sa part, la philosophie avec les enfants reprend le concept de communauté de recherche qui consiste essentiellement à comprendre le savoir comme un processus dynamique de recherche de sens auquel chacun participe, dans une atmosphère de respect, de confiance et d'écoute mutuelle qui favorise le développement de chacun.e de ses membres.
La principale caractéristique de ces communautés est le dialogue. Il s'agit d'une pratique coopérative à laquelle tous les participants prennent part. Tant dans la pratique de la philosophie avec les enfants que dans celle de l'ESI, l'élément déclencheur des réunions est la proposition planifiée par les enseignants, mais le développement et l'appropriation de ces contenus sont également façonnés par les intérêts et les expériences des étudiante.e.s.
Ainsi, la réflexion philosophique conçue comme celle qui ouvre des questions et redistribue les positions de savoir, de pouvoir et d'ignorance est présente dans ces deux propositions.
Conclusions
La question « Qui sont les philosophes de l’éducation ? » amène à poser la contextualisation du problème de l’éducation et son devenir historique, à partir d’un regard philosophique. Pour nous, philosophes et enseignant.e.s argentin.e.s, la question autour de circonstances politiques, sociales et institutionnelles, nous oblige à penser la formation des enseignant.e.s à partir de problèmes philosophiques.
Dans cette perspective, il y a un appel au pluriel, à une multiplicité de voix, à penser le rapport au savoir des enseignant.e.s, à aborder la question : « qui peut philosopher ? » et s'approprier l'autorisation de philosopher et d'enseigner à partir de la philosophie.
Dans différents champs de recherche et d'enseignement, les relations pédagogiques et l’éducation sexuelle intégrale, on provoque certains déplacements de l'autorité à l'autorisation, comme une manière de concevoir la mise en œuvre des processus d'émancipation : de la connaissance déjà « connue » à la question de la relation au savoir et l’ignorance, de l'autorité à l'autorisation de soi, de l'autorité hiérarchique à l'autorité-transmission, celle qui garde une asymétrie et en même temps, fait confiance (Cornu, 1999) à « l’égalité des intelligences » (Rancière, 1987). Ces déplacements créent un paradoxe dans l'exercice de l'autorité : quelqu'un qui rejette la hiérarchie mais ne renonce pas à sa place différenciée et à sa responsabilité, quelqu'un qui est convaincu de l'égalité et la prend comme point de départ (Rancière, 1987). La construction d’une autorité capable de mettre en œuvre des processus d'émancipation, une autorité émancipatrice (Greco, 2014).
L’ESI (éducation sexuelle intégrale) et la perspective de genre comme thématique éducative sont conçus comme un problème philosophique. Il s'agit d'une conception de l'ESI comme projet de justice sociale : une invitation à dénaturer les corps, à les dés-essentialiser dans et par l'expérience scolaire, à remettre en cause les stéréotypes de genre qui répondent à un système de relations de pouvoir. De cette façon, l’ESI ne se limite pas à l'ajout de contenus liés à la sexualité, entendue comme génitalité et reproduction. Elle comprend une approche transdisciplinaire où interviennent des perspectives philosophiques, psychologiques, sociales, affectives et éthiques.
Pour conclure, on s'interroge sur les questions qui restent en suspens lorsqu'on envisage une philosophie de l'éducation qui appelle des enseignant.e.s en formation ou déjà formé.e.s à faire de la pensée un mode d'enseignement. Cette perspective demande la construction de communautés d'apprentissage et de recherche, un positionnement de l'enseignant.e en tant que médiateur et non en tant que détenteur ultime de la connaissance, l'implication du corps dans le processus d'enseignement/d’apprentissage et la perspective d’un enseignement considéré comme praxis politique transformatrice.
Références
Buisson Ferdinand. (1887) Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire. Tome 1 de la première partie, pp. 715-716. Paris : Hachette.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24232h
Cantarelli, María Natalia. “Hacer las cosas de la filosofía. Intuiciones capacitistas en el canon disciplinar”. En Cerletti, Alejandro y Couló, Ana (orgs.). Corporalidades del filosofar. Enseñanza y aprendizaje filosóficos, entre la virtualidad y la presencialidad. Buenos Aires : Seisdedos
Cantarelli, Maria Natalia, Galazzi, Laura (2024). “Enloquecer, tramar, desear. Una Educación Sexual Integral para la filosofía que enseñamos”. En Scaserra, José I., Zattara, Susana (comp.) Filosofía en foco. ESI en la formación docente. Rosario : Homo Sapiens. (pp.71-106)
Cornu, Laurence. « La confiance », Le Télémaque, 2003/2 n ° 24 | pp. 21 à 30. (Traduction a l’espagnol : Cornu, Laurence (2024) La confianza, in Greco, María Beatriz (comp.) La confianza en los territorios educativos a partir de la obra de Laurence Cornu. Rosario : Homo Sapiens).
Cornu, Laurence (1999) “La confianza en las relaciones pedagógicas”. En Frigerio, Graciela, Poggi, Margarita, Korinfeld, Daniel (comps). Construyendo un saber sobre el interior de la escuela. Buenos Aires : CEM – Noveduc.
Couló, Ana (2020) “Estudio introductorio: la formación docente universitaria” en Cerletti, Alejandro y Couló, Ana. La formación docente universitaria en Filosofía. Buenos Aires : Noveduc. (pp. 9-19).
D’Iorio, Gabriel (2010). Filosofía. Aportes para el desarrollo curricular. - 1a ed. - Buenos Aires : Ministerio de Educación de la Nación. https://cedoc.infd.edu.ar/wp-content/uploads/2020/01/Filosofia.pdf
Faur. Eleonor (2016) El derecho a la ESI en Argentina. Una experiencia exitosa. Ministerio de Educación. Presidencia de la Nación. https://www.academia.edu/81655872/ESI_Faur_El_Derecho_a_la_educacion_sexual_integral_en_la_Argentina_1
Foucault, Michel (1984). «L'éthique du souci de soi comme pratique de la liberté» (entretien avec H. Becker, R. Fornet-Betancourt, A. Gomez-Müller, 20 janvier 1984), Dits et ecrits, tome IV, texte 356.
Greco, María Beatriz. (2014) En dialogue avec Jacques Rancière. Une autorité émancipatrice. Paris : L’Harmattan.
Greco, María Beatriz (2009). « Pensar y actuar en educación. Una psicología « fuera de sí » ». Premio Facultad de Psicología de la Universidad de Buenos Aires. https://www.academia.edu/41887244/PENSAR_Y_ACTUAR_EN_EDUCACI%C3%93N_UNA_PSICOLOG%C3%8DA_FUERA_DE_S%C3%8D_Thinking_and_acting_in_education_a_psychology_out_of_itself_
Greco, María Beatriz (2007) Rancière et Jacotot. Une critique du concept d’autorité. Paris : L’Harmattan.
Jaffro, Laurent. « Foucault et le problème de l'éducation morale », Le Télémaque, vol. 29, no. 1, 2006, pp. 111-124.
Kelley, Donald R (2006). Le problème du savoir et le concept de discipline In : Qu’est-ce qu’une discipline ? [en ligne]. Paris : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales.
Kohan, Walter (2008) Filosofía de la educación: a la búsqueda de nuevos sentidos. Educação e Filosofia, 12 (24) 91-121. Disponible en https://es.scribd.com/document/769176442/Walter-Kohan-Filosofia-de-la-educacion-a-la-busca-de-nuevos-sentidos
Macías, Julián (2020) En busca del sentido. Cruces entre filosofía, infancia y educación. Buenos Aires: Teseo. https://es.scribd.com/document/473928462/Macias-Julian-En-busca-del-sentido-Cruces-entre-filosofia-infancia-y-educacion-pdf
Morgade, Graciela (2018) “Doce años de la ley de ESI. Observatorio Participativo de Políticas Públicas en Educación (OPPPEd)- FFyL-UBA. https://fcen.uncuyo.edu.ar/upload/a-12-anos-de-la-esi-morgade.pdf
Morgade, Graciela (coord.) (2011) Toda educación es sexual. Buenos Aires: La Crujía. https://repositoriosdigitales.mincyt.gob.ar/vufind/Record/SEDICI_6bf6ba49cf7b765ae8b6d0bdadd70304
Ottaviani, Didier (2003). Foucault - Deleuze : de la discipline au contrôle In : Lectures de Michel Foucault. Volume 2 : Foucault et la philosophie [en ligne]. Lyon : ENS Éditions.
Rancière, Jacques (1987). Le maître ignorant. Cinq leçons d'émancipation intellectuelle. Paris : Fayard.
Rancière, Jacques (1983). Le philosophe et ses pauvres. Paris : Fayard.
Roselli, Nestor Daniel; La psicología de la educación en Argentina: raíces, desarrollos y perspectivas; Universidad de Antioquía; Revista de Psicología; 4; 2; 7-2012; 16-27
Segato, Rita (2018). Contra pedagogías de la crueldad. Buenos Aires : Prometeo.
SUTEBA. Semana de la ESI 2024. De la ley a la práctica : una construcción posible. Buenos Aires, Argentina : 2024. https://www.suteba.org.ar/download/semana-de-la-esi-2024-de-la-ley-a-la-prctica-una-construccin-posible-106443.pdf
Notes
- [←1 ]
En Argentine, on observe depuis les années 1990 une tendance à aborder les problèmes éducatifs à partir de différents champs disciplinaires, entrelacés autour de la pensée philosophique, tous opposés aux politiques technocratiques. On peut citer en particulier le travail réalisé depuis 1995 par le Centre d'études pluridisciplinaires, dirigé par Graciela Frigerio et Gabriela Diker, dont les publications constituent un matériel d’étude et de travail dans la formation initiale et continue des enseignants. En 2010, l'Institut national de formation des enseignants du Ministère de l'Education Nationale a publié le document « Filosofía. Aportes para el desarrollo curricular ». Son auteur, Gabriel d'Iorio, écrit :
« Il est nécessaire de préciser, par exemple, que l'approche que nous proposons, bien qu'elle puisse parfois la compléter, est sensiblement différente d'une certaine façon de comprendre la philosophie des sciences, car au lieu d'analyser les procédures et les méthodes utilisées pour valider certains énoncés et connaissances comme scientifiques, ou de réfléchir aux différentes manières d'approche utilisées par les scientifiques pour accéder au réel, nous nous intéressons aux conditions historiques, anthropologiques et philosophiques qui rendent possible la relation des sujets de la connaissance avec la production et l'utilisation de la connaissance ». (2010, p. 18)
Le document propose de réfléchir philosophiquement, dans le cadre de la formation des enseignants.es, aux subjectivités dans les contextes contemporains et aux conceptions de l'enseignement et de l'apprentissage, au désir de savoir, aux significations de la connaissance en relation avec un monde en mutation, en privilégiant l'art du questionnement.
- [←2 ]
En Argentine la psychologie de l’éducation a une longue tradition en tant que discipline autonome depuis le mouvement positiviste qui a dominé la pensée occidentale dans la seconde moitié du 19ème siècle. En Amérique latine, le positivisme a imprégné non seulement la psychologie mais aussi la pédagogie. La psychométrie visait alors à mesurer l'intelligence et les aptitudes, afin de, respectivement, homogénéiser les groupes scolaires et faciliter l'orientation professionnelle. Après une période de réaction phénoménologique et gestaltiste, la psychanalyse fait irruption dans les années 1950, en imposant une approche clinique et psychodynamique de l'éducation. La psychologie génétique fait également son apparition. Mais le changement le plus radical se produit à la fin des années 1960 et dans les années 1970, lors de l’émergence d’une conception marxiste du système d'oppression étatique via l'éducation, légitimant de ce fait les inégalités sociales. L'articulation de la psychologie de l'éducation avec la philosophie s'est approfondie à partir de la fin des années 1990, avec les propositions interdisciplinaires déjà mentionnées. Cf. Roselli (2012), Greco (2009).
- [←3 ]
Joseph Jacotot est un pédagogue français du XIXe siècle, protagoniste du livre de Jacques Rancière Le Maître ignorant. Cinq leçons d'émancipation intellectuelle (1987). Jacotot, homme des Lumières, a proposé une méthode (anti)pédagogique qui place le maître et l'élève dans une relation d'égalité. En 1818, Joseph Jacotot a été amené à enseigner aux Pays-Bas. Or, il ne parlait pas le hollandais et ses élèves ne parlaient pas un mot de français. De cette situation problématique est née une « aventure intellectuelle » surprenante et fascinante. Jacotot donna à ses élèves le livre Les Aventures de Télémaque de Fénelon dans une édition bilingue français-hollandais, et leur demanda d’apprendre le texte français en s’aidant de la traduction. Les résultats dépassèrent les attentes de Jacotot : « les étudiants s’étaient appris à parler et à écrire en français, sans le secours de ses explications. » Dans Le maître ignorant, Jacques Rancière relate cette aventure et ravive la philosophie de Jacotot, celle d’une égalité universelle de l’intelligence.
« Pas d’explications, pas d’indications sur les mots que l’élève aura à prononcer, ne serait-ce que sur leur emplacement. En revanche, une insistance sur la nécessité, pour l’élève de réaliser par lui-même un travail intellectuel : ne pas se reposer, en paresseux, sur l’intelligence du maître ; au contraire, offrir à sa propre intelligence toutes les possibilités de se déployer » (Greco, 2007, p. 21)
- [←4 ]
Pour plus d'informations sur les effets du ESI, voir Faur. Eleonor (2016) El derecho a la ESI en Argentina. Una experiencia exitosa. Ministerio de Educación. Presidencia de la Nación ; Morgade. Graciela (2018) « Doce años de la ley de ESI ». Observatorio Participativo de Políticas Públicas en Educación (OPPPEd)- FFyL-UBA ; SUTEBA. « Semana de la ESI 2024. De la ley a la práctica : una construcción posible ». Buenos Aires, Argentina : 2024.
Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292