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samedi 1er mars 2025

Pour citer ce texte : CHAARANI MONLA, M. (2025). Authenticité et contemporanéité dans la philosophie éducative d’Abdel Dayem Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 5 ,
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-2024/dossier-partie-3-quel-canon-pour-la-philosophie-de-l-education/article/les-potentialites-pratiques-et-educatives-de-l-histoire-de-la-philosophie]

Authenticité et contemporanéité dans la philosophie éducative d’Abdel Dayem 

 

Majida CHAARANI MONLA 
Docteure en sciences de l’éducation (université Lyon 2) 
Université Libano-Française (ULF) www.ulf.edu.lb 

 

Résumé : Cet article explore la philosophie éducative d'Abdallah Abdel Dayem, figure éminente de la pensée éducative arabe contemporaine. Sa réflexion vise à réconcilier l’authenticité du patrimoine culturel arabo-islamique avec les impératifs de la modernité, en réponse aux défis mondiaux et aux crises éducatives du monde arabe. Abdel Dayem souligne le rôle central de l’éducation dans le développement individuel et collectif, en insistant sur une planification scientifique rigoureuse et sur la collaboration entre pays arabes pour construire un avenir éducatif commun. Son approche, ancrée dans le nationalisme arabe, plaide pour un renouveau éducatif basé sur l'innovation tout en préservant l'identité culturelle. Cet article analyse ses écrits pour comprendre comment l'éducation peut constituer un vecteur de changement, conciliant tradition et modernité afin de relever les défis contemporains du monde arabe. 

Mots clés : Philosophie éducative, éducation arabe, nationalisme, culture, Abdallah Abdel Dayem 

Summary : This article explores the educational philosophy of Abdallah Abdel Dayem, a prominent figure in contemporary Arab educational thought. His reflection aims to reconcile Arab-Islamic cultural authenticity with the imperatives of modernity, in response to global challenges and the educational crises in the Arab world. Abdel Dayem emphasizes the central role of education in both individual and collective development, advocating for rigorous scientific planning and collaboration among Arab countries to build a common educational future. His approach, rooted in Arab nationalism, calls for an educational renewal based on innovation while preserving cultural identity. This article analyzes his writings to understand how education can serve as a vehicle for change, balancing tradition and modernity to address the contemporary challenges facing the Arab world. 

 Keywords : Educational philosophy, arab education, nationalism, culture, Abdallah Abdel Dayem 

 

 

Introduction : pourquoi la philosophie éducative d’Abdel Dayem ? 

 

Cette contribution part d’un constat : la philosophie de l’éducation arabe est relativement absente des débats internationaux contemporains. Bien que largement influencé par la culture occidentale, ce domaine compte des penseurs remarquables, souvent méconnus en dehors du monde arabe. C’est le cas du philosophe et pédagogue syrien Abdel Dayem (1924-2008), dont les travaux ont profondément influencé la réflexion sur l’éducation en analysant les interactions entre héritage culturel et évolutions contemporaines. Cet article vise à mettre en lumière ses contributions à la philosophie de l’éducation, en s’appuyant sur une analyse de ses ouvrages majeurs, notamment Les Travaux nationalistes, 1957-1965 (2002), Vers une philosophie éducative arabe (1991), Rôle de l’éducation et de la culture dans la construction d’une nouvelle civilisation humaine (1998), La Planification éducative (1997), Révision de la stratégie de développement de l’éducation arabe (1995). 

Pourquoi ai-je choisi Abdel Dayem comme sujet d’étude ? Parce qu’il a énormément apporté à la philosophie de l’éducation. Polyglotte maîtrisant quatre langues étrangères, il se distingue parmi les intellectuels arabes grâce à une pensée influencée par une diversité culturelle. Son aptitude à traduire et à adapter les idées pédagogiques occidentales aux besoins de l’éducation arabe démontre la profondeur de son étude. De même, il s’est distingué par sa réflexion, aussi bien sur des problématiques éducatives arabes, telles que la philosophie de l’éducation arabe, la crise de l’éducation et de la culture, la planification éducative, le renouveau éducatif et la stratégie de développement de l’éducation, que sur des enjeux éducatifs mondiaux, notamment la mondialisation et les défis internationaux actuels. 

Le contexte historique et culturel des pays arabes, marqué par l’héritage colonial et la fragmentation interne, a toujours posé des défis pour la construction de systèmes éducatifs adaptés aux réalités locales. L’éducation dans cette région a souvent été caractérisée par des tensions profondes entre tradition et modernité. Cette dernière, selon Dayem (2004), se manifeste comme une dynamique de transformation sociale, politique et culturelle, un cadre philosophique fondé sur la raison, l’émancipation et l’individualisme, ainsi qu’un processus d’innovation scientifique et technique. 

Exacerbées par des influences extérieures et des bouleversements politiques, ces tensions résultent d’un décalage entre des structures éducatives importées, souvent inadaptées, et la réalité socio-économique de la région. Ce contraste contribue à des crises éducatives et culturelles, où les aspirations des jeunes générations peinent à se concilier avec la préservation d’une identité nationale arabe. 

Dans ce cadre, la question de l’authenticité prend une place centrale dans la pensée éducative de Dayem. Pour lui, l’authenticité ne signifie pas un retour figé au passé, mais une capacité à préserver une continuité historique et culturelle tout en répondant aux exigences du présent et du futur. Il la conçoit comme une articulation dynamique entre enracinement et adaptation, où la transmission des valeurs fondamentales ne doit pas empêcher l’innovation et la réforme. 

Cette vision s’applique particulièrement à l’authenticité du patrimoine culturel arabo-islamique, que Dayem considère comme un héritage intellectuel et civilisationnel en constante évolution, façonné par une double dynamique : d’une part, l’héritage islamique, qui structure les cadres éthiques et sociaux, et d’autre part, les multiples interactions avec d’autres traditions culturelles, religieuses et philosophiques, qui ont enrichi ce patrimoine et contribué à son rayonnement à travers le monde.  

Selon lui, ce patrimoine ne doit ni être renié au nom du progrès, ni être idéalisé de manière statique. Il s’agit plutôt de l’inscrire dans une démarche critique et constructive, où l’éducation joue un rôle clé dans la transmission des savoirs, leur réinterprétation critique et leur mobilisation au service du développement individuel et collectif.  

Cet article s’appuie sur une analyse approfondie des écrits de Dayem afin d’explorer les fondements de sa pensée éducative et ses propositions pour une réforme adaptée aux défis contemporains du monde arabe. Ces défis incluent notamment les défis éducatifs, liés à la crise de l’éducation et aux besoins de réforme ; les défis culturels, marqués par le risque d’uniformisation culturelle pouvant conduire à une perte de diversité, ainsi que par la nécessité de bâtir une civilisation humaine partagée face aux transformations contemporaines ; les défis sionistes, perçus comme des menaces à l’unité arabe et comme un facteur de fragmentation du monde arabe ; ainsi que les défis mondiaux, englobant les effets de la mondialisation, les mutations économiques et technologiques, et leur impact sur l’éducation et la culture.  

À travers cette étude, nous chercherons à dégager les principes fondamentaux de sa philosophie, et nous examinerons comment une approche philosophique de l’éducation peut concilier l’héritage du passé avec les besoins et les défis contemporains ? 

 

1. Présentation générale 
1.1. Contexte de la philosophie de Dayem dans le cadre des courants éducatifs  

Avant d’explorer les caractéristiques de la philosophie éducative de Dayem, il est nécessaire de comprendre comment celle-ci s’inscrit dans le contexte des courants éducatifs qui ont façonné le monde arabe depuis la Renaissance arabe. Ces courants, bien que variés, peuvent être regroupés en quatre tendances principales qui reflètent des dynamiques culturelles, politiques et idéologiques spécifiques. Tout d’abord, il y a une inclination marquée vers l’occidentalisation, se manifestant par une volonté d’imiter les modèles éducatifs de l’Occident. En contraste, le courant religieux salafiste émerge comme une réaction à cette occidentalisation, promouvant une approche plus traditionnelle et conservatrice de l’éducation. Parallèlement, la tendance nationaliste se positionne dans le sillage des mouvements nationalistes observés dans le monde occidental, cherchant à promouvoir une identité éducative propre à la nation arabe. Enfin, la tendance sociale-démocrate, ou socialiste, se distingue par son engagement envers des idéaux de justice sociale et d’égalité, influençant les politiques éducatives vers des modèles plus inclusifs et égalitaires.  

Aujourd’hui, ces courants doivent être compris comme des étapes dans l’évolution des systèmes éducatifs arabes, et non comme des modèles encore pleinement applicables. Dayem, bien qu’influencé par ces différents courants, ne s’inscrit pleinement dans aucun d’eux. Il propose une approche synthétique et pragmatique, qui cherche à réconcilier les tensions entre occidentalisation et enracinement culturel arabo-islamique. Tout en reconnaissant l’importance de l’intégration des savoirs et des méthodes pédagogiques modernes, il défend l’idée que l’éducation doit rester ancrée dans le patrimoine culturel arabe et islamique pour assurer une continuité identitaire. De plus, il adhère à certains principes du nationalisme considérant que l’éducation est un outil de consolidation politique et culturelle, mais il s’éloigne d’une approche purement idéologique en intégrant des principes de justice sociale et d’égalité des chances pour garantir un accès équitable à l’instruction. 

 

1.2. Quelques mots sur Abdel Dayem 

Avant d’aborder les concepts-clés de la philosophie éducative d’Abdel Dayem, il est important de présenter brièvement son parcours. Abdel Dayem est un penseur syrien, né à Alep en 1924, au sein d’une famille religieuse, ce qui lui a permis de se familiariser avec les sciences religieuses dès son jeune âge et à se plonger, plus tard dans l’étude approfondie du patrimoine intellectuel islamique. Il a commencé son éducation primaire en 1930-1931 et a poursuivi ses études dans diverses villes syriennes. Au cours de ses études secondaires, il a développé une passion pour la langue française et la littérature du XIXe siècle, ainsi que pour la poésie française classique et romantique. Parallèlement, il restait fortement attaché à la littérature arabe.  

En 1946, il obtient une licence en philosophie au Caire, puis un doctorat d’État en éducation à la Sorbonne en 1956. Sa formation, influencée à la fois par la tradition philosophique arabo-islamique et par les courants occidentaux, lui a permis de développer une approche hybride de la philosophie éducative. 

Dayem a exercé de nombreuses fonctions à la fois académiques et administratives. Il a occupé des postes prestigieux, d’Alep à Paris, et dans plusieurs pays arabes et en Afrique de l’Ouest. Il a été directeur général des connaissances au Qatar, ministre de l’Information et de l’Éducation, expert en planification éducative affilié à l’UNESCO, et directeur du Centre régional de planification éducative à Beyrouth. Son parcours inclut également des rôles influents à l’UNESCO, à Paris, au Caire, à Oman et en Afrique de l’Ouest, marquant une carrière dédiée au développement éducatif. Ses nombreux voyages et collaborations ont enrichi sa réflexion sur l’éducation et les réformes nécessaires pour revitaliser les systèmes éducatifs arabes.  

 

2. La philosophie éducative d’Abdel Dayem 

 

2.1. Pourquoi une philosophie éducative arabe ? 

Abdel Dayem pose la question fondamentale de la nécessité d'une philosophie éducative propre aux pays arabes. Selon lui, cette nécessité repose sur deux raisons majeures : des motifs intrinsèquement éducatifs et des considérations sociétales plus profondes. 

D'un point de vue éducatif, Dayem identifie une crise de l’enseignement dans les pays arabes, marquée par des lacunes tant qualitatives que quantitatives. L'expansion rapide des systèmes éducatifs, en réponse à la massification de l'enseignement, ne s'est pas accompagnée d'une réflexion suffisante sur le type d'individu qu'ils forment et sur leur capacité à répondre aux besoins de la société. Il affirme que cette interrogation renvoie directement aux finalités de l’éducation et donc à sa philosophie : « Quel type d’individu ces systèmes forment-ils et répondent-ils aux besoins de la société ? Une telle interrogation nous ramène directement aux finalités de l’éducation, c’est-à-dire à sa philosophie » (1995, p. 15). 

En outre, il met en évidence l'importance d'une meilleure répartition des investissements massifs dans le secteur éducatif. Cette gestion optimisée passe par l'amélioration des programmes, des méthodes pédagogiques et des activités en fonction d'objectifs clairs et structurants. 

Il insiste ainsi sur une « rénovation éducative » qui ne se limite pas à des réformes quantitatives, mais qui intègre des valeurs fondamentales comme l'émancipation intellectuelle et morale des étudiants, tout en adoptant des approches pédagogiques modernisées (Ibid., p. 16). Cette idée trouve un écho dans les travaux de Freire (1970) sur la « pédagogie des opprimés », qui prône une éducation émancipatrice capable de transformer les sociétés. 

Sur le plan sociétal, Dayem inscrit l'éducation dans une dynamique plus large, où elle constitue un levier essentiel de transformation sociale. Il relie la crise éducative à une crise plus globale du monde arabe, une crise qui découle des défis contemporains, où l'inadaptation des systèmes éducatifs empêche de former l’individu souhaité. Selon lui, toute philosophie éducative doit s'articuler avec les valeurs de la société arabe, afin de créer une cohérence entre éducation et développement (Ibid., p. 17). Ce raisonnement rejoint la pensée de Durkheim (1922) qui conçoit l'éducation comme un instrument de cohésion sociale permettant de structurer la société autour de valeurs partagées.  

Ce positionnement donne lieu à des approches divergentes. Certains considèrent que les systèmes éducatifs actuels sont le produit de l’importation de modèles étrangers et appellent à une nouvelle philosophie éducative authentique, débarrassée des vestiges du colonialisme » (Ibid.). D'autres préconisent un retour aux fondements de la pensée éducative arabe et islamique. Dayem, tout en reconnaissant ces perspectives, adopte une posture intermédiaire : il prône une philosophie éducative enracinée dans le patrimoine culturel arabe et islamique, mais ouverture aux évolutions pédagogiques contemporaines. 

 

2.2. Principes de la philosophie éducative de Dayem 

La philosophie éducative, telle que définie par Abdel Dayem, est « une application de la perspective et de l’approche philosophique sur l’éducation, basée sur notre compréhension générale du sens de son analyse et de sa critique, pour atteindre la cohérence et l’harmonie dans ses différentes étapes, ainsi qu’avec les autres institutions sociales, dans le but d’extraire ce qu’elle devrait être » (1991, p. 74). 

Influencée par la philosophie naturelle et sociale, Dayem affirme que la philosophie éducative doit être ancrée dans la « réalité éducative arabe » et illustrer ainsi « l’art du possible », afin d’éviter des « tentatives stériles » (Ibid., p. 64-65). Il expose ensuite les fondements scientifiques de l’éducation, incluant « les bases biologiques, sociales et psychologiques tout en soulignant l’importance de l’école dans la vie et la relation essentielle entre éducation et liberté » (1985, p. 2-4).  

En mettant en avant ces trois dimensions, Dayem rejoint certaines théories éducatives occidentales tout en s’en distinguant. Par exemple, Piaget (1950) et Vygotsky (1978) ont mis en évidence le rôle des structures biologiques et sociales dans l’apprentissage, respectivement à travers le constructivisme et la théorie socio-culturelle du développement. De leur côté, Bourdieu et Passeron (1970) ont montré comment l’éducation peut agir comme un mécanisme de reproduction sociale. Si ces approches mettent l’accent sur l’apprentissage individuel ou sur la reproduction des structures sociales existantes, Dayem tout en adoptant une approche nationaliste envisage plutôt l’éducation comme un levier de structuration collective, où la formation des citoyens est indissociable de la construction de la nation arabe. 

Il insiste sur l’importance d’une philosophie de l’éducation qui « guide le travail éducatif » et oriente son déroulement vers « la construction d’un être humain à travers un travail intégré et coordonné, aligné sur les besoins de l’individu et de la société » (1991, p. 20).  

Ainsi selon Dayem, la philosophie éducative constitue le fondement essentiel de tout développement éducatif. Il avertit qu’en l’absence d’une vision philosophique claire, « toute réforme éducative risque de s’égarer, dépourvue de son guide » (Ibid., p. 27). 

Dayem conçoit la philosophie de l’éducation comme un processus dynamique qui s’appuie sur le patrimoine arabe et islamique, tout en considérant « le passé, le présent et l’avenir comme un ensemble interconnecté » (1960, p. 45). Plutôt que de reproduire le passé, il prône son intégration critique au présent et son adaptation pour l’avenir (Ibid.). Cette philosophie encourage également la coopération avec les nations du monde, «sans adopter la désintégration comme principe », et vise à « renforcer le nationalisme arabe » (Ibid.). Elle met l’accent sur le renforcement d’une identité collective arabe tout en reconnaissant la diversité des contextes nationaux, une perspective également développée par Dakhli (2009). 

Dans cette optique, il identifie deux dimensions complémentaires de cette philosophie : « libérer les forces du don et de la créativité tout en croyant en la mission et l’avenir de la nation arabe, et mobiliser la volonté collective à travers la construction nationaliste » (1991, p. 297-298). Toutefois, la notion de nation arabe, telle que l’entend Dayem, ne renvoie pas à une unité politique homogène, mais à une conception culturelle fondée sur une langue, une histoire et des valeurs partagées. Cette approche transnationale, qui englobe les différents pays arabes tout en respectant leurs spécificités locales, s’inscrit dans une vision plus largement étudiée par Laurens (1999). 

 

3. Education et culture : entre enracinement et ouverture au monde 
3.1. De la crise culturelle arabo-islamique au dialogue interculturel  

Dayem explore la question de la culture et de sa relation avec l’éducation, affirmant que « repenser la construction culturelle est essentielle pour bâtir l’avenir du monde arabe » (1983, p. 12). Il met en lumière les caractéristiques marquantes de la culture dominante actuelle, mettant en évidence la division du monde entre les sphères politique, économique, sociale et culturelle, due à la mondialisation économique, à la globalisation des moyens de communication, aux transformations rapides des sociétés humaines induites par ces phénomènes, ainsi qu’à l’affaiblissement de l’État-nation et à la prédominance du marché sans intervention étatique. 

Il identifie les causes de cette crise, notamment « l’absence de modernisation » de cette culture malgré un patrimoine historique riche, « la difficulté à s’émanciper du poids du passé », et « la participation limitée du public » à sa modernisation (Ibid., p. 37). Il note également que « les tentatives de modernisation n’ont souvent pas été internes » et que la mondialisation a exacerbé cette crise « en menaçant la vie privée des peuples, en particulier du peuple arabo-islamique» (Ibid.).  

Dayem emploie l’expression « peuple arabo-islamique » comme s’il s’agissait d’une entité homogène et intemporelle, alors qu’Anderson rappelle que « la nation est une communauté politique imaginée – imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine » (1983. p. 6). Cela pose une question essentielle pour l’éducation : comment transmettre des valeurs communes dans un contexte où la diversité linguistique et historique du monde arabe joue un rôle fondamental dans la construction des systèmes éducatifs ? 

Il insiste sur la nécessité de préserver une culture auto-fondée, en soulignant que l’éducation doit jouer un rôle central dans ce renouvellement. Selon lui, une culture arabo-islamique moderne ne signifie pas un rejet des traditions, mais plutôt une intégration progressive des évolutions pédagogiques et scientifiques. L’orientaliste Maxime Rodinson affirme d’ailleurs que cette culture ne s’oppose en rien aux exigences du monde moderne (2004, p. 150). 

Toutefois, ce renouveau ne doit pas conduire à un repli sur soi, car « l’isolement conduit à la stagnation » (1981, p. 2). L’éducation doit ainsi éviter deux écueils : une ouverture excessive qui mènerait à une perte d’identité et un conservatisme rigide empêchant l’adaptation aux défis actuels. Dayem rejoint ici des penseurs tels que Morin (1999), qui considèrent que l’éducation doit favoriser un dialogue interculturel afin d’enrichir les modèles éducatifs et d’encourager une pensée critique ouverte aux différences.  

Dayem rappelle aussi que, tout au long de son histoire ancienne et moderne, la culture arabo-islamique « n’a jamais été hostile aux autres cultures » (2004, p. 150). Cette capacité à s’harmoniser avec d’autres traditions intellectuelles est un élément-clé pour repenser l’éducation : il ne s’agit pas seulement de préserver une identité culturelle, mais aussi d’exploiter cette ouverture pour intégrer de nouvelles méthodes d’apprentissage. Aujourd’hui, cette ouverture doit être structurée par des approches pédagogiques qui permettent aux étudiants de dialoguer avec des savoirs multiples, tout en consolidant un socle identitaire solide. 

En s’engageant dans « ce dialogue interculturel » (Ibid., p. 153), la culture arabo-islamique doit, selon l’auteur, jouer un rôle actif dans la civilisation mondiale et dans la résolution des défis contemporains. Cette contribution doit être fondée sur ses principes fondamentaux, notamment « la justice sociale, la solidarité et l’intérêt collectif » (Ibid., p.204) et « résonner avec des idéologies comme le socialisme qui valorise également la démocratie politique » (Ibid.). Il établit ainsi un parallèle avec les principes de Rawls (1971), montrant que la quête de justice et d’égalité à travers l’éducation transcende les cadres culturels et historiques. 

Dayem souligne que cette culture a toujours su concilier progrès matériel et moral (Ibid.), ce qui lui confère une légitimité dans le développement des modèles éducatifs futurs. Par sa contribution à la rationalité et à la recherche scientifique expérimentale, elle peut enrichir l’expérience éducative globale. Dans cette perspective, Dewey (1916, p. 65-70) insiste sur le fait que l’éducation doit être un moteur d’innovation sociale et culturelle, une perspective qui présente des similitudes avec celle de Dayem sur la nécessité d’un apprentissage évolutif, fondé à la fois sur l’identité culturelle et l’ouverture aux enjeux actuels. 

 

3.2. Repenser l’éducation et la culture dans la construction des valeurs humaines 

Dayem analyse l’impact de la mondialisation, de l’argent et de la technologie, qui ont façonné un nouvel ordre mondial en favorisant l’émergence d’une culture globale uniformisée, souvent au détriment des particularismes culturels. Ce phénomène a permis aux États-Unis de renforcer leur domination mondiale, exacerbant ainsi les inégalités et les tensions internationales. Il met en lumière « la crise des valeurs humaines » (1998, p. 110), où la quête du gain matériel et du succès occulte les principes éthiques fondamentaux. Il critique également « la superficialité de la démocratie, souvent réduite à un simple slogan » (Ibid.), qui devient subordonnée aux intérêts nationaux et internationaux. Cette situation a, selon lui, facilité la diffusion de la philosophie américaine, notamment le pragmatisme de William James.  

Cette réflexion s’intègre dans une critique plus vaste du modèle éducatif contemporain, qui privilégie l'adaptation aux exigences économiques et la quête du succès matériel. Dayem souligne que la diffusion du pragmatisme dans la pensée éducative mondiale a parfois conduit à une instrumentalisation de l'éducation au profit des intérêts du marché, occultant ainsi les valeurs humaines essentielles. Il met en avant la nécessité de repenser l'éducation afin de restaurer un équilibre entre progrès technologique et principes éthiques fondamentaux, en opposition à une approche purement utilitariste qui réduit la formation intellectuelle à sa seule rentabilité économique. Dans cette perspective, il propose une éducation qui intègre les valeurs culturelles et humanistes afin de répondre aux défis contemporains tout en conservant un ancrage éthique et social. 

Dayem souligne les paradoxes de la mondialisation : bien qu’elle rapproche les peuples, elle menace l’environnement, la diversité culturelle et l’humanité elle-même. La domination technologique, bien qu’elle soit synonyme de progrès, présente aussi des risques pour l’équilibre global. Il critique la tendance à « l’uniformisation culturelle », combinée à « une conception de la réussite fondée sur la richesse et le pouvoir », qui, selon lui, dans une « logique de darwinisme social qui accentue les disparités économiques et sociales, en particulier entre les nations développées et celles en développement » (Ibid., p. 60-61).  

Dans ce contexte, Dayem s’appuie sur les débats philosophiques contemporains. Il cite Habermas (1987), pour qui « le dialogue » est une valeur éthique centrale à l’ère de la science et de la technologie (Ibid., p. 228), et Jonas (1992), qui met en avant « la responsabilité » comme principe fondamental (Ibid.). Pour Dayem, ces valeurs trouvent leurs racines dans le patrimoine arabo-islamique, où « la solidarité et la coopération ont toujours été des piliers essentiels de la vie en société » depuis l’avènement de l’Islam (Ibid., p. 229). 

Or, comment l’éducation peut-elle préserver ces valeurs face aux défis contemporains ? L’auteur insiste sur la nécessité de « repenser le rôle de l’éducation dans la construction des valeurs humaines » (Ibid., p. 235). Pour lui, les valeurs sont un « enjeu à la fois philosophique, moral et pratique complexe » (Ibid., p. 253). Leur définition et leur renouvellement sont essentiels pour guider l’individu et la société. 

Il explore ainsi différentes perspectives éthiques, mentionnant Kant, qui percevait la morale comme « une délimitation des intérêts individuels » et affirmait que la morale est avant tout « un devoir » (Ibid., p. 254). Selon Kant, l’homme possède « une conscience qui transcende l’intérêt personnel et révèle son humanité », en orientant son existence vers autrui. À l’opposé, Max Weber défendait l’idée que « les intérêts objectifs et existentiels dominent chez l’homme » (Ibid.), représentant une autre approche de la morale et de l’éthique.  

Cependant, pour Dayem, ces réflexions, bien que pertinentes, « ne s’attaquent pas aux réalités du monde moderne ni à la source du mal qui prédomine dans notre société humaine » (Ibid.). En effet, il critique Kant pour son approche universaliste de la morale, fondée sur le devoir et la raison pure, qu’il juge abstraite pour répondre aux défis concrets d’un monde dominé par la logique économique et les rapports de force internationaux. De même, il considère que la vision de Weber, qui met l’accent sur la domination des intérêts économiques et existentiels, ne remet pas en question les fondements structurels des inégalités et des dérives contemporaines. Pour dépasser ces limites, Dayem propose une réconciliation entre progrès scientifique et éthique humaniste, où l’éducation joue un rôle central.  

Dans cette perspective, il défend une approche novatrice de l’éducation. Elle ne doit pas seulement inculquer des valeurs, mais encourager une réflexion critique et créative sur celles-ci. Il prône une formation qui permette aux individus de questionner, enrichir et défendre les valeurs qu’ils adoptent (1998, p. 58). Il met en avant l’importance d’une « formation critique et créative », qui transforme « le doute en certitude » et permet de « comprendre l’univers de manière relative » (Ibid., p. 97). Cette quête de connaissance et de vérité est, selon lui, au cœur d’une éducation capable de remédier au déclin des valeurs humaines. 

En somme, la construction d’une nouvelle civilisation humaine nécessite la constitution de l’être humain dans une structure où les valeurs morales occupent une place centrale. Dayem insiste sur la nécessité de développer la capacité de l’homme à penser différemment et à surmonter les obstacles dans « un monde troublé et anxieux » (Ibid., p. 19). 

Pour approfondir cette vision, Dayem s’inspire de la philosophie de Bergson, notamment de sa théorie de l’éthique et de la religion, appliquée aux réalités politiques et aux défis du progrès humain. Il propose d’éveiller « l’élan vital, une force qui élève l’humanité vers des valeurs authentiques » (1959a, p. 4). Cet « élan vital » doit équilibrer deux aspects : « l’un qui pousse l’homme vers la connaissance, souvent motivé par des instincts de domination et de recherche de bien-être matériel, et l’autre qui oriente cette connaissance au service de l’humanité, de ses valeurs et de ses besoins » (Ibid.). 

Dayem adapte cette notion en soulignant que le progrès humain doit être guidé par une conscience éthique, évitant ainsi que les avancées technologiques ne deviennent destructrices. Cette vision, fortement influencée par Bergson, prône un développement intellectuel harmonisé avec des valeurs morales pour répondre aux défis contemporains tout en respectant les fondements éthiques de l’humanité. 

En conclusion, Dayem avertit que l’absence de valeurs humaines entraîne le monde vers un « suicide collectif » (Ibid., p. 146), touchant aussi bien les nations avancées que celles en développement. Il plaide pour une éducation qui ne soit pas simplement un outil d’adaptation économique, mais une force de transformation sociale et morale, capable de restaurer un équilibre entre progrès et humanisme. 

 

4. L’éducation dans la pensée nationaliste de Dayem 

 

Pour Dayem, l’éducation et le nationalisme arabe sont indissociables. Il n’existe pas de rupture entre ses écrits nationalistes et éducatifs, car la question nationaliste de l’arabisme est une partie intégrante de « l’éducation nationale, politique, culturelle et sociale » (1962, p. 2). Il propose une vision d’une entité arabe unie, libre, juste et progressiste, fondée sur une unité politique, économique, sociale et culturelle. Dans son ouvrage majeur, Les Travaux nationalistes 1957-1965 (2002), il relie l’unité arabe à des concepts tels que l’humanisme, la démocratie et la mondialisation. Cette perspective s’inscrit dans un débat plus large sur le panarabisme, où des divergences idéologiques et politiques ont souvent entravé cette aspiration. 

Il anticipe les défis auxquels le nationalisme arabe est confronté, notamment les menaces externes. Selon lui, le sionisme constitue « un projet visant à détruire cette unité en imposant Israël en Palestine » (1998, p. 48). Dayem souligne que le sionisme a saisi dès le début l’importance du lien nationaliste, s’attaquant ainsi directement à la fragmentation de la nation arabe. Pour contrer cette menace, il propose une éducation axée sur deux valeurs fondamentales : la foi en la science et la technologie d’une part, et la stimulation d’une volonté d’action nationale commune d’autre part. Selon lui, ces éléments sont essentiels pour mobiliser la jeunesse arabe face aux forces qui cherchent à diviser la région. Ce constat met en lumière le rôle central que l’éducation doit jouer dans la renaissance sociale et culturelle, qui repose largement sur « la conscience intellectuelle » (1959a, p. 82)  

Il souligne que « la connaissance scientifique ne peut être séparée de la conscience sociale » (1961, p. 6). Cette approche ne se limite pas à une simple accumulation de savoirs, mais implique une capacité critique et analytique permettant aux individus de comprendre et d’agir sur leur environnement sociopolitique, rejoignant ainsi les réflexions de Gramsci (1971, p. 325-328) sur l’intellectuel organique, selon lequel l’éducation doit former des citoyens capables de transformer leur société.  

Il prône également l’intégration des cheikhs, qu’il décrit comme les « porteurs de la mémoire sociale » (1962, p. 5), dans ce processus éducatif. Dans le contexte arabo-islamique, un cheikh est un érudit ou une figure d'autorité religieuse jouant un rôle-clé dans la transmission du savoir traditionnel, tandis qu’un imam est un guide spirituel qui dirige la prière et enseigne les préceptes religieux. Reconnaissant leur rôle central, Dayem insiste sur leur contribution à la préservation du patrimoine culturel. Selon lui, leur expérience est essentielle pour assurer la continuité des traditions et maintenir un lien solide avec l’héritage authentique. Ainsi, au-delà d’un simple outil de communication, la langue arabe classique devient un véritable symbole vivant de la culture et de l’héritage arabe. L’auteur préconise ainsi une éducation qui s’efforce de cultiver cette langue tout en l’adaptant aux défis contemporains, sans pour autant la dénaturer. 

Par ailleurs, Dayem insiste sur la nécessité pour l’éducation nationaliste d’inculquer aux jeunes une vision éclairée du passé (1961, p. 6), une idée qui trouve un écho dans les réflexions ultérieures de Hobsbawm (1983) sur la manière dont les nations construisent une mémoire historique sélective pour renforcer leur cohésion identitaire. Il insiste également sur le fait que l’identité individuelle est intimement liée à l’histoire et à l’héritage de sa nation, affirmant que « la compréhension de l’histoire est essentielle pour une meilleure connaissance de soi » (1961, p. 6). Cependant, il met en garde contre « la glorification aveugle du passé » et plaide pour « une conscience scientifique » (Ibid.), qui permettrait aux jeunes d’appréhender l’histoire dans une perspective critique et analytique, plutôt que comme un récit figé et idéalisé.  

Toutefois, bien que la pensée de Dayem offre une vision ambitieuse du rôle de l’éducation dans la construction du nationalisme arabe, certaines limites méritent d’être discutées. L’idéal d’unité arabe qu’il défend se heurte à des réalités politiques et sociales complexes, où les divisions internes et les identités plurielles rendent difficile l’application de son modèle éducatif. De plus, en plaçant l’éducation au cœur de la mobilisation nationale, il court le risque d’une instrumentalisation idéologique, où l’identité collective pourrait prendre le pas sur l’esprit critique et l’ouverture aux savoirs universels et à la diversité culturelle. Ainsi, une éducation valorisant exclusivement une identité nationale arabe pourrait être perçue comme une limitation, plutôt que comme un outil d’émancipation et d’adaptation au monde contemporain. 

 

5. Renouveau éducatif et perspectives pour l’éducation arabe 

 

5.1. Évolution et caractéristiques de l’éducation arabe 

 

Au XVIe siècle, l’éducation avait pour objectif principal la libération de l’esprit et la formation complète de l’individu, avec un accent sur la santé physique et mentale, la libération de la raison de ses contraintes et le développement des facultés morales. Le XVIIe siècle a vu l’émergence de philosophes et d’éducateurs novateurs, favorisant la diffusion d’idées nouvelles et marquant une étape clé dans l’évolution de la pensée éducative arabe. Au XVIIIe siècle, une tendance critique et réformatrice s’est développée, plaçant l’éducation au cœur de la formation d’une conscience nationaliste et d’un humanisme naissant. Cependant, au XIXe siècle, l’éducation dans le monde arabe a souffert d’un manque de coordination et d’organisation, ce qui a entravé la mise en place d’une réforme systématique (1959b, p. 97, 153, 190 et 291). 

Dans l’époque contemporaine, s'étendant du début du XXe siècle jusqu’à nos jours, Dayem (2000, p. 76-79) identifie plusieurs principes fondamentaux qui devraient guider l’éducation arabe pour répondre aux exigences de la modernité. Il insiste sur la nécessité d’une approche flexible et évolutive, appelant à une diversification des politiques d’admission et des spécialisations afin d’adapter l’éducation aux transformations socio-économiques. Il met également en avant l’importance de la solidarité entre les disciplines, affirmant que l’interaction entre les savoirs est essentielle pour éviter un cloisonnement excessif des connaissances et favoriser une compréhension globale du monde. L’éducation ne saurait être efficace sans des infrastructures modernes et adaptées aux besoins actuels. Dayem insiste ainsi sur la modernisation des institutions éducatives, qui doivent intégrer les avancées technologiques et adopter des méthodes pédagogiques innovantes.  

Un autre aspect central de sa pensée est l’éducation continue, qu’il conçoit comme un processus devant s’étendre sur toute la durée de la vie. Cette vision dépasse les murs de l’école, inscrivant l’éducation comme un vecteur de développement non seulement pour l’individu, mais pour la société dans son ensemble. Il développe ainsi l’idée d’une « société apprenante », dans laquelle la formation ne se limite pas aux structures scolaires et universitaires, mais englobe un apprentissage permanent, accessible à tous et intégré à la vie quotidienne (1991, p. 102). Cette vision rejoint celle de Delors (1996, p. 17), qui considère l’éducation tout au long de la vie comme un pilier du développement humain. Dayem met également l’accent sur la nécessité de former des individus capables de répondre aux exigences du monde contemporain. Il valorise l’esprit critique, la responsabilité individuelle et collective, ainsi que la coopération et l’indépendance intellectuelle (2000, p. 76-79).  

En articulant tradition et modernité, la vision éducative de Dayem dépasse la simple transmission des connaissances pour proposer une approche dynamique, centrée sur l’émancipation de la pensée et l’adaptation aux défis contemporains. Il défend une éducation qui ne soit ni figée dans un passé idéalisé, ni totalement dissociée des réalités historiques et culturelles du monde arabe. Son modèle éducatif repose sur une interaction constante entre enracinement identitaire et ouverture aux innovations intellectuelles, permettant ainsi de former des individus capables de comprendre leur héritage tout en s’engageant pleinement dans la construction du futur. 

 

5.2. Planification et stratégie de développement de l’éducation arabe  

Dans La Planification éducative (1997), Dayem souligne l’importance d’une politique éducative bien pensée, qu’il définit comme une « vision complète et intégrée des problèmes éducatifs » (1997, p. 3). Son approche repose sur une conception systémique, où les dimensions sociales, économiques et culturelles sont indissociables. La planification éducative, selon lui, ne saurait se limiter à une simple organisation des ressources ; elle doit s’appuyer sur « une compréhension globale des réalités démographiques, de la main-d’œuvre et des conditions socio-économiques du pays » (Ibid., p. 7). Cette perspective s’inscrit dans la continuité des travaux de Coombs (1968), qui insistent sur l’adaptation des systèmes éducatifs aux contextes économiques et sociaux pour garantir leur efficacité.  

Bien que Dayem critique le néolibéralisme et certaines formes de pragmatisme, il insiste sur la nécessité d’un lien entre l’éducation et les réalités économiques. Il prône une intégration des diplômés au marché du travail, tout en préservant les valeurs humanistes et identitaires du système éducatif. Cette approche cherche un équilibre entre formation intellectuelle et besoins concrets de la société, tout en évitant une marchandisation de l’éducation.  

Dans cette logique, la planification éducative est, pour Dayem, bien plus qu’un simple exercice technique ; il la considère comme un « outil stratégique » au service du développement global de la société (1998, p. 104). Il insiste sur le fait que tout planificateur éducatif doit « s’enraciner dans la philosophie sociale et politique de son pays » (Ibid., p. 102), maîtriser les dynamiques du système éducatif et « s’appuyer sur des données statistiques fiables » (Ibid., p.104). 

Se référant au Rapport de développement de l’éducation arabe de 1979, Dayem met en lumière les défis majeurs auxquels fait face l’éducation dans le monde arabe. Il identifie des problématiques fondamentales telles que la définition d’une philosophie éducative claire, la structuration des objectifs pédagogiques, l’optimisation des dépenses, la lutte contre l’analphabétisme et l’amélioration de l’enseignement obligatoire et secondaire. Il insiste sur la nécessité d’une meilleure intégration entre éducation et culture, ainsi que sur l’importance d’adapter les formations aux besoins réels du marché du travail (1995, p. 95). Cette vision traduit une approche holistique, où chaque composante du système éducatif s’inscrit dans un projet global de société, visant à relever les défis structurels tout en prenant en compte des enjeux plus profonds liés à la culture et aux objectifs éducatifs. 

Dans Révision de la stratégie de développement de l’éducation arabe, Dayem propose de nouveaux fondements éducatifs pour garantir une éducation efficace et durable (Ibid., p. 8). Face à la crise éducative, il défend une optimisation des ressources, une amélioration de l’efficacité du système et l’intégration de nouvelles formes d’éducation, telles que l’usage des technologies éducatives (1976, p. 69) et l’auto-gestion des structures pédagogiques (1981, p. 183). Ces principes s’inscrivent dans les réflexions contemporaines sur l’innovation pédagogique, notamment celles de Fullan (2007), qui plaide pour l’intégration des nouvelles technologies dans les pratiques d’apprentissage. 

Enfin, Dayem insiste sur l’importance de la coopération nationale et régionale comme levier stratégique pour la réussite des réformes éducatives. Il met en avant le rôle clé de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO) dans la coordination des efforts à l’échelle régionale, prônant un renforcement des interactions entre les institutions éducatives des différents pays arabes. Selon lui, une communication efficace et une collaboration structurée entre les acteurs éducatifs nationaux et régionaux sont essentielles pour assurer le succès des stratégies éducatives (1995, p. 29).  

Ainsi, la philosophie éducative de Dayem dépasse le cadre strict de l’enseignement pour s’inscrire dans une vision globale et intégrative, où l’éducation est un vecteur de développement durable, de cohésion sociale et de modernisation culturelle. 

 

Conclusion 

En conclusion, l’interaction entre authenticité et contemporanéité dans la pensée éducative d’Abdel Dayem ne se limite pas à un cadre théorique, mais se manifeste aussi dans son propre parcours intellectuel. Cette articulation a été illustrée par Dayem lui-même lors d’une cérémonie en son honneur, le 24 avril 2003. Il a exposé cette vision en évoquant le parcours d’une génération d’intellectuels arabes qui, comme lui, ont cherché à accomplir deux objectifs complémentaires : d’une part, une quête d’enrichissement culturel à travers l’héritage arabe et islamique ainsi que les diverses sciences, littératures et arts occidentaux, anciens et modernes ; et d’autre part, un engagement profond envers les préoccupations sociétales et nationales arabes, s’efforçant par la pensée et l’action de surmonter le retard pour bâtir une nation arabe unifiée, moderne et intégrée, enrichissant par ses contributions la nation arabe ainsi que toutes les autres nations du monde. 

La philosophie éducative d’Abdel Dayem propose une voie précieuse pour harmoniser authenticité et contemporanéité dans le monde arabe, face aux crises et défis mondiaux. Cette démarche ne se réduit pas à une simple adaptation aux exigences de la modernité, mais constitue une réconciliation profonde entre le patrimoine culturel arabo-islamique et les impératifs des transformations mondiales. L’éducation, perçue comme un vecteur central de changement, y occupe une place fondamentale, tant dans le développement individuel que social. Elle doit jouer un rôle de pionnier et revêtir une dimension large et polyvalente, intégralement imprégnée de la philosophie éducative » (1988, p. 171). 

Après une analyse approfondie de la réalité de l’éducation arabe et de ses problèmes structurels, Dayem a développé sa vision dans le cadre d’un nationalisme déterminé, soulignant l’importance d’une planification éducative rigoureuse et scientifique. Il plaide pour un développement arabe qui s’appuie sur les avancées scientifiques et technologiques ainsi que sur l’anticipation des besoins futurs. Sa réflexion ne se limite pas à un cadre national, il prône une collaboration étroite entre les pays arabes pour élaborer une philosophie éducative commune, axée sur le renouveau et l’innovation. 

En intégrant à la fois des aspects doctrinaux et éducatifs, Abdel Dayem cherchait à allier la dimension théorique à l’application pratique dans la construction d’une société résiliente et culturellement enracinée. L’objectif central de cette vision éducative est de former des individus non seulement dotés de connaissances scientifiques et de valeurs morales, mais aussi capables d’explorer, de critiquer et de reconstruire ces valeurs pour contribuer à l’édification d’une nouvelle civilisation humaine, en mesure de remédier au déclin humanitaire mondial. 

 

Références  

(Tous les ouvrages d’Abdel Dayem sont en langue arabe)  

 

Abdel Dayem, A. (2004). Penseurs honorés. Union des écrivains arabes. 

Abdel Dayem, A. (2002). Les Travaux nationalistes 1957-1965. La Maison Arabe d’Études et de Publication. 

Abdel Dayem, A. (2000). « Rôle de l’enseignement supérieur privé dans le renouvellement de l’enseignement supérieur ». Deuxième conférence éducative : Privatisation de l’enseignement supérieur et universitaire. Mascate. 

Abdel Dayem, A. (1998). Rôle de l’éducation et de la culture dans la construction d’une nouvelle civilisation humaine. Dar Al-Tali’ah. 

Abdel Dayem, A. (1997). La Planification éducative, ses principes, ses méthodes techniques et ses applications dans les pays arabes (9e éd.). Dar Al Ilm Lil Malayin. 

Abdel Dayem, A. (1995). Révision de la stratégie de développement de l’éducation arabe. Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences. 

Abdel Dayem, A. (1991). Vers une philosophie éducative arabe. Centre d’études de l’unité arabe. 

Abdel Dayem, A. (1988). L’Éducation et l’action arabe commune. Dar Al Ilm Lil Malayin. 

Abdel Dayem, A. (1985). L’Éducation générale (5e éd., trad. de René Hubert). Dar Al-Ilm Lil-Malayin. 

Abdel Dayem, A. (1983). Pour une culture arabe auto-fondée. Dar Al Adab. 

Abdel Dayem, A. (1981). La Révolution technologique dans l’éducation arabe. Dar Al Ilm Lil Malayin. 

Abdel Dayem, A. (1976). La Technologie dans le développement éducatif arabe. Al-Risala Al-Tarbawiya. 

Abdel Dayem, A. (1962). Socialisme et démocratie. Dar Al Adab. 

Abdel Dayem, A. (1961). La Nouvelle Génération arabe. Dar Al Ilm Lil Malayin. 

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Al-Sharif, M. A., Al-Bassam, A. A., & Afifi, M. H. (1979). Stratégie de développement de l'éducation arabe : rapport du comité chargé de l'élaboration d'une stratégie pour le développement de l'éducation dans les pays arabes. Organisation arabe pour l'éducation, la culture et les sciences. 

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Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292