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samedi 1er mars 2025

Pour citer ce texte : NURSIAH, D. (2025). Durkheim une philosophie de l’éducation pour l’île Maurice ? sur la notion d’évolution pédagogique appliquée à un contexte non français Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 5 ,
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-2024/dossier-partie-3-quel-canon-pour-la-philosophie-de-l-education/article/durkheim-une-philosophie-de-l-education-pour-l-ile-maurice-sur-la-notion-d]

Durkheim une philosophie de l’éducation pour l’île Maurice ? 
sur la notion d’évolution pédagogique appliquée à un contexte non français 

 

Daramraj Nursiah,  
Doctorant à l’Université de Lille (STL) 

 

Résumé :  Cet article se saisit du contexte postcolonial et multiculturel de l’Île Maurice pour interroger son évolution pédagogique au moyen de la philosophie durkheimienne de l’éducation. Pourquoi Durkheim ? Précisément parce que les concepts qu’il a mobilisés dans un cadre français, il y a un siècle, peuvent être réinvestis dans un autre cadre géographique, plus contemporain également. Ainsi, nous examinons la présence ou non d’une culture commune des professeurs, laquelle demeure l’âme du corps enseignant, à Maurice comme en France.  Nous envisageons ensuite la place de l’éducation morale et civique dans un programme d’études dominé par un certain académisme et où une conscience nationale peine à apparaître.  Finalement, nous reprenons le concept-clef d’évolution pédagogique pour voir son application à l’éducation mauricienne, depuis les premières colonisations européennes jusqu’à l’ère postindépendance. La pensée durkheimienne se montre ainsi encore actuelle pour analyser l’éducation mauricienne. 

 

Mots-clés : philosophie durkheimienne de l’éducation, évolution pédagogique à l’île Maurice, Éducation Civique et Morale,   

 

Abstract : This article takes up the postcolonial and multicultural context of Mauritius to question its pedagogical evolution by means of Durkheim's philosophy of education. Why Durkheim? Precisely because the concepts he mobilised in a French context, a century ago, can be reinvested in another, more contemporary geographical framework. Thus, I examine the presence or absence of a common culture of teachers, which remains the soul of the teaching body, in Mauritius as in France. I then consider the place of moral and civic education in a curriculum dominated by a certain academicism and where a national consciousness struggles to appear. Finally, I take up the key concept of pedagogical evolution to see its application to Mauritian education, from the first European colonisations to the post-independence era. Durkheimian thought is thus still relevant to the analysis of Mauritian education. 

 

 

Keywords : Durkheimian philosophy of education, pedagogical evolution in Mauritius, Civic and Moral Education. 

 

 

 

 

 

Il va de soi que Durkheim est l’un des philosophes républicains les plus connus en France, et l’une des figures tutélaires de la réflexion sur l’éducation1 . Si cet intérêt hexagonal est bien naturel, j’aimerais essayer de réfléchir à la manière dont la notion d’évolution pédagogique, telle que Durkheim l’a formulée pour le système éducatif français du début du 20e siècle, peut également s’appliquer au système mauricien actuel. Qu’il n’y ait pas de travaux essayant de questionner le profit qu’on pourrait tirer de sa pensée pédagogique pour l’Île Maurice peut se comprendre. Mais je pense, en tant que Mauricien rédigeant une thèse en France2 , que la spécificité du système éducatif national peut également être saisie, moyennant certains ajustements, grâce à la philosophie durkheimienne de l’éducation, notamment grâce au concept d’évolution pédagogique. Je vais ainsi discuter avec la référence française qu’est Durkheim pour voir ce qui peut être fécond dans un autre contexte, postcolonial et multiculturel. 

 

1. Le déficit de culture commune chez les enseignants et le public scolarisé 

 

1.1. Pas de cours de pédagogie générale donnant un idéal commun aux enseignants 

 

L’histoire de l’éducation semble être méconnue de l’ensemble du corps enseignant de l’Île Maurice. Il n’existe aucune publication officielle offrant un point de vue large et accessible aux professeurs de ce qu’a été l’éducation mauricienne sur le long terme. Même si, dans les archives, il est possible de trouver des rapports sur l’évolution de l’enseignement à l’ère des colonisations hollandaise, française et anglaise, les ouvrages des auteurs mauriciens tels que le docteur Jimmy Harmon, Malcolm de Chazal et Marcel Cabon3 nous éclairent plutôt sur le système éducatif des années de la postindépendance. L’imposant travail de recherche doctorale de Louis Augustin en 1985 portait sur « L’enseignement à l’Île Maurice des origines à la guerre mondiale, 1598-1914 »4 , et n’allait pas jusqu’à l’époque actuelle. Même si cette thèse constitue la meilleure source historique sur l’évolution pédagogique à l’Île Maurice, elle se limite à l’ère coloniale ; elle a, quoi qu’il en soit, le mérite de signaler l’existence de germes durables pour l’éducation, notamment dans l’éducation religieuse à l’époque moderne (16e-18e siècles). 

Moi-même, j’ai été formé en 1978 à l’École normale de Beau-Bassin (Teachers Training Centre, devenu Mauritius College of Education puis Mauritius Institute of Education) pendant une année, avant de travailler dans l’enseignement primaire. J’y ai reçu des enseignements en arts manuels et en musique (arts and crafts), en plus d’une instruction dans les matières fondamentales (core subjects), mais je n’ai pas reçu de formation en philosophie de l’éducation ni en pédagogie générale. Avant moi comme après moi, il en est allé de même dans la formation des enseignants. Si les méthodes d’enseignement (teaching methods) étaient abordées et si la psychologie de l’enfant était enseignée, nous ne recevions pas, en tant que stagiaires, d’information sur ce qu’aurait pu être une réflexion historique et philosophique comme celle de Durkheim, laquelle inclut également un volet moral5 . 

Ainsi, je peux reprendre aisément à mon compte le jugement qui se trouve dans LÉvolution pédagogique en France, et par lequel Durkheim montre la présence d’un inconscient dans la mentalité enseignante : 

 

« en chacun de nous, suivant des proportions variables, il y a de l’homme d’hier ; et c’est même l’homme d’hier qui, par la force des choses, est prédominant en nous, puisque le présent n’est que bien peu de chose comparé à ce long passé au cours duquel nous nous sommes formés et d’où nous résultons. Seulement, cet homme du passé nous ne le sentons pas » (Durkheim, 2014, p. 18-19). 

 

À l’époque de ma formation, il n’y avait pas, comme je l’ai mentionné, de cours retraçant l’évolution pédagogique à l’Île Maurice, ce qui montre à quel point certaines institutions, du temps de la colonisation ou dans un des derniers Education Acts de l’époque coloniale (1957)6 , continuaient de déterminer l’identité enseignante. La formation des maîtres, aujourd’hui comme hier, est principalement axée sur les outils pédagogiques et les méthodes d’enseignement. Un cours d’ensemble donnant au corps enseignant une « foi pédagogique », laquelle est l’âme d’un système éducatif, continue de faire défaut. 

 

1.2. Donner une foi nouvelle au corps enseignant pour sortir d’une crise de l’école  

 

François Dubet (2014) rappelle dans son introduction à L’Évolution pédagogique en France que Durkheim avait voulu donner un enseignement de pédagogie générale pour éloigner l’école du sentiment de crise qui l’emportait alors.  

 

« C’est au prix d’une réflexion pédagogique que l’école peut s’éloigner du sentiment de crise endémique qui l’emporte. […] La crise dont il est question en 1904 est celle de la vieille foi dans les vertus des lettres classiques comme socle de la formation des lycéens. Le rôle de la pédagogie est alors de fonder une ‘‘foi nouvelle’’ dans l’école »  

(Dubet dans Durkheim, 2014, p. vii). 

 

Le philosophe souhaitait contribuer à l’élaboration de cette foi nouvelle en permettant aux professionnels de l’éducation de prendre conscience de l’histoire qu’ils continuaient de porter en eux sans le savoir. Rappeler aux enseignants que le cours historique de l’école, sur le temps long, possède une certaine inertie7 , et que la crise n’est jamais qu’un moment anormal comparé à la trajectoire multiséculaire. 

L’Île Maurice connaît-elle en ce moment une situation critique ? Une urgence à changer radicalement de système ne se fait pas sentir, même s’il y a eu depuis l’indépendance (1968) des démarches pour réviser l’école à travers des réformes successives. Il s’agissait de délaisser l’économie de la monoculture basée sur l’agriculture, pour passer à l’industrialisation. Il était également question de donner un accès gratuit à l’éducation secondaire à tous les enfants mauriciens, surtout aux filles. À l’ère de la technologie, de la digitalisation et maintenant de l’Intelligence Artificielle, il y a eu une introduction récente de l’enseignement de l’informatique. Joint à un accent mis sur le « Travel & Tourism - Voyage & Tourisme », cet enseignement vise à assurer une certaine compétitivité au pays. La tendance à la réussite économique continue de se faire sentir. 

 

1.3. Pas plus de culture commune enseignante que de culture d’ensemble pour les étudiants 

 

L’accent mis sur les compétences économiquement utiles est ainsi manifeste dans les dernières réformes en date. Le système éducatif à l’Île Maurice, depuis l’époque où il était réservé aux élites étrangères et locales assimilées, s’axe nettement sur la réussite académique. Ce fait, à l’heure actuelle, se manifeste dans la tendance qu’ont les enseignants et les parents à avoir recours à des cours payants après les heures de classe. Ces « leçons particulières » (private tuitions) s’inscrivent également dans un but lucratif. Le poids du marché des cours privés est tel que la question d’une formation pédagogique globale, non immédiatement efficace pour faire acquérir aux élèves des compétences jugées socialement ou professionnellement utiles, n’est pas de celles que les enseignants se posent aisément. Et cela a des conséquences en termes d’absence de formation globale de la personne : l’éducation civique et morale demeure un point négligé, voire absent, dans le primaire comme le secondaire8 . 

Selon Durkheim, l’objectif de l’école était de faire des enfants des hommes intégraux, des personnes en lien avec leur environnement naturel, social et moral ; il s’agissait d’enseigner « l’homme et la nature », sans abandonner complètement la formation de l’esprit logique par les langues. Part belle était faite à l’éducation la plus moderne, par les choses et la connaissance historique et sociale. 

 

« Mais, si c’est grâce au langage que la distinction et l’organisation logique se sont introduites dans l’esprit, l’étude des langues est évidemment le meilleur moyen d’habituer l’enfant à distinguer et à organiser logiquement les idées. » (Durkheim, 2014, p. 395) 

 

Quelque chose de ce type a existé à l’Île Maurice dès l’origine, lorsque l’École – réservée aux élites – était entre les mains de religieux, catholiques ou protestants. Cet état de fait a même perduré jusqu’à aujourd’hui, notamment dans les écoles privées, même si, de plus en plus, l’orientation académique, donc compétitive, prend le dessus. Les autres objectifs prioritaires, tels les cultures humaines, l’histoire, les réalisations, les modes de vie, les comportements individuels et sociaux des diverses communautés mauriciennes, sont ainsi passés au second plan. Bien que l’école placée sous le contrôle de l’État opère dans un encadrement qui pourrait, en soi, être propice au développement des enfants du point de vue personnel et social, il n’y pas de socle de savoir pour former des citoyens responsables tant la réussite académique est prioritaire. 

Certes, des mesures sont prises à travers diverses réformes pour remédier à la situation, mais très souvent elles restent lettre morte. Des programmes parascolaires et périscolaires sont mis en place et sont très vite abandonnés par manque de volonté et par absence d’intérêt des enseignants et des parents. La dernière réforme du système éducatif en 2017 préconise un programme d’étude pour développer les « Life skills » (« les aptitudes à la vie quotidienne ») des enfants durant les trois premières années de leur parcours scolaire au secondaire. Mais une pédagogie structurée, de même qu’une philosophie d’enseignement, font défaut. 

 

2. Construire une éducation morale et civique dans un contexte multiculturel 

 

2.1. La « vitesse acquise »9 des institutions scolaires mauriciennes 

 

Ainsi que nous venons de l’indiquer, une certaine inertie du système éducatif mauricien se fait jour en termes d’éducation morale. Même si les compétences utiles à la réussite économique ont pris un poids important depuis les années 1980, dans un contexte où il fallait sortir de la pauvreté et devenir une nation moderne, des impulsions données à l’origine continuent de se manifester. 

Les Églises, surtout l’Église catholique, furent motrices dans l’éducation des enfants mauriciens, celle des descendants des esclaves et des travailleurs engagés pour les remplacer après l’abolition (1835). Les œuvres du Bienheureux Jacques Désiré Laval, prête catholique, et du Révérend Jean Lebrun, prête protestant, dans le domaine éducatif au sein de la population ouvrière ont grandement influencé le parcours scolaire des enfants. L’objectif primaire était la conversion à la fois chrétienne, et beaucoup de familles hindoues, particulièrement des tamoules, se sont converties, l’éducation scolaire étant « une affaire de foi »10 . L’Église, du temps de la colonisation, s’occupait ainsi de l’éducation des enfants pauvres, et elle a continué, ensuite, à exister aux côtés de l’éducation formelle, dite académique, mise en place et gérée par l’État. 

La nationalisation des institutions scolaires sous la colonisation anglaise et l’officialisation du système éducatif à travers l’Education Act de 1957 ont réduit les marges de manœuvre des Églises, catholiques, protestantes ou hindoues. À ce jour, au travers du ministère de l’Éducation nationale, le système éducatif mauricien est sous le contrôle de l’État : financement, programmes d’études, réformes, formation et examens de fin des cycles scolaires. Cependant, on peut parler d’une cohabitation des institutions confessionnelles (catholiques, hindoues et islamiques) et aussi des institutions privées avec le service public d’éducation ; il y a consultation et collaboration entre le ministère de l’éducation et l’Église catholiques et les groupes socioculturels. Par exemple, le Service Diocésain de l’Éducation Catholique (SeDEC) agit en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale pour définir la vision de l’éducation selon la Charte de l’école catholique. 

 

2.2. Les difficultés d’une conscience nationale commune à l’Île Maurice 

 

La question qui se pose à l’Île Maurice n’est donc pas tant d’introduire une éducation civique et morale que d’unifier les diverses manifestations de cette éducation. Durkheim lui-même, comme le mentionne Marcel Fournier, son neveu et biographe, a ressenti le besoin qu’avait son pays de procéder à une intégration de ses différents groupes religieux11 . L’Île Maurice, nation arc-en-ciel, doit inventer une façon de faire peuple qui ne soit pas celle de la laïcité française, les Anglais ayant remplacé les Français au tout début du 19e siècle (1810). 

De par leur appartenance à des cultures et des groupes ethniques distincts, tout indiquait une non-intégration des musulmans, des Créoles et des Chinois au sein du peuple jusqu’à l’aube de l’indépendance de l’Île en 1968. Mais c’est sous le slogan « Unité dans la Diversité » que l’indépendance eut lieu12 . Au vu de leur origine extra-insulaire commune, les différents « peuples" auraient pu être considérés de même nature dans un environnement identique. Pourtant, l’intégration des différentes communautés perdure jusqu’à ce jour sans assimilation, butant sur un fort clivage prévalent entre « indianisation » et « créolisation ». Le concept de « créolisation » culturelle, introduit en anthropologie par Hannerz dans Ericksen (2010), fait référence à l'entremêlement et au mélange de deux ou plusieurs traditions ou cultures autrefois distinctes. À l’Île Maurice, ce concept était très mal vécu par les groupes ethniques asiatiques (hindous, musulmans), lesquels se défendaient en disant « Tu dimunn pu vini kreol – Tout le monde deviendra créole » (Ericksen, 2010). La créolisation culturelle impliquerait le « séga » et la langue « kreol morisien ». En outre, l’utilisation de la langue créole transcenderait toutes les barrières ethniques, religieuses et de classe. Les hindous, forts de leur hégémonie, se méfiaient d’une orientation vers une « mauricianisation » culturelle tant cette dernière reposait sur la « créolisation », et ils refusaient surtout l’intégration à travers les mariages mixtes, lesquels pourraient les détacher de leur culture ancestrale. Pour ce qui est du concept d’« indianisation » à l’Île Maurice, c’est un processus dynamique qui reflète l’influence conjointe de l’Inde et de l’île elle-même sur la construction de l’identité indo-mauricienne. Ainsi, l’indianité à l’Île Maurice est le fruit d’une histoire complexe, mêlant migrations, identités et héritages avec des éléments fondamentaux : un tissage subtil de traditions, de mémoires et d’aspirations, reflétant l’histoire des immigrants indiens. 

L’instruction culturelle et religieuse est reçue par les non-créoles (hindous, musulmans, chinois) non seulement dans leurs institutions religieuses respectives mais aussi à l’école à travers l’enseignement des langues asiatiques. Ces dernières – je le signale au passage – comptent également depuis peu de temps dans les matières académiques, ouvrant le droit à des études secondaires. On a ainsi plusieurs raisons pour lesquelles les enseignements actuels, faisant de l’éducation civique et morale quelque chose de diffus, de fractionné, ne favorisent pas nécessairement la conscience nationale. 

 

2.3. Comment, dans ce contexte confessionnel et multiculturel divers, aller vers une éducation civique et morale mauricienne ? 

 

Dans les années 1980, un programme de civisme figurait dans le cursus scolaire, mais qui reposait sur la connaissance des différentes cultures de la population « arc-en-ciel ». Quant à l’histoire, elle était fusionnée avec la géographie et fondée sur la connaissance des événements tels que les grandes batailles, les personnages historiques, les arrivées des esclaves noirs et des travailleurs indiens engagés, les premiers ministres du pays – Sir Seewoosagur Ramgoolam et Sir Anerood Jugnauth et une esquisse du système parlementaire. 

L’émergence d’une culture mauricienne reposerait, à mon sens, nécessairement sur l’enseignement du « kreol morisien », parlé par tous les Mauriciens, grâce auquel on prônerait des valeurs citoyennes comme l’attachement à la patrie, le respect des institutions sans parti-pris pour la religion ou la culture, et l’esprit critique concernant des thèmes comme l’environnement naturel ou les changements climatiques. La commémoration de la libération de l’esclavage (1er février) et l’arrivée des travailleurs engagés (2 novembre) sont toujours considérées comme une préoccupation, respectivement, des créoles et des hindous. Une éducation civique et morale, en tant qu’enseignement nommé comme tel, avec des professeurs formés et des horaires dédiés, pourrait contribuer à contrebalancer le modernisme actuel de l’éducation, centré avant tout sur les compétences académiques et l’intégration socio-économique. 

Tel que le recommande Durkheim, il ne s’agit pas de verser dans le misonéisme, le refus de la nouveauté, ni de tomber dans l’écueil symétrique de l’aversion pour le passé. En voyant que deux tendances de fond déterminent l’évolution pédagogique à l’Île Maurice, « on se trouve affranchi du préjugé misonéiste aussi bien que du préjugé contraire : ce qui est le commencement de la sagesse » (Durkheim, 2014, p. 16-17). Il ne s’agit pas de nier l’impact des évolutions sociales et économiques sur la détermination des plans d’étude, mais de contrebalancer, dans les curricula, le poids important pris récemment par les matières modernes par un enseignement civique et moral mauricien. 

 

3. Sur l’évolution pédagogique à l’Île Maurice 

 

3.1. Les germes du système actuel 

 

Si la mise en place des premières écoles par les Églises européennes a été, comme nous l’avons vu, un germe du système éducatif mauricien, il en est un second qu’il ne faut nullement négliger. Il s’agit de l’Education Act de 1957, dans lequel la performance académique a été mise en avant. Le programme scolaire mauricien motive les élèves les plus brillants à rechercher, dès le début de leur parcours scolaire, « l’amour de la gloire » (Durkheim, 2014, p243). Malgré les multiples amendements apportés après l’indépendance, un même esprit pédagogique survit. D’un point de vue durkheimien, le système mauricien continue de s’abreuver à la source du passé quand il met en avant, dans l’apprentissage des langues, l’anglais, le français ou les langues asiatiques (hindi, ourdou, mandarin, marathi, télougou, tamoul) plutôt que le « kreol morisien ».  

Chacun des élèves est, dans ce cadre, plutôt voué à devenir « un savant intégral » (Dubet dans Durkheim, 2014, p. xvi), mais un savant dépourvu de « raison complète » (Durkheim, 2014, p. 399), cette dernière ne pouvant en effet exister sans son volet civique et moral. 

 

« Sans doute, on n’admet plus aujourd’hui qu’un être soit tout entier préformé dans l’œuf d’où il est issu ; on sait que l’action du milieu ambiant, des circonstances extérieures de toute sorte, n’est nullement négligeable. Il n’en est moins vrai que l’œuf a une influence considérable sur toute la suite du devenir. » (Durkheim, 2014, p. 26) 

 

La succession des colons, hollandais, français puis anglais, de même que l’arrivée de nouvelles populations africaines ou asiatiques, ont bien sûr eu une incidence sur l’évolution pédagogique à l’Île Maurice. De la même façon, l’indépendance et les recommandations internationales de l’UNESCO y ont pris part. Mais des actes fondateurs, tel l’académisme de la formation scolaire au XXe siècle ou l’orientation morale de la culture générale (dès l’origine), continuent de se faire valoir. 

 

3.2. Comment les hybrider pour faire une éducation civique et morale viable ? Première réponse : par une formation des maîtres adaptée 

 

Si la pédagogie est bien, comme l’a dit Durkheim, « la réflexion appliquée aussi méthodiquement que possible aux choses de l’éducation » (Durkheim, 2014, p. 10), il convient de songer à équilibrer la directivité actuelle des méthodes d’enseignement avec des pratiques mettant les enfants au centre du processus d’apprentissage, favorisant leur créativité et leur autonomie. Pour ce faire, une formation enseignante adaptée est nécessaire. 

Or que faut-il entendre par là ? L’éducation contemporaine demande que les enseignants soient formés pour embrasser « la culture encyclopédique » (Durkheim, 2014, p. 399) au lieu de « la culture livresque » (Montaigne dans Durkheim, 2014, p. 330) à laquelle ils sont depuis longtemps attachés. Les maîtres sont appelés à éduquer « l’homme dans l’ensemble de son devenir », c’est-à-dire à « former un esprit » (Durkheim, 2014, p 19 et 13). Cette culture pédagogique complète, ils la feront vivre à condition de la vivre eux-mêmes. Et connaître le germe initial de l’enseignement dans l’Île à travers une formation sur l’histoire de l’enseignement apparaît ici comme une condition nécessaire. 

Paul Fauconnet (dans Durkheim, 2012, p. 9) insistait déjà en son temps sur l’objectif d’une semblable formation des maîtres : il s’agissait « de préparer les nouvelles générations à la vie sociale et de leur transmettre […] plutôt une méthode, une attitude d’esprit ». Ce qu’il disait il y a cent ans dans un contexte uniquement hexagonal nous paraît tout à fait à sa place également dans le contexte mauricien actuel. 

Comme ce commentateur le déclarait ailleurs, « [i]l serait à souhaiter que nos éducateurs connussent mieux l’histoire de nos institutions scolaires et ne crussent pas, comme il arrive, l’apercevoir à travers Rousseau ou Montaigne » (Fauconnet, 1922, p. 30), c’est-à-dire par le prisme de la seule histoire des idées. En prenant conscience « des origines de l’Enseignement primaire » (Fauconnet, 1922, p. 22), l’enseignant en formation se formerait lui-même comme homme entier et serait à même de faire de l’enfant « une personnalité autonome » (Fauconnet,1922, p. 39).  

 

3.3. Seconde réponse : en prenant appui sur la langue maternelle commune pour en faire une langue d’apprentissage de la citoyenneté 

 

En outre, une réforme du système éducatif devrait prendre en compte l’aspect temporel de l’évolution pédagogique dans la société mauricienne qui est, d’une part, toujours ancrée dans le multiculturalisme et, d’autre part, bien plus riche que celle qu’elle était dans les années 1980. 

On pourrait ainsi songer à une formation des maîtres à travers des cours pédagogiques incluant la science de la nature ou l’histoire. On pourrait également penser à une refonte des programmes de formation incluant les émotions démocratiques (Nussbaum, 2020)13 ou l’éducation artistique (Tagore, 2021)14 . L’objectif serait de donner aux enseignants les moyens de former les élèves en s’adressant également à leur « âme », c’est-à-dire en les prenant en compte comme des êtres entiers. 

En reprenant la valorisation par Durkheim de l’enseignement de l’homme plutôt que des seules langues du passé, il faudrait, à l’école, s’intéresser à la diversité des cultures dans la culture mauricienne. L’usage du « kreol morisien » plutôt que des langues européennes ou asiatiques permettraient sûrement mieux d’asseoir une éducation morale et civique sur le socle de valeur que l’on retrouve dans la devise nationale : « Unité dans la diversité ». Dans la société mauricienne, pluriculturelle et pluriethnique, ayant une diversité de visions du monde et de morales, cette innovation paraît nécessaire. À cet effet, l’inclusion de l’histoire mauricienne relative à la culture, à la musique locale, aux arts de la scène représentés par des auteurs, des poètes et des historiens mauriciens tels qu’Abdool Kalla, Marcel Cabon et Joycelin Chan Low, pourraient être utiles. L’utilisation à l’école de la langue maternelle « kréole morisien » comme langue d’enseignement serait en outre appropriée à l’enseignement des choses humaines. 

 

Cette nouvelle philosophie de l’enseignement ferait connaître aux jeunes élèves « toutes les diverses attitudes mentales qui sont nécessaires pour qu’ils soient prêts à aborder un jour les diverses catégories de choses » (Durkheim, 2014, p. 398). Cependant, l’objectif d’un tel enseignement de l’homme mauricien serait « de mettre l’enfant en face de cette nature humaine une et invariable et de lui en donner le sentiment » (Durkheim, 2014, p. 369), et de le préparer à le trouver dans la diversité des autres personnes. L’étude des cultures, des morales, des langues et des histoires communautaires liées sur une même île permettrait d’atteindre l’unité tant vantée de la « nation arc-en-ciel » ; peut-être à la manière dont la République française s’est construite sous la devise « Liberté, Égalité, Fraternité’, mais en créole cette fois « Enn sel lepep, Enn sel nasyon », et sous d’autres latitudes. 

 

 

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Nussbaum, M. C. (2011). Les émotions démocratiques, trad. fr. S. Chavel, Paris, Flammarion. 

 

Peghni, J. (2014). L’« unité dans la diversité » à Maurice. Un modèle d’inspiration indienne. Dans : Servan-Schreiber, C. (dir), Indianité et créolité à l’île Maurice (p. 75 – 99).  Editions de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). [En ligne]. [Consulté le 16 septembre 2024]. https://doi.org/10.4000/books.editionsehess.22762. 

 

Riondet, X. (2016). Eric Dubreucq (2015). Les révolutions de l’éducation en France. Paris : L’Harmattan, Éducation et socialisation, (42), 258.  [En ligne]. [Consulté le 31 mai 2024]. https://doi.org/10.4000/edso.1890 

 

Wysocka, N. (2021). Une école sans murs : la vraie nature de Tagore. Le Devoir. [En ligne]. [Consulté le 01juin 2024]. https://www.ledevoir.com/lire/599804/ecrans-une-ecole-sans-murs-la-vraie-nature-de-tagore 

 

Sitographie 

 

Education Act, RL 2/603 - December 28, 1957. [En ligne]. [Consulté le 16 septembre 2024]. https://education.govmu.org/Documents/legislations/Documents/Education%20Act%201957.pdf 

 

Gowry B. (2014, 11 janvier).  La main dans la main.  (Vidéo). YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=djOGgYQoxbY 

 

Histoires Mauriciennes (2016). « Jacques Désiré Laval, le médecin charitable devenu apôtre des Noirs. ». [En ligne]. [Consulté le 31 mars 2020]. https://histoiresmauriciennes.com/jacques-desire-laval-le-medecin-charitable-devenu-apotre-des-noirs/ 

 

Histoires Mauriciennes (2019). « SSR père de l’indépendance. » [En ligne]. [Consulté le 29 mars 2020]. https://histoiresmauriciennes.com/ssr-pere-de-lindependance/ 

 

Histoires Mauriciennes (s.d.). Bicentenaire Rev. Jean Lebrun, pionnier de l’éducation gratuite à Maurice. [En ligne]. [Consulté le 15 septembre 2024]. https://histoiresmauriciennes.com/bicentenaire-jean-lebrun/ 

 

Institut de statistique de l'UNESCO (2022). Maurice. [En ligne]. [Consulté 29 août 2022]. http://uis.unesco.org/fr/country/mu 

 

Le Diocèse de Portlouis (2016). Le Service Diocésain de l’Éducation Catholique (SeDEC). [En ligne]. [Consulté le 19 avril 2020]. https://www.dioceseportlouis.org/education/le-bureau-de-leducation-catholique-bec/ 

 

Mauritius Institute of Education (s.d). Curriculum. [En ligne]. [Consulté le 17 septembre 2024]. https://web.mie.ac.mu/ 

 

Ministry of Education, Tertiary Education, Science and Technology (s.d). Nine-year schooling. [En ligne]. [Consulté le 17 septembre 2024]. https://education.govmu.org/Pages/Education%20Sectors/Nine-Year-Schooling.aspx 

 

 

 

 

 

 

Notes
[←1

 Je ne citerai que les travaux d’Eric Dubreucq et de Denis Kambouchner, mais la liste pourrait bien entendu être bien plus longue. Je peux encore mentionner les récentes journées d’études inter-ESPE de Lyon et de Marseille sur l’Évolution pédagogique en France, qui devraient bientôt voir leurs actes publiés. 

[←2

 Ma thèse de doctorat porte sur l’évolution pédagogique à Maurice et le bien-fondé de l’introduction d’une éducation civique et morale dans le système éducatif mauricien. 

[←3

 Marcel Cabon (pseudonyme de Jacques Marsèle) est un homme de lettres mauricien, né le 29 février 1912 à Curepipe et mort le 31 janvier 1972. Écrivain, journaliste et poète, il commença sa carrière d'écrivain en 1931 avec la publication de ses premiers vers dans L'Essor. C'est surtout son roman Namasté qui a assuré à Maurice sa réputation littéraire. 

[←4

 En 1985, Louis Augustin a abordé le sujet de l’enseignement à Maurice depuis ses origines jusqu’à la période de la Première Guerre mondiale (1598-1914). Son travail a exploré les développements éducatifs, les politiques d’enseignement et les défis auxquels l’Île Maurice a été confrontée pendant cette période. Ses recherches ont contribué à notre compréhension de l’histoire de l’éducation dans cette région, et ont, de ce fait, été une importante source d’informations pour ma thèse. 

[←5

 Les enseignants en langues asiatiques pouvaient certes aborder des contenus éthiques dans leur formation, mais c’était toujours à travers le prisme des langues que cela se faisait. Une formation dédiée à l’éducation civique et morale n’existait pas en tant que telle, et c’est encore le cas aujourd’hui. 

[←6

 Cette loi anglaise, faite pour l’Île Maurice, a été conservée après l’indépendance. Elle a certes été réformée mais n’a pas été abrogée depuis. Elle constitue encore actuellement le texte de référence pour le système éducatif mauricien. 

[←7

 Au sens newtonien de persévérance dans son état, de conservation d’une vitesse initialement acquise. 

[←8

 La dernière réforme de 2017, mettant en avant les compétences utiles à la vie (life skills), n’a pas remédié à ce défaut. 

[←9

 Vitesse acquise à l’ère moderne par le système éducatif, et impulsée par l’État et l’Église. En collaboration avec les Églises, le ministère de l’Éducation nationale, à travers l’Education Act de 1957, continue d’apporter des réformes aux programmes d’étude tout en cherchant à faire valoir l’orientation morale au sein des institutions scolaires. 

[←10

 L’Église se faisait « l’institutrice naturelle des peuples qu’elle convertit » (Durkheim, 2014, p. 29), avec une clôture de l’école qui « enveloppe » l’enfant, d’où la nécessité d’une vocation « sacrée » des enseignants. 

[←11

 François Roth présente la guerre de 1870 et son impact sur l’enfant Durkheim (12 ans en 5e). Il fait le portrait de Durkheim en représentant d’une « génération de jeunes hommes hantés par trois problèmes : le redressement national, l’émancipation laïque et l’organisation sociale et économique » (Fournier dans Béra, 2014). 

[←12

12 kréole morisien « Pren mo lame donn to lame, lame dan lame, Anou batir  

Bhojpuri « la tohar ant la amar ant, anto mein ant chala basawe jati morisien » 

Français « S’unir main dans la main, tous ensemble, pour bâtir la nation mauricienne » 

[←13

 Une crise silencieuse frappe aujourd’hui les démocraties du monde. L’éducation se plie aux exigences du marché de l’emploi, de la rentabilité et de la performance, délaissant la littérature, l’histoire, la philosophie et les arts... en un mot : les humanités. Mais pour Martha Nussbaum (2011), celles-ci ne sont ni un vestige du passé, ni un supplément d’âme pour les happy few. Dans (citez le titre du livre ici + l’indiquer en bibliographie éventuellement)ce manifeste original et argumenté, elle montre comment les humanités nous font accéder à la culture des émotions, à ce qu’elle appelle « l’imagination narrative ». Les œuvres d’art notamment, en développant notre esprit critique et nos capacités d’empathie, nous aident à nous identifier au « faible » au lieu de le stigmatiser et à éprouver du respect au lieu de l’agressivité et de la peur qui naissent inévitablement de la vulnérabilité. Ce n’est pas à coup d’idées abstraites que s’imposeront l’égalité et la liberté, nous dit Martha Nussbaum. Mais c’est plutôt en formant, par le biais des « émotions démocratiques », le citoyen du XXIe siècle. 

[←14

 L’éducation artistique est un sujet qui a captivé de nombreux esprits créatifs au fil du temps. Je ne parlerai ici que de Rabindranath Tagore, un écrivain, poète et artiste polyvalent dont l’œuvre a laissé une empreinte durable. Tagore, né en 1861 à Calcutta, a exploré toutes les formes possibles de la création littéraire : poèmes, chants, nouvelles, romans, pièces de théâtre, essais et correspondances. Son amour de la nature, de l’homme et de la créativité continue d’inspirer les esprits curieux et attentifs à travers les générations. Son talent protéiforme s’est exprimé dans une trentaine de volumes d’écrits : 

1. Poésie lyrique : Ses poèmes, hautement lyriques, célèbrent le désir, pleurent les pertes et ouvrent des espaces d’exploration spirituelle. Voici un extrait du poème Le Passager(date de parution à indiquer)  :  

2. Théâtre et romans : ses pièces de théâtre et ses romans explorent l’universalité de l’homme et les vicissitudes du monde. 

3. Art visuel : ses tableaux, prolongeant sa production lyrique. Ses peintures attestent de son talent protéiforme et de sa vision artistique. 

Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292