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mercredi 22 mai 2024
Rapport Enquête sur l’enseignement philosophique dans les INSPE Mars 2024
INSPE de l’Académie de Lille
Université de Lille
Laboratoire STL (UMR 8163)
Introduction
Cette enquête a été réalisée lors des premières annonces d’une nouvelle perspective réforme de la formation des enseignant.e.s et personnels de l’éducation nationale (notamment conseillers principaux d’éducation – CPE par la suite) courant 2023, alors même qu’aucun bilan évaluatif n’a été tiré de la précédente réforme mise en application en septembre 2021 dans les nouveaux INSPE et au printemps 2022 concernant les concours de recrutement (placés désormais à la fin du Master 2).
Lors de cette dernière réforme, un cadrage national assez précis a été indiqué par le ministère de l’Éducation nationale et celui de l’Enseignement supérieur. Les nouveaux instituts de formation, les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’Éducation (arrêté 24 juin 2020) ont toutefois des statuts institutionnels différents (écoles internes d’une Université ; institut intégré à la faculté de sciences de l’éducation de certaines universités, etc.), ce qui a des répercussions sur la réflexion et la mise en œuvre des réformes des études (et notamment des maquettes d’enseignement, des modalités d’évaluation, etc.), les ressources humaines
(enseignant.e.s de l’INSPE ou d’une UFR à laquelle est intégrée l’INSPE, par exemple), les politiques de recrutement des enseignant.e.s (également fonction de la situation financière des universités). Par ailleurs, la situation géographique des INSPE a un impact sur la mise en œuvre de cette réforme : leur proximité géographique des sites universitaires ; la multiplicité des sites de formation par académie et/ou par département ; la densité d’écoles, d’élèves, et donc de professeurs (en formation) ont des conséquences sur la mise en œuvre des réformes.
Ces données ont un impact d’un point de vue disciplinaire : la présence d’un département de philosophie, et la proximité institutionnelle de celui-ci, a des effets sur l’existence d’un master MEEF 2nd degré préparant au CAPES de philosophie ; mais aussi, sur l’inscription de la philosophie dans la formation initiale des personnels de l’éducation nationale. Celle-ci peut également dépendre de l’histoire des rapports de force disciplinaires au sein des instituts de formation depuis leur universitarisation (IUFM, ESPE, INSPE).
Ce rapport complète les recherches sur l’histoire de l’enseignement philosophique au sein de la formation des enseignant.e.s et ses rapports avec les autres disciplines de sciences humaines et sociales depuis la fin du XIXe siècle ; ainsi que les travaux de philosophie de l’éducation qui apportent un éclairage philosophique sur les questions éducatives soulevées par l’exercice du métier d’éducateur.rice et d’enseignant.e.
À l’aube d’une nouvelle réforme annoncée par le gouvernement en été 2023, qui prévoit la création des « écoles normales du XXIe siècle », quel est l’état de l’enseignement philosophique au sein des INSPE ?
Cette enquête par questionnaire a été réalisée par manque de données institutionnelles sur l’emploi d’enseignant.e.s de philosophie dans les INSPE. Ce manque de données tient à la difficulté de ce recensement, du fait des différents employeurs institutionnelles des formateurs en INSPE, des différents sections CNU des enseignant.e.s-chercheur.se.s (certain.e.s philosophes sont en section 70 « Sciences de l’éducation » et non en section 17 « philosophie », notamment) ; ainsi qu’à la difficulté de retracer les divers services de ces enseignant.e.s, qui peuvent enseigner la philosophie dans des cours non « étiquetés » comme tels. En effet, les dernières réformes ont eu tendance à promouvoir la transversalité des enseignements au sein des maquettes d’enseignement, délaissant les intitulés dits « disciplinaires » et ce notamment en sciences humaines et sociales.
L’enquête, diffusée via LimeSurvey entre septembre 2023 et février 2024, a recueilli 28 réponses, de la part de collègues de 15 INSPE (sur 32) : Aix-Marseille, Bordeaux, Bourgogne, Créteil, Franche-Comté, Grenoble, Lille, Lyon, Martinique, Nantes, Nice, Normandie-Caen, Paris, Poitiers, Strasbourg.
I. Les professeurs de philosophie en INSPE
Selon les chiffres indiqués par les répondant.e.s, voici l’estimation du nombre de professeurs de philosophie intervenant dans ces INSPE :
Tableau 1. Présence de professeurs de philosophie dans les INSPE
INSPE (nombre réponses) | Enseignant.e.s-chercheurs.ses titulaires | PRAG/PRCE (temps complet, soit 384h) | PRAG/PRCE (temps partiel) | Enseignant.e.s-chercheurs.ses non titulaires (CDD, ATER, etc.) | Vacataires | Autres catégories] |
---|---|---|---|---|---|---|
INSPE d’Aix-Marseille (1) | 5 | 4 | je ne sais pas | 3 | 2 | |
INSPE Clermont Auvergne (1) | 1 | 0 | 1 | 0 | 2 | 0 |
INSPE de l’Académie de Bordeaux (3) | 2 | 2 | 2 (1)* | 1 (0)* | 1 (0)* | 1 PFA (professeur formateur académique) auprès des Fonctionnaires stagiaires |
INSPE de Bourgogne (1) | 1 | 2 | ||||
INSPE de l’Académie de Créteil (3) | 2 | 5 | 3 (0)* | 4 (0)* | ||
INSPE de l’Université de Franche-Comté (1) | 1 | 1 | ||||
INSPE de l’Académie de Grenoble (2) | 2 | 2 | ||||
INSPE de l’Académie de Lille - Hauts-de-France (2) | 4 | 1 | ||||
INSPE de l’Académie de Lyon (1) | 2 | 2 | 2 | |||
INSPE de Martinique (1) | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
INSPE Académie de Nantes (4) | 5 (1 ; 0)* | 1 | 0 | 0 | 0 | 1 PREC (professeur des écoles) (0)* |
INSPE de l’Académie de Nice (1) | 1 | 2 | ||||
INSPE Normandie Caen (1) | 4 | 1 | ||||
INSPE de l’Académie de Paris (4) | 1 | 2 | 3 (ou 1)* | |||
INSPE de l’Académie de Poitiers (1) | 1 | 1 | ||||
INSPE de l’Académie de Strasbourg (1) | 1 | 2 | ||||
TOTAL : 85 | 30 | 29 | 13 | 5 | 7 | 1 |
*J’indique entre parenthèses quand certains chiffres donnés sont contradictoires, et privilégieles chiffres les plus élevés, en faisant l’hypothèse que les collègues les indiquant ont une meilleure connaissance des personnels enseignant dans les différentes formations des INSPE.
Ces différences de chiffres illustrent la difficulté, lorsque les INSPE sont sur plusieurs sites d’enseignement notamment (parfois très éloignés géographiquement), d’avoir connaissance des collègues de la même discipline.
Au-delà de cette distance géographique, la rupture d’une logique disciplinaire rend parfois complexe, voire impossible, d’avoir une concertation entre des collègues de même discipline : par exemple, deux enseignant.e.s de philosophie d’un même INSPE peuvent avoir une charge d’enseignement variable, voire complètement différente, rendant difficile l’échange sur des contenus d’enseignement. Cela s’explique parfois par une répartition entre les professeurs en fonction de leur spécialité (esthétique, philosophie des sciences, épistémologie, philosophie politique, philosophie de l’éducation, etc.) ; parfois par des logiques de répartition
d’enseignement entre plusieurs disciplines (par exemple, un cours sur l’autorité peut être pris en charge par une autre discipline – ou réparti entre plusieurs disciplines – de sciences humaines et sociales, selon les vœux et disponibilités des enseignant.e.s d’un site de formation).
Au vu des résultats transmis dans le tableau, on voit que les statuts sont très différents en fonction des INSPE, avec parfois une majorité d’enseignant.e.s-chercheur.s (EC), parfois une majorité de professeurs du second degré détachés dans le supérieur (PRAG/PRCE). La différence réside dans leur charge d’enseignement : 384 HTD pour un PRAG-PRCE ; 192 HTD pour un EC.
Par ailleurs, les PRAG-PRCE détachés dans le supérieur sont souvent dans une démarche de recherche passée et/ou présente, et rattaché.e. à un laboratoire, même s’ils ne sont pas reconnus et donc rémunérés pour leurs activités de recherche par leurs employeurs.
Les différences de ratio PRAG-PRCE/EC démontrent les différences de politique d’universitarisation des formations des enseignant.e.s en fonction des territoires, c’est-à-dire le soutien effectif à la recherche des INSPE. Certains INSPE soutiennent davantage la formation professionnelle en recrutant en priorité des professeurs issus « du terrain » ou en divisant leurs temps entre le lycée et l’Université, sans soutenir leur recherche ; alors que d’autres privilégient les recrutements d’EC. Cette distinction dépend des directions des INSPE, en fonction des contraintes budgétaires, et des rapports de force disciplinaires en leur sein (comme par exemple les disciplines représentées dans les comités de direction des INSPE, ou encore le poids des
différents laboratoires de recherche).
Pour un des INSPE est indiqué un.e enseignante PREC de philosophie, soit un.e professeur des écoles détaché.e dans le supérieur, chargé.e de cet enseignement – et l’on sait que cette situation n’est pas isolée, plusieurs enseignant.e.s du premier degré détenteur.s (ou non) d’un diplôme de philosophie (licence ou master) sont en charge d’un enseignement étiqueté « philosophie », ou d’autres enseignants d’autres disciplines, lorsqu’aucun enseignant.e de philosophie n’est disponible sur le site de formation.
Cela pose la question de ce que recouvre l’identité « professeur de philosophie ». Lors de la réalisation du questionnaire, nous désignions par cette expression les personnes recrutées sur un poste de philosophie et/ou issus d’une formation philosophique, certifiées par un concours du second degré en philosophie et/ou d’un doctorat en philosophie.
Mais nous pourrions considérer également qu’est professeur de philosophie toute personne en charge d’un enseignement de philosophie, en faisant fi de sa formation, en allant à l’encontre de la tradition française qui tient à cette identité disciplinaire (quelle que soit la discipline) sanctionnée par la formation initiale et le(s) diplôme(s).
II. La présence d’un enseignement de « philosophie » au sein des maquettes de formation
Une autre manière de restituer une présence de l’enseignement philosophique dans les maquettes est de constater, ou non, la présence d’un enseignement désigné comme tel ; autrement dit qu’il soit assumé dans les maquettes actuelles des INSPE la présence d’un enseignement de « philosophie ».
Dans le cadrage national imposé par la loi de 2019 (« Référentiel de formation : former aux métiers du professorat et de l’éducation au XXIème siècle »), la philosophie n’est pas mentionnée, de même dans les annexes précisant ce cadrage pour les enseignant.e.s du premier degré, du second degré, et pour les CPE.
Le tableau ci-dessous restitue la présence d’un enseignement étiqueté « philosophie » dans ces maquettes.
Tableau 2. Présence d’un enseignement de philosophie de l’éducation au sein des différents
INSPE (et indications si M1/M2, et nombre d’heures d’enseignement)
INSPE (nombre réponses) | MEEF 1er degré | MEEF 2nd degré | MEEF CPE | Formation stagiaire |
INSPE d’Aix-Marseille (1) | / | / | / | / |
INSPE Clermont Auvergne (1) | / | / | / | / |
INSPE de l’Académie de Bordeaux (3) | / | / | Philosophie de l’éducation, l’école de la République, éthique professionnelle (M1, 27H CM + 27h TD ; M2, 13h CM + 14h TD) | / |
INSPE de Bourgogne (1) | Présentation initiale du système éducatif : sociologie, philosophie+ philosophie pour la dimension historique/juridique (M1, 18h CM) | / | / | / |
INSPE de l’Académie de Créteil (3) | Connaître les fondements philosophiques de l’école Républicaine, de la laïcité et du métier de professeur des écoles (M1, 21h) ; Connaître et transmettre les valeurs de la République Enseignement moral et civique (M2, 20h) | ? | / | |
INSPE de l’Université de Franche-Comté (1) | Philosophie de l’école républicaine et laïcité (M1, 12h CM) | Philosophie de l’école républicaine et laïcité (formation transversale, toutes disciplines confondues) (M1, 12h CM) | ? | / |
INSPE de l’Académie de Grenoble (2) | École et savoir** (M1, 10h CM, 10h TD) | / | Philosophie de l’éducation (M1, 20h ; M2, 18h) | / |
INSPE de l’Académie de Lille - Hauts-de- France (2) | Philosophie de l’éducation (M1, 10h) | / | / | / |
INSPE de l’Académie de Lyon (1) | Connaître le fonctionnement de l’institution (Philosophie politique de l’éducation) ; module 2 : Faire vivre les valeurs de la République (Philosophie politique de l’éducation) (M1 6+6) ; Modules 1 Connaître le fonctionnement de l’institution (Philosophie politique de l’éducation) ; module 2 : Faire vivre les valeurs de la République (Philosophie politique de l’éducation) + Construire un projet d’action : projet philosophie- EMC (M2, 4+4+6h) | Éthique et valeurs (approche philosophique) (M1, 12h) | ? | / |
INSPE de Martinique (1) | / | / | / | / |
INSPE Académie de Nantes (4) | Philosophie de l’éducation. Pratiques de la philosophie avec les enfants (M1, 12h CM + 12h TD) ; Philosophie de l’éducation (M2, 6h) | Philosophie de l’éducation (M1, 3h) | Philosophie de l’éducation (M1, 16h) ; Préparation aux épreuves de composition (M2, 6h) | Pratiques de la philosophie avec les enfants (DIU 100 et 50 %, 3h) Un DU en formation continue entièrement consacrée à la philosophie avec les enfants) |
INSPE de l’Académie de Nice (1) | / | / | Philosophie de l’éducation et problématisation des questions éducatives (M1, 17h CM, 13h TD ; M2 5h CM, 3h TD) | / |
INSPE Normandie Caen (1) | Philosophie de l’éducation (M1, 14h CM) | ? | Philosophie de l’éducation (M1, 36h CM, 18h TD) ; Approches historique, sociologique et philosophique de questions… (12h CM, 24h TD) | / |
INSPE de l’Académie de Paris (4) | / | / | Philosophie politique de l’éducation (M1, 12h CM ; 16h TD) | |
INSPE de l’Académie de Poitiers (1) | Philosophie de l’éducation (M1, 12h) | / | / | / |
INSPE de l’Académie de Strasbourg (1) | / | / | Philosophie de l’éducation (M1, 24h CM) | / |
** L’intitulé n’est pas directement estampillé « philosophie », mais la description de celui-ci marque la teneur philosophique du contenu du cours, sur le (rapport au) savoir.
De ces indications, données par les répondant.e.s au questionnaire (et parfois complétées par des recherches personnelles, quand les maquettes de formation sont facilement accessibles sur les sites Internet institutionnels), on peut tirer un certain nombre de commentaires.
Tout d’abord, on remarque une forte présence d’un enseignement de philosophie de l’éducation dans les masters MEEF CPE, avec des volumes horaires très importants (les plus importants).
Cela n’est pas le cas dans tous les INSPE, et cela dépend sûrement de l’investissement des enseignant.e.s de philosophie dans (la mise en place passée de) ces formations, dont les épreuves écrites requièrent une méthodologie de la dissertation et des connaissances qui relèvent, notamment mais non uniquement, des compétences et connaissances des professeurs de philosophie.
À l’inverse, il y a une faible présence d’un enseignement de philosophie de l’éducation dans les formations préparant au second degré (Franche-Comté, Lyon, Nantes), et dans des volumes horaires assez réduits. Cela s’explique sûrement par l’ancrage disciplinaire de ces formations, et par le fait qu’elles soient parfois prises en charge par des enseignant.e.s des départements disciplinaires de l’Université (ou des Universités) partenaire(s) des INSPE. Les situations sont très contrastées dans le partage entre les INSPE et les UFR des universités partenaires dans la conception et la mise en œuvre de la formation 2nd degré. Cette distinction peut également s’expliquer du fait de la présence d’un tronc commun en SHS dans certains INSPE. La présence de la philosophie dans les différents master MEEF pourrait aussi dépendre de la présence, ou non, d’un master MEEF 2nd degré « philosophie », ou encore d’un tronc commun SHS imposé à l’ensemble des formations 2nd degré.
Cette présence de la philosophie peut être différente en fonction des parcours MEEF 2nd degré ; de même que la sollicitation des enseignant.e.s de philosophie peut varier, notamment concernant les valeurs de la République et la laïcité (on peut supposer qu’ils.elles sont moins sollicité.e.s pour le MEEF d’histoire-géographie-EMC par exemple).
Concernant le premier degré, l’enseignement de philosophie n’est pas présent dans toutes les INSPE, et on peut faire l’hypothèse qu’il est lié aux forces d’enseignement en présence, à même de l’enseigner, ainsi qu’à leur poids pour le proposer lors de la refonte des maquettes d’enseignement. En effet, les données récoltées ne permettent pas de rendre compte des différences de poids institutionnels des enseignant.e.s de philosophie en fonction de leur statut (MCF, PU), de leur ancienneté, ou de leur fonction (charges administratives, proximité avec l’équipe de direction et/ou de rédaction des maquettes), qui ont un impact dans l’écriture des programmes d’enseignement au niveau local.
Cet enseignement, lorsqu’il existe, est d’une durée de 10 à 14h, et se situe en tout début de formation (Semestre 1).
Lorsqu’il représente un volume horaire plus important, il est accolé :
- Soit, et la majeure partie du temps, à l’enseignement de la laïcité et des valeurs de la République (présent dans le « référentiel de formation » déjà cité) ;
- Soit à d’autres disciplines de sciences humaines et sociales (histoire de l’éducation,
sociologie de l’éducation, sciences de l’éducation). - Soit à une des disciplines dites « de la polyvalence » du premier degré, et notamment l’EMC.
Notons enfin qu’à l’INSPE de Nantes, d’une philosophie de l’éducation reliée à des pratiques de philosophie avec les enfants, qui permet d’avoir un volume horaire plus important dans le 1er degré, que ce soit en master MEEF ou dans les DIU – et la formation continue.
L’enquête fait apparaître l’enjeu de faire figurer explicitement un enseignement de « philosophie » afin que l’intervention des enseignant.e.s ne soit pas réduit au seul enseignement de laïcité et de valeurs de la République.
III. Autres enseignements assurés par les professeurs de philosophie
Parfois non étiquetés philosophie, les enseignant.e.s de philosophie ont d’autres chargesd’enseignement. Dans quelles mesures celles-ci sont-elles de nature philosophique ?
Ces « traversées » de frontières disciplinaires (auxquelles tient la tradition française) font partie de la tradition des formations d’enseignant.es du premier degré, comme la psychopédagogie présente dans les écoles normales d’instituteurs et d’institutrices, dont les (intitulés de) contenus étaient alors décidés par le ministère de l’Education nationale, et non à l’échelle locale.
14 des enquêté.e.s indiquent enseigner d’autres enseignements « non étiquetés » philosophie :
- 8 enquêté.e.s au moins 5 autres enseignements ;
- 3 enquêté.e.s, 3 autres enseignements ;
- 2 enquêté.e.s, 4 autres enseignements ;
- 1 enquêté.e, 1 autre enseignement.
1. L’enseignement des valeurs de la République, et notamment la laïcité (Meef 1er et 2nd degré), parfois en lien avec la connaissance du système éducatif
Les intitulés sont multiples, mais renvoient aux interventions des professeurs de philosophie
concernant l’enseignement et la formation aux valeurs de la République (ou valeurs de l’école
républicaine), et notamment à la laïcité et à l’égalité.
Cela correspond à la demande ministérielle du « référentiel de formation » qui rappelle que la première compétence commune est « faire partager les valeurs de la République ».
Pour la formation dans le premier degré, les maquettes des différents INSPE doivent consacrer « Au moins 55 % du temps à la construction du cadre de référence et à l’enseignement des savoirs fondamentaux à l’école », dont les « enjeux et connaissance du système éducatif français et de ses acteurs ; connaître et transmettre les valeurs de la République ; droits et obligations du fonctionnaire. »
Pour la formation dans le second degré, les maquettes doivent consacrer « au moins 45 % du temps à la construction du cadre de référence et à l’enseignement des savoirs de sa discipline ou spécialité », dont font partie les « Enjeux et connaissance du système éducatif français et de ses acteurs ; connaissance et transmission des valeurs de la République ; connaissance des droits et obligations du fonctionnaire ».
De même pour les CPE, est consacré « au moins 45 % du temps à la construction du cadre de référence » où figurent en premier lieu « les Enjeux et connaissance du système éducatif français et de ses acteurs ; la connaissance et la transmission des principes démocratiques et des valeurs de l’École républicaine ; la connaissance des droits et obligations du fonctionnaire ».
Cette mission de transmission des valeurs de la République correspond à des volumes horaires (entre 10h et 16h, généralement en Master 1) au moins aussi importants que ceux de « philosophie de l’éducation », lorsque celle-ci existe.
Les professeurs de philosophie interviennent dans le cadre des trois master MEEF, parfois dans des enseignements dits « inter-degrés » qui regroupent les master MEEF 1er et 2nd degré concernant cette formation.
Ces cours diffèrent dans leurs intitulés, et montrent des aspects différents :
- Soit des enseignements dont les intitulés indiquent des perspectives plus théoriques, en
lien avec une formation universitaire, qui permettent de renforcer une « culture
professionnelle ». - Soit des enseignements tournés vers les pratiques, comme « faire partager les valeurs de
la République » - L’aspect laïcité est davantage marqué que les autres valeurs, même si le concept
d’égalité peut apparaître (mais jamais, semble-t-il, ceux de liberté ou de fraternité).
Ces enseignements sont souvent en lien avec la préparation des épreuves orales du concours, notamment de l’entretien de motivation, et figurent en Master 2, accompagnés d’enseignements en éthique professionnelle et déontologie.
La préparation des concours concerne notamment :
- Le Master MEEF 2nd degré, mention philosophie, à l’écrit comme à l’oral
- Le Master MEEF 1er degré, pour les oraux dits « de motivation »
- Le Master MEEF CPE, à l’épreuve écrite dite « de composition ».
2. L’éducation à la citoyenneté et l’EMC (MEEF 1er degré)
Certains enquêtés indiquent enseigner « l’éducation à la citoyenneté » ou s’impliquer dans l’EMC (transmission des connaissances et réflexion didactique) comme domaine de la polyvalence en Master MEEF 1er degré.
Certains collègues investissent également des modules d’enseignement facultatifs tournés vers un aspect plus transversal, comme l’enseignement des faits religieux ou l’enseignement d’éducation aux médias et à l’information (EMI).
3. L’accompagnement professionnel des étudiant.e.s
Parfois les interventions ont lieu dès la L3 dans l’accompagnement professionnel des étudiant.e.s, mais le plus souvent c’est durant le master MEEF, notamment dans l’accompagnement des étudiant.e.s durant leur stage.
10 répondant.e.s sur 28 font des visites de stagiaires dans le 1er degré, avec un nombre assez variable :
- 3 entre 1 et 3 suivis de stagiaires
- 5 entre 4 et 6 suivis de stagiaires
- 1 entre 13 et 15 suivis de stagiaires
- 1 plus de 15 suivis de stagiaires
4 répondant.e.s sur 28 en font dans le 2nd degré (dont 2 qui en ont également dans le premier
degré) : - 3 entre 1 et 3 suivis de stagiaires 2nd degré
- 1 entre 4 et 6 suivis de stagiaires 2nd degré.
Cela représente des parts variables de services, selon les équivalents HTD de ces visites définies
par les INSPE.
Pour un répondant seulement, il y a du suivi de portfolio, qui est une modalité de suivi des
étudiant.e.s peu à peu mise en place dans certains master MEEF, parfois reliée au suivi des stagiaires sur le terrain (mais ce n’est pas le cas du/de la collègue répondant à ce questionnaire).
Un répondant indique un investissement dans des ateliers de pratiques professionnelles, notamment en Master 1.
4. D’autres disciplines de SHS
En fonction des besoins des sites de formation, des collègues peuvent enseigner la sociologie (MEEF 1er degré), ou encore l’anthropologie (MEEF CPE).
5. La pédagogie et l’autorité (Master MEEF 1er et 2nd degré)
Plusieurs enseignant.e.s indiquent être mobilisés pour des enseignements davantage tournés vers la compréhension de la relation pédagogique, et du rapport d’autorité, dans un lien plus ténu avec la pratique de classe : « École et relation-autorité » ; « autorité et gestion de classe » ; « construire son/une autorité éducative ».
Cet aspect de l’enseignement est souvent présent au cours de la deuxième année de master pour accompagner les étudiant.e.s enseignant sur le terrain, et les préparer aux épreuves orales du concours.
6. La philosophie avec les enfants (Master MEEF 1er degré)
Outre le DU et l’enseignement en Master Premier degré proposé à Nantes, des enseignants-chercheurs en philosophie proposent des séminaires de recherche sur cette pratique de la philosophie et/ou l’aborde au sein de leurs cours et séminaires.
IV. La formation à la recherche philosophique en master MEEF
L’enquête révèle un investissement relatif dans les modules d’initiation à la recherche, les cours
magistraux d’éthique de la recherche, en Meef 1er et 2nd degré, et CPE.
9 enquêté.e.s indiquent avoir un séminaire de recherche en MEEF 1er degré, dont voici une liste
d’intitulés :
- L’école pour tous : l’école et les valeurs républicaines
- Philosophie de l’éducation
- Philosophie, éthique et pratiques pédagogiques
- Éthique et philosophie avec les enfants
Le nombre de mémoires dirigés (M1 et M2 confondus) diffèrent : 4 enquêté.e.s dirigent moins
de 10 mémoires ; 4 enquêté.e.s dirigent entre 10 et 20 mémoires ; 1 enquêté.e dirige entre 20 et
30.
3 enquêtés indiquent avoir un séminaire en MEEF 2nd degré : - Philosophie et mathématiques
- Philosophie de l’éducation (MEEF philosophie)
- La relation éducative (MEEF 2nd degré et CPE)
2 enquêté.e.s dirigent moins de 10 mémoires ; 1 enquêté.e dirige entre 10 et 20 mémoires.
3 participent à des séminaires en MEEF CPE, mais seulement un dirige celui-ci avec un intitulé
précis.
V. La recherche des enseignant.e.s de philosophie en INSPE
11 répondant.e.s au questionnaire déclarent mener des recherches en lien avec leur
investissement dans la formation des enseignant.e.s. Notons que sur ces 11, 7 font des visites
en classe et 8 assurent un séminaire de recherche dans au moins un des master MEEF.
Sur les 11 enquêtés menant des recherches,
- 2 déclarent mener ces recherches seul.e.s ;
- 5 avec des collègues philosophes
- 7 avec des collègues d’autres disciplines (3 de 2 disciplines ; 2 de 3 disciplines ; 1 de 4
disciplines ; 1 de 1 discipline) dont :- Sciences de l’éducation (4)
- Arts (1)
- Littérature (3)
- Sociologie (2)
- Histoire (3)
- Sciences du langage (2)
- Staps (1)
- Anthropologie (1)
- Psychologie ; mathématiques ; SVT (0)
Cette question visait à savoir si l’intégration dans une équipe enseignante pluridisciplinaire en
INSPE pouvait favoriser des croisements disciplinaires. Il semble que cette hypothèse ne soit
pas vérifiée, puisque les disciplines peu communément proches au sein des regroupements
disciplinaires des laboratoires de recherches (mathématiques, SVT et psychologie, etc.)
présentes dans les INSPE ne font pas (au sein de cette enquête) l’objet de recherches collectives.
Cette interdisciplinarité peut aussi s’expliquer par les interdisciplinarités propres aux
laboratoires de recherche d’une part ; et d’autre part aux thématiques de recherche, comme le
montrent les thématiques de recherches indiquées par les 11 répondant.e.s :
- Philosophie politique de l’éducation (8)
- Histoire des idées pédagogiques (6)
- Autorité, bienveillance (2)
- L’éducation artistique (1)
- Épistémologie des sciences (2)
- La philosophie avec les enfants (4)
- Didactique de la philosophie (1)
- Autres : philosophie morale de l’éducation (1) ; éducation à la citoyenneté, EMC (2) ; idéologies éducatives (1).
Conclusion
Cette enquête est trop parcellaire pour dresser un tableau complet de l’enseignement de la philosophie en INSPE, notamment du fait de n’avoir pas pu interroger l’ensemble des collègues philosophes intervenant en INSPE ; et de la difficulté d’obtenir des renseignements auprès des institutions sur l’état des services des enseignant.e.s de philosophie.
Cependant, à l’heure de l’ouverture d’une nouvelle réforme de la formation des enseignant.e.s, il nous semble que cet état des lieux permet de montrer les forces de cet enseignement philosophique, à la fois d’un point de vue théorique, mais aussi dans l’accompagnement des futur.e.s enseignant.e.s et CPE sur le terrain professionnel, à partir d’un certain nombre de problématiques pédagogiques et didactiques, ainsi que dans la préparation aux concours de recrutement. Notons également que la présence de cet enseignement philosophique permet le soutien à une recherche non moins nécessaire en philosophie de l’éducation au sein des master MEEF ainsi que des master recherche, parfois développés par les INSPE pour favoriser l’entrée en thèse d’enseignant.e.s en poste.
Nous tenons à remercier la SofPhied (Société française de philosophie de l’éducation) pour son soutien concernant cette enquête ; les collègues de la direction numérique de l’Université de Lille pour leur aide dans la réalisation de ce questionnaire (et notamment Raphaël Lecerf et Tom Gaudillère), les collègues en charge de la protection des données personnelles (et notamment Lucie Macchi, Jean-Luc Tessier et Alexis Ballart) ; ainsi que Anne-Claire Husser et Stéphanie Péraud-Puigsegur pour leur aide dans la confection et la diffusion de ce questionnaire. Un grand merci enfin aux collègues ayant répondu à celui-ci, en espérant que celui-ci pourra nous aider à défendre collectivement la place de la philosophie dans la formation des personnels de l’éducation nationale.